Le 19 décembre 2023 a été voté le projet de loi pour « contrôler l’immigration, améliorer l’intégration ». Si Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et figure de proue de ce projet de loi, a salué un texte qui « protège les Français », Marine Le Pen, cheffe de file de l’extrême droite, a vu dans son adoption une « victoire idéologique de son mouvement ».
L’une des mesures qui ont suscité les plus vives réserves parmi les parlementaires et l’opinion concerne les étudiants étrangers. Ces derniers devront déposer une « caution de retour », caution destinée à s’assurer qu’ils quitteront le territoire à la fin de leur formation et à l’expiration de leur titre de séjour. Une décision qui vient consacrer une obsession de ces dernières années, celle du « faux » étudiant étranger.
Le tournant des années 1970
Pendant très longtemps cependant, la France a vu dans l’accueil des étudiants étrangers un dispositif performant pour consolider et promouvoir son influence économique et culturelle. Dès la deuxième moitié du XIXe siècle, attirer des étudiants du monde entier a été considéré comme un enjeu politique de premier ordre.
C’est depuis la fin des années 1970 que la politique d’attraction des étudiants étrangers en France a subi des réajustements conséquents. La politique « généreuse » et libérale à l’égard de cette population s’est transformée en une politique de plus en plus restrictive.
En décembre 1977, la « circulaire Bonnet », suivie en décembre 1979 du « décret Imbert », vont imposer aux étrangers qui souhaitent étudier en France l’obligation d’obtenir une attestation de pré-inscription, de justifier de ressources financières suffisantes et de passer un test linguistique de connaissance de la langue française. La « circulaire Bonnet » a introduit l’obligation de retour des étudiants étrangers dans leur pays d’origine après l’obtention de leur diplôme et a restreint le renouvellement de la carte de séjour en cas d’échec aux examens.
Conséquence de ces dispositifs restrictifs, le nombre d’étudiants étrangers en France a considérablement diminué jusqu’au milieu des années 1990. Le rapport de Patrick Weil, établi en 1997 à la demande de Lionel Jospin, est le premier à mettre en garde contre cette situation. Dans ce rapport, Weil a invité le gouvernement à revoir, entre autres, sa politique d’accueil des étudiants étrangers et a formulé à l’occasion des recommandations pour améliorer leur statut. Certaines de ces recommandations ont été prises en considération dans la « loi Chevènement », votée le 11 mars 1998.
Une politique de recrutement sélectif des étudiants
Si la « loi Chevènement » a enregistré, à certains égards, des avancées relatives à la politique d’accueil des étudiants étrangers, elle avait avant tout pour objectif de servir les intérêts économiques de la France. En effet, l’adoption de cette nouvelle politique migratoire éclot dans un contexte international marqué par la marchandisation débutante de l’enseignement supérieur et la compétition entre les pays pour attirer les étudiants étrangers, les chercheurs et les travailleurs hautement qualifiés.
Compte tenu de ces enjeux, la nouvelle politique d’accueil des étudiants étrangers est élaborée dans une perspective fédérant deux objectifs :
« tenir le [rang de la France] sur le marché [international] de la formation, ce qui implique une politique d’attraction active à l’égard des étudiants étrangers, et maintenir une politique de fermeture rigoureuse à l’égard des formes d’immigration “indésirables” ».
Ces remaniements reflètent la double vision de la nouvelle politique migratoire française, aspirant à la fois à recruter les meilleurs étudiants étrangers sans pour autant négliger « le risque migratoire » que peuvent représenter les « mauvais » ou les « faux étudiants », soupçonnés de vouloir venir et rester en France pour d’autres raisons que les études.
Pour dissiper le « risque migratoire » et mieux sélectionner les étudiants étrangers depuis leurs pays d’origine, le ministère de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur a créé, en 1998, conjointement avec le ministère des Affaires étrangères, l’agence ÉduFrance dont l’objectif était le « renforcement des outils institutionnels de promotion de l’offre française de formation supérieure à l’étranger ».
En 2005, ÉduFrance est remplacée par les Centres pour les études en France (CEF). Mis en place auprès des ambassades françaises à l’étranger, les CEF éclosent comme un nouvel instrument réglementaire pour mieux filtrer les étudiants étrangers désirant poursuivre leur formation dans l’Hexagone. Surgi dans un contexte où la France s’oriente vers une « immigration choisie », le passage par ce dispositif administratif devient obligatoire.
Cinq ans plus tard, les CEF sont remplacés par l’agence Campus France. Ce sont les services de cette agence qui administrent depuis 2010 l’arrivée dans l’Hexagone des étudiants étrangers originaires des pays hors Union européenne. Depuis l’instauration de Campus France, les étudiants étrangers doivent accomplir un marathon administratif, complexe et financièrement coûteux pour obtenir un visa pour études.
Venir étudier en France, un budget conséquent
Ce n’est pas la première fois que les étudiants étrangers sont la cible de mesures politiques contraignantes. En 2011, la « circulaire Guéant » a été adressée aux préfets pour approfondir davantage le contrôle de la procédure de « changement de statut » (le passage du statut « étudiant » à « salarié »), engagée par les diplômés étrangers. Cette circulaire rappelait également aux préfets qu’ils doivent veiller à ce que les étudiants étrangers détenteurs d’une « autorisation provisoire de séjour » occupent un emploi en France uniquement dans la perspective que ce dernier « s’inscrit dans un projet de retour dans le pays d’origine ». Amplement contestée, cette circulaire a été abrogée en 2012.
Le 19 novembre 2018, Édouard Philippe a annoncé la stratégie « Bienvenue en France » pour attirer plus d’étudiants étrangers. De quelle manière ? Entre autres, en multipliant par 16 les frais de scolarité des étudiants ressortissants de pays hors Union européenne. Si nous avons signalé la contre-productivité de la stratégie « Bienvenue en France », à la suite de sa validation par le Conseil d’État en juillet 2020 et en raison de la pandémie de Covid-19, le nombre d’étudiants étrangers sur les campus à la rentrée 2020-2021 a baissé de 25 % par rapport à celle de l’année précédente.
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Certes, aujourd’hui, le nombre des étudiants étrangers qui choisissent la France pour suivre des études est à la hausse après une période de récession. D’après Campus France, cette augmentation, de l’ordre de 8 % entre 2021 et 2022, est liée principalement à la reprise des mobilités d’échange (+46 %) via Erasmus+, mais aussi au développement de la mobilité diplômante (+ 6 %). Par ailleurs, si la France maintient sa position de 6e place mondiale de pays d’attraction des étudiants en mobilité internationale, c’est en grande partie grâce aux étudiants originaires de l’Afrique subsaharienne, de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Ces derniers représentent plus de 50 % des étudiants étrangers inscrits en France (Campus France, 2023).
Jusque-là, pour obtenir un visa, ces étudiants doivent obligatoirement attester du blocage de plus de 7 000 euros, justifiant leur disposition à couvrir leurs frais de séjour en France. Leur exiger une « caution de retour » pour obtenir un titre de séjour et qui ne pourrait être débloquée qu’à leur retour dans leurs pays ou en cas de « changement de statut », est une mesure discriminatoire qui alourdira davantage les coûts déjà importants que concèdent ces jeunes pour accéder aux études en France.
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Les politiques et les employeurs savent très bien que la mobilité étudiante en France est un vivier de travailleurs hautement qualifiés. De plus, ces étudiants étrangers ont toujours eu un impact positif sur l’économie française. Leurs dépenses quotidiennes, leurs droits d’inscription, leurs frais administratifs, les dépenses touristiques de leurs proches, leurs cotisations sociales sont une manne financière, dont le montant s’élève à 5 milliards d’euros sur un an, d’après une récente enquête de Campus France.
En soustrayant les 3,7 milliards d’euros de dépenses publiques qui leur sont consacrés par l’intermédiaire des aides au logement, des bourses, de l’affiliation à la sécurité sociale et des dépenses de personnels consacrées à la diplomatie culturelle et d’influence, l’apport net des étudiants étrangers à l’économie française est donc de 1,35 milliard d’euros.