Le mercredi 7 juin, le gouvernement a présenté son projet de loi visant à atteindre le plein-emploi, c’est-à-dire un taux de chômage de 5 % (contre 7,1 % actuellement). À travers un dispositif d’accompagnement des allocataires du revenu de solidarité active (RSE), dont le nombre stagne autour de 1,9 million, l’exécutif se fixe notamment de ramener dans le champ du marché du travail les personnes qui s’en sont éloignées.
Le texte prévoit ainsi la création de France travail, qui va succéder à Pôle emploi, pour mieux coordonner les acteurs du service public de l’emploi. À partir du 1er janvier 2025, ce guichet unique permettra par exemple l’inscription automatique à France Travail pour toute demande de RSA à la Caisse des allocations familiales (CAF). Actuellement, environ 4 bénéficiaires du RSA sur 10 seulement sont également inscrits à Pôle emploi.
France travail sera en outre organisé en réseau, en lien avec l’État, les missions locales pour les jeunes, les collectivités territoriales ou encore des associations spécialisées dans l’insertion professionnelle. Le projet de loi prévoit que ces acteurs assureront les missions « d’accueil, d’orientation, d’accompagnement, de formation, d’insertion, de placement des personnes recherchant un emploi ou rencontrant des difficultés sociales ».
Cette organisation en réseau, qui établit un partenariat entre de multiples parties prenantes, apparaît en effet essentielle pour favoriser l’insertion professionnelle au sein des entreprises. Comme nous l’avons montré dans un travail de recherche récent, les partenariats multipartites (PMP) constituent en effet une réponse appropriée aux enjeux de qualification, de compétences et d’accès à l’emploi, en particulier pour les personnes issues de milieux défavorisés.
« De plus en plus de partenariats originaux »
Nous avons étudié ces PMP et leur action en matière d’insertion professionnelle épuise le début des années 1990 en France, en Allemagne et en Espagne. Si ces trois pays ont connu des différences dans la mise en place et les modalités d’action, les structures ont globalement enregistré des résultats positifs. Et ils se sont rapprochés dans l’ambition de trouver une solution intégrative d’insertion.
La France fut précurseur en termes de PMP, qui ont toujours été encouragés par l’État, initialement par les « clauses sociales » et après par un événement relationnel majeur dit « Grenelle de l’Innovation ». Un des premiers rapprochements a été initié en 1996 par l’agence d’intérim Adecco et le Groupe ID’EES, structure spécialisée dans l’insertion professionnelle. Ce type de partenariats a ensuite connu un essor à la suite de la crise économique autour de 2010 (par exemple, le réseau Cocagne, un regroupement d’associations dans la production maraîchère, ou la Fondation Caritas, créée par le Secours catholique).
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Actuellement, le terrain reste propice à la multiplication de ces PMP. Comme nous l’a confié un représentant du syndicat patronal français, le Medef :
« Il y a eu une réelle amélioration de ce que ce type d’organisation peut apporter à une entreprise privée. La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) a également gagné en importance… On voit donc de plus en plus de partenariats originaux ».
En Espagne, où l’État s’est montré moins impliqué en termes de formation de PMP, celles-ci sont nées d’un mouvement de solidarité lors de la crise économique qui a frappé le pays au tournant des années 2010. Les premiers échanges entre les entreprises et les organisations à but non lucratif ont abouti en 2012 à la création de « Ensemble pour l’emploi des personnes les plus vulnérables » (Juntos por el empleo de los más vulnerables), qui rassemble désormais plus de 1000 organisations à but non lucratif, environ 70 entreprises et 13 agences publiques.
Si toutes les personnes que nous avons interrogées dans notre étude s’accordent à dire que le PMP « a constitué une réponse efficace à la crise économique », elles notent que le dispositif en reste encore au « stade expérimental » et que des marges de développement existent. Un chef d’entreprise accompagné par un PMP le souligne :
« Nous vivons encore une période de découverte pour les entreprises privées ».
En Allemagne, les PMP en matière d’insertion professionnelle ont connu leur essor à partir de la crise des réfugiés et la forte augmentation du nombre de demandeurs d’asile de 2015. Après une longue période stationnaire, le domaine est devenu très dynamique avec des constellations d’acteurs sans précédent apparaissant sur la scène. Parmi les structures qui ont émergé, nous pouvons notamment citer Arrivo – Refugee is not a profession, qui regroupe le gouvernement régional de la cité-État (Land) de Berlin, 50 entreprises, membres de la chambre de commerce locale, pour insérer professionnellement les réfugiés, ou encore Schlesische 27, une association culturelle à but non lucratif qui propose des programmes d’accompagnement personnalisé à des populations défavorisées.
Un engagement civique
L’afflux important de réfugiés et la culture d’accueil (Wilkommenkultur) de la chancelière Angela Merkel ont en effet conduit à une « politisation » du climat social, ce qui a incité les petites et moyennes entreprises à s’engager dans des efforts PMP. Ce veut dire que les entreprises commençaient à s’engager quand les problèmes ressemblaient une « crise morale » plutôt qu’une crise existentielle. Les motivations de s’engager concernent aussi bien le manque main-d’œuvre qualifiée que la volonté de s’engager pour la société. Là encore, l’idée d’aller plus loin dans l’institutionnalisation de la démarche transparaît, comme en témoigne un responsable d’association à but non lucratif :
« Nous n’avons pas besoin de construire une énorme initiative individuelle. Notre conception est de donner un coup de pouce, d’initier quelque chose de plus grand ».
Étant donné ces premières avancées, approfondir notre compréhension des PMP semble désormais essentiel, et sans doute pas seulement en matière d’insertion professionnelle. D’ailleurs, face à la pandémie de Covid-19, les décideurs politiques ont stimulé la collaboration multipartite, par exemple dans le cadre de l’alliance internationale GAVI, pour accélérer la mise au point du vaccin.
C’est pourquoi les parties prenantes de tous les secteurs sont appelées à explorer des approches de la collaboration sans qu’ils soient contraints par les crises, en particulier sans attendre que les manifestations extrêmes climatiques anticipées ne se produisent. En effet, on constate dans le bref historique précédemment dressé que ce sont les difficultés économiques ou sociales qui ont jusqu’à présent donné l’impulsion aux PMP.