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LREM entre deux rives

Les députés LREM Gilles Legendre et Stanislas Guerini à l'Assemblée nationale le 22 mai. Le groupe ne compte plus que 288 députés. Ludovic MARIN / AFP

La constitution du groupe « Écologie, démocratie et solidarité » le 19 mai 2020 a achevé symboliquement la majorité absolue du groupe LREM à l’Assemblée nationale.

La défection de députés comme Aurélien Taché (ex-Parti Socialiste et désormais ex-La République En Marche) semblait néanmoins relever plutôt de ce que Fernand Braudel aurait appelé « l’agitation de surface » de l’histoire événementielle. Une tension à comprendre dans une histoire plus longue et complexe.

Cependant, la décision du gouvernement de refermer le cycle des élections municipales place l’événement dans une autre perspective . En effet, brusquement, « ce coup dur » révèle les divisions profondes de la majorité présidentielle, dans un climat de forte défiance et avec un scrutin qui s'annonce compliqué.

La comparaison avec les frondeurs de François Hollande s’impose aux esprits pour en montrer l’effritement, mais est-elle pertinente ?

Une longue série de départs

Après tout, le départ d’Aurélien Taché n’est que le dix-septième d’une série entamée au lendemain de l’élection législative de mai 2017, déclinée en trois cas de figure.

D’abord celui des députés qui ont fait leur baptême du feu électoral en 2017 et ont été déçus du fonctionnement du parti (Frédérique Dumas en septembre 2018, Sandrine Josso en juin 2019). Le second est celui, plus fréquent, des députés généralement issus d’autres formations politiques (de gauche surtout), qui se sont opposés aux orientations fixées par le gouvernement : la loi asile et immigration (Jean‑Michel Clément en avril 2018), le recours au 49-3 pour faire adopter la réforme des retraites (Hubert Julien-Laferrière et Delphine Bagarry en mars 2020), et, surtout, le manque d’ambition écologique (Matthieu Orphelin en février 2019).

Des membres du nouveau groupe Écologie, démocratie et solidarité, Guillaume Chiche, Annie Chapelier, Aurelien Taché, Sebastien Nadot et Matthieu Orphelin, posent devant l’Assemblée nationale, le 19 mai. Francois Guillot/AFP

Enfin, il faut considérer le cas des députés qui ne se sont pas conformés aux normes disciplinaires et comportementales du parti (Joachim Sun-Forget en décembre 2018, Agnès Thil en juin 2019).

Naturellement, ces trois configurations se mêlent inextricablement, comme le montre la candidature parisienne de Cédric Villani. Exclu en janvier pour avoir refusé de se désister en faveur de Benjamin Grivaux, au nom d’une « tradition séculaire d’indépendance de Paris vis-à-vis du pouvoir », le mathématicien affichait ses divergences stratégiques avec la majorité.

Une interrogation sur le rôle des parlementaires

Mais dans tous les cas, ces dissidences sont le symptôme d’une interrogation profonde sur le rôle des parlementaires dans un parti qui s’assume difficilement comme tel, avec ses règles de fonctionnement, son organisation, et ses choix idéologiques. Emmanuel Macron n’apporte aucune réponse : dans Révolution il parle peu de la représentation parlementaire et depuis son élection, il alterne actes de tension et paroles d’apaisement, comme en janvier lors de la controverse sur le congé des parents endeuillés.

Selon un rapport publié par le think tank Terra Nova en 2018, de telles hésitations étaient alors partagées par la base militante, dont le quart considérait LREM comme un mouvement, et non comme un parti, manifestant le désir d’une organisation plus horizontale.

S’ils se montraient satisfaits de l’action du parti, seulement 20 % à 30 % d’entre eux doutaient de sa capacité à prendre en compte leur opinion, à valoriser leur engagement, à fonctionner démocratiquement. Et s’ils s’identifiaient comme le parti du président, 90 % considéraient comme important de « faire remonter au gouvernement les attentes des Français », de « produire des idées pour influencer les politiques publiques » ou « d’agir localement au quotidien ».

Les contradictions profondes de LREM

En somme, le départ tonitruant de certains députés révèle les contradictions profondes de l’organisation fondée par Emmanuel Macron. Mais loin de l’affaiblir, il pourrait contribuer à clarifier sa place dans le paysage politique français pour deux raisons que l’histoire politique éclaire.

D’abord parce que le spectacle d’un groupe majoritaire écartelé entre ses velléités d’indépendance et son allégeance au président qu’il soutient est aussi ancien que la Ve République elle-même.

Lorsqu’en 1958 le parti gaulliste, l’Union pour la Nouvelle République (UNR), conquiert 206 sièges sur les 576 de l’Assemblée nationale, il n’avait d’autre rôle que de servir les orientations définies par le gouvernement.

La fidélité envers De Gaulle était essentielle, mais à la différence de la majorité LREM, celle de 1958 n’était pas novice en politique. Ces nouveaux élus, pour la plupart des notabilités enracinées, pouvaient jouer d’autonomie au point de contester certains choix essentiels. Ce fut le cas de la politique algérienne : en octobre 1959, le discours de De Gaulle sur l’autodétermination déclencha l’opposition de huit députés menés par Léon Delbecque.

Photo familiale de Léon Delbecque, l’homme de « l’ombre » du général De Gaulle. Lucien Desprez/Wikimedia, CC BY

Dans leur sillage, 23 députés démissionnèrent du groupe jusqu’en 1962, et 7 en furent exclus. Lorsque la censure fut votée contre le gouvernement Pompidou le 5 octobre 1962, 18 d’entre eux se désolidarisèrent de la majorité présidentielle).

Où conduit cette première comparaison ? Elle montre que les tiraillements de l’actuelle majorité reflètent la difficile adaptation d’un parti présidentiel au contexte constitutionnel de la Ve République. Selon l’historien Nicolas Rousselier, celui-ci est fondé sur un « paradigme présidentiel » et non parlementaire, ce qui réduit considérablement son rôle.

La question posée ne se réduit pas au débat sur l’autorité charismatique d’Emmanuel Macron. Elle engage une réflexion d’ensemble sur ce que représenter veut dire à l’âge de la démocratie participative et des réseaux sociaux.

Le rôle des partis

La difficulté qu’ont les députés majoritaires de la Ve République à donner sens à leur mandat tient aussi beaucoup à la mise en cause des organisations partisanes.

Le moment où ce système se met en place, au début du XXe siècle, peut en éclairer les enjeux, notamment dans le cas de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), fondée en 1905.

Car depuis l’apparition des mouvements ouvriers au XIXᵉ siècle, la méfiance fut toujours forte contre les délégués qui quittaient l’atelier pour l’hémicycle, fréquentaient l’ennemi de classe et risquaient de trahir la cause de la révolution.

Christophe Thivrier expulsé de la Chambre des députés pour avoir crié « Vive la Commune ! » (dessin de José Belon, Le Petit Journal), 1894. Wikimedia

Mandat impératif, démission en blanc, sanctions disciplinaires, ces procédures de contrôle multipliées par les organisations ouvrières sous la IIIe République montrent leurs préventions contre la représentation parlementaire, alors considérée comme la voix de la Nation, requérant la pleine liberté de parole de l’élu.

Les députés de la classe ouvrière étaient toujours soupçonnés de servir leurs ambitions personnelles, comme Alexandre Millerand qui avait accepté le portefeuille du Commerce et de l’Industrie en 1899. Cette initiative avait été tellement débattue qu’elle avait retardé l’unité socialiste de plusieurs années.

Invectives et pugilat lors du second congrès unitaire socialiste français tenu salle Wagram (28-30 septembre 1900). Vue d’artiste de Sabattier, L’Illustration, 6 octobre 1900. Louis Rémi Sabattier/Wikimedia

Avec la fondation de la SFIO en 1905, les parlementaires furent soumis au contrôle du parti, qui exigeait d’eux une stricte discipline de vote et de comportement. Certains refusèrent de sacrifier leur autonomie et se retirèrent, discrètement comme René Viviani, qui se contenta de ne pas se présenter sous les couleurs socialistes en 1906 et devint ministre du Travail, ou avec éclat comme Aristide Briand, devenu ministre de l’Instruction publique et violemment mis en cause par Jean Jaurès en 1907.

Ernest Pignon Ernest : Jaurès, Exposition à la Bibliothèque de Nice parallèlement à celle du Mamac. Jean Latour/Flickr, CC BY

Les articles et discours de ce dernier dans les années qui suivirent montrent à quel point cette discipline fut difficile à appliquer (Jean Jaurès, Œuvres, vol. 12. Penser dans la mêlée (1907-1910), édition établie par Jean‑François Chanet et Emmanuel Jousse, Paris, Fayard, 2020, à paraître).

LREM, parti de « l’ancien monde » ?

Que montre cette seconde comparaison ? Que les difficultés de la majorité actuelle tiennent moins à un effritement du pouvoir du président de la République qu’à une évolution de La République en Marche, qui se transforme en parti politique de l’ancien monde, avec ses propres finalités idéologiques, son organisation hiérarchique et sa discipline comportementale, risquant de ce fait une « tendance oligarchique ».

La création du groupe « Écologie, démocratie et solidarité » affaiblit-elle La République en Marche ?

Rien n’est moins sûr : elle accélère sa mutation en parti de gouvernement adapté à la Ve République, au prix du renoncement à son ambition originelle de renouveler la vie politique par une participation citoyenne plus intense. Né de l’ancien monde, le parti présidentiel cherche encore les voies du nouveau.

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