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Lutter contre le paludisme et la toxoplasmose grâce à un médicament anti-cancer

Un enfant souffrant de paludisme est soigné dans une clinique de Mogadiscio, en Somalie (2013).
Un enfant souffrant de paludisme est soigné dans une clinique de Mogadiscio, en Somalie, en 2013. Tobin Jones / Flickr, CC BY

Le paludisme, aussi appelé malaria, est une maladie causée par le protozoaire parasite Plasmodium falciparum, transmis par les moustiques. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) estime qu’en 2020, 241 millions de personnes ont contracté la maladie, qui a causé 627 000 décès sur la planète. 94 % de ces infections et 96 % de ces décès sont survenus en Afrique sub-saharienne. Autre statistique tragique : toutes les cinq minutes, un enfant de moins de 5 ans meurt de la malaria.

À mesure que le changement climatique progresse, les aires de répartition des moustiques vecteurs du paludisme s’étendent, ce qui accroît le nombre de personnes vivant sous la menace de la maladie. Pour limiter le problème, l’OMS recommande de recourir au contrôle des populations de vecteurs, afin de réduire le nombre de moustiques, et donc de diminuer la probabilité de piqûre. L’institution conseille également le recours à la chimioprévention (ou chimioprophylaxie), qui consiste à administrer préventivement des traitements antipaludéens pour empêcher, en l’absence de vaccins, la survenue de la maladie.

Le parasite Toxoplasma gondii, un proche cousin de Plasmodium, infecte quant à lui 2 milliards de personnes dans le monde. Il est responsable de la toxoplasmose, une maladie d’origine alimentaire qui menace surtout les nouveau-nés et les personnes immunodéprimées, autrement dit les individus dont le système immunitaire fonctionne mal, comme les malades du sida ou les patients suivant un traitement anticancéreux. Diverses études suggèrent également que les toxoplasmes peuvent avoir des effets de long terme sur le comportement et la personnalité des êtres humains, de par leur capacité à se nicher dans le cerveau. Ces parasites pourraient notamment jouer un rôle dans la schizophrénie et les troubles bipolaires.

Malgré les inlassables efforts des scientifiques pour éradiquer ces deux maladies parasitaires, les médicaments disponibles à l’heure actuelle sont sous-optimaux, et il existe peu d’alternatives, pour ne pas dire aucune… Nos travaux récents laissent toutefois entrevoir un nouvel espoir.

Effets indésirables

Les traitements anti-toxoplasmose actuels ont souvent des effets secondaires graves, tels qu’une toxicité hépatique ou une atteinte de la moelle osseuse (laquelle participe à la production des cellules sanguines), ce qui accroît le risque pour la santé des personnes immunodéprimées. En outre, aucun médicament n’est capable de tuer les toxoplasmes une fois qu’ils ont établi une infection chronique dans les muscles et dans le cerveau.

Le coût de ces traitements, lorsqu’ils existent, constitue un autre problème. L’un d’entre eux, le Daraprim, a notamment fait les gros titres des journaux en 2015, après que Turing Pharmaceuticals a fait passer son tarif par comprimé de 13,50 dollars à 750 aux États-Unis, menaçant d’empêcher les patients vulnérables d’accéder à ce médicament.

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Concernant le paludisme, dans les régions où cette maladie est endémique, les thérapies combinées à base d’artémisinine constituent désormais les traitements de première intention. L’artémisinine est un extrait végétal issu de la pharmacopée traditionnelle chinoise. Elle a été synthétisée pour la première fois par Tu Youyou, lauréat du prix Nobel en 2015. Cependant, l’émergence d’une résistance des parasites à l’artémisinine et aux autres combinaisons médicamenteuses alternatives est aujourd’hui une préoccupation majeure. Ce phénomène a été initialement constaté en Asie du Sud-Est et plus récemment au Rwanda et en Ouganda (on parle de résistance lorsqu’un médicament perd de son efficacité et ne peut plus guérir complètement l’infection contre laquelle il a été conçu).

Dans ce contexte, le repositionnement de médicaments initialement autorisés pour soigner d’autres maladies est une stratégie intéressante, qui permet d’économiser beaucoup de temps et d’argent. Un des exemples les plus connus est celui du sildénafil. Développé à l’origine pour traiter les douleurs thoraciques causées par les maladies coronariennes, ce composé n’a pas passé le stade des essais cliniques dans cette indication. Néanmoins, les scientifiques ont découvert que l’un des effets secondaires de ce médicament était de provoquer l’érection. Cela a été mis à profit pour créer la célèbre pilule bleue commercialisée sous le nom de Viagra, employé pour traiter les dysfonctionnements érectiles.


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Cette stratégie de repositionnement de médicaments a tout particulièrement attiré l’attention après le déclenchement de la pandémie de Covid-19, lorsque les scientifiques ont cherché par tous les moyens à mettre rapidement au point des thérapies pour lutter contre la maladie.

En adoptant cette approche, notre équipe vient de réaliser une percée scientifique, avec la découverte d’un nouveau candidat médicament contre les parasites : l’altiratinib.

Combattre les parasites avec un médicament repositionné

Nous avons pu démontrer que l’altiratinib, développé à l’origine pour traiter le glioblastome, un cancer du cerveau très agressif, possède une puissante activité parasiticide contre le toxoplasme. L’altiratinib est également actif contre Eimeria et Neospora, deux parasites d’importance vétérinaire majeure, qui causent chaque année d’importantes pertes économiques dans les élevages de bétail.

Pour décrire ce qu’un médicament fait réellement dans le corps, les scientifiques utilisent souvent l’expression « mode d’action ». Décrypter le mode d’action d’un composé revient à identifier précisément la façon dont il fonctionne.

Pour comprendre comment l’altiratinib agit sur le parasite, nous avons dû identifier quelle était sa « cible » principale. Grâce à une approche génétique de pointe, nous avons déterminé qu’il s’agit d’une kinase – les kinases sont des enzymes qui modifient chimiquement d’autres molécules et, ce faisant, régulent leur activité biologique. Chez Toxoplasma, la kinase ciblée par l’altiratinib est connue sous le nom de PRP4K, tandis que chez Plasmodium, elle est appelée CLK3.

Rappelons que la plupart des fonctions cellulaires sont assurées par des protéines, de grandes et complexes molécules. Les informations qui permettent aux cellules de les fabriquer sont contenues dans l’ADN, sous forme de gènes. La production d’une protéine donnée commence par la transcription (c’est-à-dire la « copie ») du gène correspondant en une molécule d’ARN messager (ARNm) immature. C’est lors de l’étape suivante qu’intervient l’altiratinib.

L’ARNm immature produit à partir du gène ne permet pas encore de produire une protéine. Il peut être considéré comme une grossière ébauche. Dans un second temps, l’ARNm va subir un processus appelé « épissage ». Des enzymes retirent alors les parties inutiles de la molécule d’ARNm immature, un peu comme un tailleur retouche progressivement sa pièce initiale jusqu’au vêtement final, en l’occurrence un ARNm « mature », utilisable pour produire une protéine. Si quelque chose se passe mal durant cette phase d’épissage, la protéine résultante peut ne pas fonctionner comme prévu, voire ne pas fonctionner du tout.

La kinase PRP4K est l’un des « tailleurs » impliqués dans l’étape d’épissage. Son inhibition par l’altiratinib perturbe cette phase cruciale, à l’échelle du génome entier. Résultat : à l’intérieur des parasites, la production de protéines devient chaotique, ce qui provoque leur mort.

Identifier les régions d’intérêt

Certaines régions des protéines sont essentielles à leur fonctionnement, car elles interagissent avec les molécules de leur environnement. Grâce à des techniques de pointe, nous avons pu identifier la région de PRP4K où se produisent les réactions chimiques et à laquelle se lie l’altiratinib. Cette découverte ouvre la voie à la mise au point de composés plus efficaces.

Au-delà de l’altiratinib, nous en avons également appris davantage sur le fonctionnement d’un autre médicament anti-paludisme, baptisé TCMDC-135051. Nous avons montré que cette molécule, qui n’est pas encore disponible dans le commerce, est capable elle aussi de se lier à PRPK4. Cependant, TCMDC-135051 n’agit probablement pas de la même manière que l’altiratinib.

De ce fait, il serait envisageable de développer des thérapies combinant ces deux composés, ce qui limiterait théoriquement l’apparition de résistances.

Nos travaux démontrent que l’altiratinib, initialement développé dans le cadre de la lutte contre le cancer, constitue une option thérapeutique pour traiter non seulement le paludisme, mais aussi la toxoplasmose et certaines maladies parasitaires animales. Ils soulignent aussi l’importance de la kinase PRP4K/CLK3 en tant que cible médicamenteuse dans le combat contre les parasites.

This article was originally published in English

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