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Maladie de Lyme : attention au sur-diagnostic !

Suite à une piqûre de tique, il arrive que des diagnostics de maladie de Lyme soient établis de façon erronée. Shutterstock

Depuis quelques années, la maladie de Lyme fait beaucoup parler d’elle, et les échanges ne sont pas toujours des plus apaisés. En effet, au sein des professionnels de santé, des voix divergentes se font entendre concernant les principales étapes de la prise en charge des symptômes, à savoir le diagnostic et le traitement.

Relayé par les médias, cet affrontement entre deux camps radicalement opposés sème le trouble auprès du public. Un trouble dont les patients sont les premières victimes, écartelés entre des affirmations contradictoires. En outre, la couverture médiatique du sujet n’est pas forcément de nature à les rassurer, comme en témoigne l’édition du 14 juillet 2016 de L’Obs, titrée « Maladie de Lyme : l’épidémie qu’on vous cache ».

Afin de proposer des repères pour la prise en charge de ces patients, faisons le point sur les éléments les plus scientifiquement solides dont nous disposons à l’heure actuelle, en particulier concernant le sur-diagnostic, qui peut avoir des conséquences néfastes pour les patients.

Une maladie infectieuse liée à une bactérie

La maladie de Lyme est une maladie infectieuse liée à Borrelia burgdorferi, une bactérie de la famille des spirochètes. Cette famille, dont les 2 autres représentants en France sont les agents infectieux responsables de la syphilis et de la leptospirose, présente diverses caractéristiques donc certaines expliquent les difficultés à poser un diagnostic clair.

Tout d’abord, elles se cultivent très mal en laboratoire, ce qui signifie que leur mise en évidence est généralement indirecte. Le diagnostic repose essentiellement sur des sérologies : on fait une prise de sang, afin de rechercher les anticorps suscités par l’infection. Ensuite, les symptômes consécutifs à une infection par ces bactéries peuvent être très variés, notamment cutanés, rhumatologiques et neurologiques. Enfin, leur sensibilité aux antibiotiques est parfaitement conservée (y compris à la pénicilline, malgré 70 ans d’utilisation large).

Comme pour la grande majorité des maladies infectieuses, le diagnostic de la maladie de Lyme repose sur un faisceau d’arguments :

  • Le contage, autrement dit la cause matérielle de la contagion. Dans ce cas précis, la possibilité que le patient ait pu être piqué par une tique contaminée ;

  • un ou des symptôme(s) évocateur(s), tels que l’apparition d’un érythème migrant ;

  • la confirmation par un test diagnostique validé ;

  • une réponse au traitement adapté.

Il arrive de poser le diagnostic en l’absence d’une partie de ces arguments, mais la probabilité de se tromper devient alors plus élevée. Cela fait courir le risque de méconnaître un autre diagnostic, ce qui peut représenter une perte de chance pour le patient. En effet, pour beaucoup de maladies, le pronostic est meilleur si le diagnostic n’est pas retardé.

Des tests diagnostiques à la fiabilité discutée

Les tests diagnostiques pour la maladie de Lyme préconisés en France par les autorités sanitaires sont ceux pour lesquels les fabricants ont fait l’effort de démontrer qu’ils étaient en général positifs chez les sujets malades (il s’agit de la sensibilité du test), et en général négatifs chez les sujets non malades (il s’agit de la spécificité du test).

Ces tests sont contrôlés par l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM). Ils sont régulièrement mis à jour, et les données sont rendues publiques.

Cependant, certains laboratoires « parallèles » proposent des tests sans avoir fait l’effort d’évaluer leur performance. De ceux-ci, on ne connaît pas grand-chose, à part qu’ils sont très souvent positifs, et qu’ils coûtent cher aux patients (non remboursés, car non validés).


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Un sur-diagnostic aux conséquences néfastes pour les patients

En appliquant les principes diagnostiques qui sont le fondement de la médecine moderne, trois études récentes ont été réalisées en France, portant sur plus de 1 000 patients consultant car ils craignaient être atteints d’une maladie de Lyme.

La démarche diagnostique utilisée consistait à écouter le patient, l’examiner, et compléter les investigations si nécessaires, en fonction des éléments recueillis. Les résultats de ces travaux ont révélé que seuls 12 % des patients à Besançon, 13 % des patients à Paris et 15 % des patients à Nancy présentaient une maladie de Lyme confirmée ou probable.

En revanche, jusqu’à 80 % des patients de ces études souffraient d’une autre maladie, mais 85 % d’entre eux avaient reçu une antibiothérapie inutile, souvent multiple et prolongée (plusieurs années). Or ces traitements ne sont pas anodins. L’administration prolongée de plusieurs antibiotiques peut entraîner des complications. Elle risque notamment de déstabiliser ou modifier les flores bactériennes non seulement intestinales, mais aussi cutanées, pulmonaires… Elle peut aussi contribuer au développement de résistances aux antibiotiques, un problème majeur de santé publique.

En outre, aucune évaluation n’a pu mettre en évidence l’efficacité des polyantibiothérapies prolongées chez ces patients. Tous les essais randomisés contre placebo ont conclu que ces traitements n’étaient pas supérieurs au placebo, que ce soit sur les douleurs, la qualité de vie, ou d’autres marqueurs.

Malgré la concordance de toutes les études de qualité qui ont été publiées sur ce sujet, quelques médecins en France et ailleurs continuent à proposer des prises en charge sans documentation de leur efficacité, basées sur des intuitions et leurs expériences, qui n’a jamais été partagée dans des revues médicales.

Pourtant, ce sur-diagnostic n’est pas nouveau, et il n’est pas spécifique à la France, puisqu’il était déjà rapporté voici plus de 25 ans aux États-Unis. Or ces errances diagnostiques peuvent aussi entraîner un retard dans la prise en charge de la pathologie qui était réellement à l’origine des symptômes de la maladie. Les maladies les plus fréquemment impliquées étaient des maladies neurologiques (12–19 %), rhumatologiques (15–43 %), psychiatriques ou psychologiques – telles que le syndrome d’épuisement professionnel (13–25 %), ou encore systémiques/auto-immunes.

Ne pas s’enfermer dans une seule hypothèse diagnostique

Dans un article paru dans la revue spécialisée Médecine et maladies infectieuses, la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF) souligne l’importance de ne pas s’enfermer dans une seule hypothèse diagnostique lorsque les symptômes sont peu spécifiques et peuvent donc être liés à d’autres maladies. Cette recommandation est d’autant plus importante que les tests validés sont négatifs, et que les traitements recommandés n’ont pas permis la guérison. La principale motivation de la rédaction de ces recommandations est de protéger les patients contre les prises en charge inadaptées.

Il ne s’agit pas de nier l’existence de la maladie de Lyme : elle est bien réelle, n’est pas rare, et peut être grave. Il s’agit seulement de continuer à raisonner en médecin face aux symptômes et aux signes cliniques que présentent les patients, et de savoir réévaluer la situation, en cas de test négatif ou d’efficacité décevante de la prise en charge qu’on avait proposée initialement.

À la demande du directeur général de la santé, les 25 sociétés savantes françaises des disciplines les plus concernées par la maladie de Lyme (médecine générale, dermatologie, rhumatologie, neurologie, médecine interne, microbiologie, pédiatrie, etc.) ont élaboré un texte consensuel de recommandations, publié au mois de juin 2019.

Des recommandations pratiques et claires

Trois principales différences distinguent ces recommandations de celles de la HAS. Tout d’abord, l’antibiotique doxycycline est clairement positionnée en première ligne pour quasiment toutes les formes cliniques. Les données récentes montrent en effet que ce traitement, simple et peu sélectionnant de résistance, est aussi actif sur les formes neurologiques que les traitements injectables à large spectre.

Ensuite, les recommandations sont formulées de manière claire (exemple : « il faut » ou « il ne faut pas »), et gradée (selon la force de la recommandation et la qualité des données qui étayent cette recommandation).

Enfin, une section très pratique sur la prise en charge des patients qui craignent d’être atteints d’une maladie de Lyme, du diagnostic au(x) traitement(s) a été élaborée. La HAS avait de son côté choisi de se lancer dans la description d’une entité jusqu’alors inédite, forgeant le nouveau terme de « symptomatologie persistante polymorphe post-possible piqure de tiques ». Or cette expression ne reposait pas sur grand-chose scientifiquement parlant. Plus ennuyeux : elle présentait l’inconvénient d’ancrer les patients dans la conviction que tous leurs maux venaient de cette piqûre de tique, ce qui ne leur rend vraiment pas service (l’ancrage est le mécanisme psychologique qui correspond à la difficulté à se départir d’une première impression).

Pragmatiques et consensuelles, elles sont très proches de celles proposées par les sociétés savantes des pays voisins (Suisse, Belgique, Allemagne, Royaume-Uni), de celles publiées en Amérique du Nord. Espérons qu’elles permettront d’améliorer la prise en charge de ces patients, en proposant des repères solides aux médecins qui les reçoivent en consultation.

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