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Le train Reseau express métropolitain (REM) à la sortie du centre-ville de Montréal, le 8 décembre 2023. La Presse canadienne/Christinne Muschi

Mégaprojets : la centralisation est-elle une garantie d’efficacité ?

Québec prépare une réforme majeure en matière de grands projets publics. L’objectif : construire plus vite et moins cher. Cette réforme s’appliquerait pour tous les contrats d’infrastructures du Québec : écoles, hôpitaux, transports collectifs.

La future agence des transports devrait être au cœur de cette réforme. Son mandat principal sera de livrer les projets en minimisant les coûts et les risques, et en collaborant davantage avec les entreprises impliquées.

Cette annonce a suscité des réactions mitigées de la part de l’opposition et des syndicats. De son côté, le Conseil du Trésor serait a priori réfractaire à l’idée de ne pas assujettir les projets de cette future Agence au cadre de gouvernance en place.

À première vue, la nouvelle orientation du gouvernement du Québec, qui vise à assouplir les règles et permettre davantage de flexibilité pour les modes de réalisation collaboratifs, apparaît positive et souhaitable. Mais est-ce qu’une nouvelle structure, une agence centralisée, est vraiment LA solution à retenir pour améliorer la performance de nos projets ? Est-ce réellement la solution optimale pour gérer les projets de transport collectif au Québec ?

Spécialiste de la question de la gouvernance des projets majeurs d’infrastructures publique, ici comme à l’international, je souhaite apporter quelques éléments qui devraient être pris en compte dans cette réflexion.


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Le cadre de gestion actuel des grands projets publics au Québec

À la suite de l’explosion des coûts du projet de prolongement du réseau de métro à Laval, en 2007, (de 179 millions à 809 millions de dollars), le vérificateur général avait produit un rapport qui recommandait « d’adopter un cadre de gestion pour les grands projets publics, appuyé sur un processus de planification rigoureux et sur les meilleures pratiques dans le domaine, afin d’encadrer l’approbation, la gestion et le contrôle de ces projets, y compris leurs risques ».

La vice-première ministre et ministre des Transports du Québec, Geneviève Guilbault, annonce un plan de transport en commun le 3 novembre 2023 à Québec. La Presse Canadienne/Jacques Boissinot

La première mouture de cette politique-cadre existe depuis 2008 et s’appliquait aux projets en partenariat public-privé. Elle a depuis été modifiée en 2010, pour inclure tous les projets majeurs de plus de 40 millions de dollars, peu importe leur mode de réalisation. La Directive sur la gestion des projets majeurs d’infrastructure publique de 2014 a relevé ce seuil aux projets de 50 millions de dollars. Elle n’a pas évolué depuis.

Les lois et encadrements législatifs actuels, notamment la Directive, sont donc datés.

Cependant, avant toute réforme, le gouvernement devrait diffuser l’évaluation de ce cadre de gouvernance, et évaluer les projets d’infrastructures réalisés et assujettis, comme cela ce fait dans les pays tels que la Norvège, la Suède et le Danemark


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Les cadres de gouvernance sont essentiels

Cela fait plus de 20 ans que la question du cadre de gouvernance est étudiée, déployée et évaluée au Québec.

Les fonctions essentielles d’un cadre de gouvernance sont d’assurer la légitimité et l’imputabilité des projets comme leur efficience, dans une optique de saine gestion des dépenses publiques. Les études montrent que les cadres de gouvernance ont permis d’assurer une optimisation des fonds publics, par exemple en Norvège. Au Royaume-Uni, des échecs flagrants comme High Speed 2 amènent des questionnements légitimes autour de leur gouvernance. Le patron du National Audit Office, Gareth Davies, a récemment suggéré de retirer ces grands projets du giron ministériel pour suggérer qu’ils soient contrôlés de manière centralisée au Cabinet Office and Treasury, soit l’équivalent du secrétariat du Conseil du Trésor. Il estime qu’une refonte de la gouvernance pourrait leur faire économiser 20 milliards de livres sterling.

Cependant, ce qu’un cadre de gouvernance ne peut pas faire, c’est de prévenir les ingérences politiques dans les projets. Je suis loin d’être convaincue qu’une Agence y parviendra.

Plusieurs projets au Québec cheminent plutôt bien. C’est le cas du Nouveau Complexe hospitalier de Québec, des programmes de construction de maison des aînés ou des écoles secondaires.

Les principaux problèmes sont au niveau du transport collectif.

Une problématique interne au ministère des Transports

En 2006, le viaduc de la Concorde s’est effondré à Laval, entraînant la mort de cinq personnes et en blessant six autres. Le rapport de la Commission Johnson blâmait notamment le ministère des Transports. Ce dernier s’était alors engagé à amorcer « un virage important ».

En 2017, un nouveau rapport du Vérificateur général du Québec faisait état de nombreuses lacunes dans la gouvernance du ministère des Transports du Québec, multipliant les contrôles en dé-responsabilisant les fonctionnaires.

Le ministère s’était justifié en invoquant une démarche de transformation organisationnelle qui devait produire ses effets à terme, en 2020.

À la suite de l’évaluation du cadre actuel par le secrétariat du Conseil du Trésor, amorcé il y a trois ans, aucun rapport public n’a été produit et l’exercice est resté plutôt hermétique. Au-delà du constat d’échec soulevé par les modes d’approvisionnements traditionnels, qui avaient été dénoncés depuis la Commission Charbonneau, quels sont les constats, les problématiques et les pistes d’amélioration en lien avec la gouvernance ?

Une réforme d’une aussi grande ampleur exigerait d’être transparente et d’exposer clairement les problématiques et pistes de solution pour assouplir le cadre existant, plutôt que d’imposer une solution qui n’en est peut-être pas une.

Le métro de Montréal. Les principaux problèmes dans la gestion des mégaprojets au Québec sont au niveau du transport collectif. La Presse canadienne/Paul Chiasson

Imputabilité et transparence

Selon Gabriel Jobidon, un collègue expert de la question avec qui je viens de publier un article sur la livraison des grands projets publics, le cadre de gouvernance n’est peut-être pas adapté, mais il permet une forme d’imputabilité, de suivi et de transparence.

Selon nous, la création d’une agence autonome réduirait la responsabilité de la ministre des Transports, notamment sur le plan politique. Ce déficit serait partiellement comblé par l’imputabilité du dirigeant ou de la dirigeante de l’agence devant l’Assemblée nationale, mais d’une façon plus sommaire.


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Partir des compétences et expertises existantes en matière de transport

Revoir la structure est une solution facile et visible, qui permet à court terme de donner l’effet qu’on est dans l’action.

Cependant, les réformes structurelles majeures peuvent causer de grands dommages, tel que cela a été montré et dénoncé en santé.

Les projets de transport collectif sont des investissements lourds, complexes, coûteux et qui prennent du temps à aboutir. Ils nécessitent des expertises interdisciplinaires allant de l’ingénierie au développement territorial.

Les sociétés de transport (notamment la STM) ont développé cette expertise en transport collectif. Il me semble qu’on devrait les mettre à contribution pour articuler les projets structurants du futur.

Il faudrait ainsi partir des compétences et capacités actuelles pour évoluer vers l’amélioration continue, en misant sur de nouveaux pouvoirs au besoin, mais surtout en adoptant une démarche de gestion du changement.

Créer une vision partagée et favoriser l’acceptabilité sociale

Nos recherches démontrent qu’il faut partir de la vision à créer autour du projet et rallier les intérêts souvent divergents des nombreuses parties prenantes. Au-delà de collaborer avec les parties privées, le gouvernement devrait s’assurer d’inclure des mécanismes de participation citoyenne et de la société civile dans ses projets, pour améliorer les solutions retenues et favoriser l’acceptabilité sociale. Des leçons sont à tirer du REM de l’Est, ou de la méga-usine de batteries Northvolt.

Pourquoi viser une agence centralisée, sans l’ancrage local et territorial requis pour ce type de projets ? Dans ce dossier, comme dans plusieurs dossiers chauds au gouvernement, on aurait intérêt à ouvrir la discussion, et consulter davantage la société civile et les experts.

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