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Avec d'autres MOF, le chef français Philippe Etchebest assiste à l'enterrement du chef français Paul Bocuse, lui aussi MOF, à la cathédrale Saint-Jean de Lyon, le 26 janvier 2018. Paul Desmazes / AFP

Meilleurs Ouvriers de France : un siècle d’excellence artisanale

Depuis quelques jours, le célèbre chef au col bleu blanc rouge, Philippe Etchebest (MOF cuisinier 2000), promeut sur les réseaux sociaux le centenaire du concours « Un des Meilleurs Ouvriers de France » (« UMOF » ou « MOF ») qui se déroulera à Lyon du 6 au 9 juin 2024.

Si l’acronyme « MOF » parle à un certain nombre de personnes, les origines de ce concours, la variété des métiers représentés et les conditions d’obtention de ce titre sont encore assez peu connus du grand public. Or, en un siècle, près de 10 000 femmes et hommes ont remporté cette consécration, symbole de l’excellence artisanale française et modèle unique au monde.

Aux origines du concours

Le concours MOF – initié par Lucien Klotz, journaliste et critique d’art, qui en a l’idée dès 1913 – a vu le jour en 1924. Il est né de la crainte de la dévalorisation des métiers manuels, de leur disparition progressive et face au développement de la mécanisation. L’idée alors est de promouvoir l’artisanat, pérenniser les savoir-faire, susciter des vocations, favoriser l’apprentissage, distinguer une élite des métiers manuels et promouvoir l’excellence.

Chantal Wittmann, lauréate Meilleurs Ouvriers de France catégorie Maître d’hôtel, des Service et des Arts de la Table en 2011. Romane Lesellier/Agence Balthazar

Aujourd’hui, plus de 200 métiers manuels sont concernés par ce concours, répartis en 17 groupes. Le premier, les métiers de la restauration, comprend les cuisiniers, catégorie la plus connue, à l’image de Paul Bocuse. Cependant, le concours concerne de nombreux autres métiers, plus éloignés des médias, comme le MOF ciselure, joaillerie ou orfèvrerie, mais aussi le MOF ébénisterie, restauration de céramiques ou vitraux d’art. Régulièrement, de nouvelles catégories sont créées comme le MOF Fromager en 2000 ou le MOF Barman en 2011. Cette grande diversité des métiers est révélatrice de la richesse artisanale française et le diplôme atteste l’acquisition d’une haute qualification professionnelle.

Le concours MOF – qui a lieu tous les trois ou quatre ans – est organisé par le COET-MOF (Comité d’Organisation des Exposition du Travail) qui délivre, sous l’égide du Ministère de l’Education Nationale, un diplôme d’État de niveau 5 (Bac +2). Pour y participer, il faut être âgé de 23 ans minimum, parler et écrire le français.

La réalisation d’un « chef d’œuvre »

Les candidats doivent réaliser un « chef d’œuvre » sur un sujet imposé ou un thème donné. Deux types d’évaluations existent : la première que l’on nomme « en direct » ou « en loge » est pour les épreuves qui sont réalisées et notées sur place (comme les pâtissiers ou les fromagers…) ; la seconde, le « chef-d’œuvre » est créé en amont et ensuite présenté au jury par exemple pour la maçonnerie ou la menuiserie.

Chef d’œuvre de Christelle Lorho MOF fromager 2019.

Ce sont principalement – avec quelques variables en fonction du type d’évaluation – la dextérité, la connaissance des techniques modernes et traditionnelles, le savoir-faire et la créativité, le sens de l’esthétique, la précision des gestes, la vitesse d’exécution, le choix des matières premières et l’organisation des candidats qui sont évalués, et ce par des professionnels, des formateurs et des MOF. Le concours se déroule généralement sur deux années avec les épreuves qualificatives la première année et les épreuves finales la seconde.

D’autre part, ce concours n’a ni classement, ni nombre de places limitées. Il faut valider un certain nombre d’unités au cours des différentes épreuves pour obtenir le titre. Seuls les candidats ayant prouvé une maîtrise technique totale, et une excellence professionnelle extrême sont déclarés MOF. II peut donc y avoir de 0 à plusieurs lauréats selon les années. La sélection est assez drastique : par exemple, en 2022, sur plus de 500 inscrits au MOF cuisine, seuls 8 hommes ont réussi le concours. D’ailleurs il est intéressant de noter que seuls 15 % de femmes ont le titre MOF, toutes catégories confondues.

Une fois le titre obtenu, les médailles sont remises à la Sorbonne lors d’une première cérémonie. Une seconde a ensuite lieu à l’Élysée en présence du président de la République – lui-même détenteur honoris causa du titre, depuis le mandat du président Albert Lebrun (1932-1940). Les lauréats peuvent alors arborer la médaille et le col bleu-blanc-rouge. La médaille représente un personnage debout, de profil, avec un compas et comporte la devise « Joie – Travail – L’enseignement technique aux Meilleurs Ouvriers de France. » Le col bleu-blanc-rouge, lui, a été popularisé par Paul Bocuse (MOF cuisinier 1961) qui souhaitait afficher sa distinction, le port de la médaille étant impossible en cuisine.

Tous deux symbolisent l’excellence artisanale et sont un gage de qualité et de savoir-faire exceptionnels, ainsi qu’un superbe outil de promotion et accélérateur de carrière, aussi bien en France qu’à l’étranger. D’ailleurs, seuls les titulaires du titre MOF ont le droit d’utiliser le sigle, le logo ou la charte graphique du COET-MOF.

De nombreux MOF expliquent aussi que même s’ils éprouvent une grande fierté de le porter, le regard des autres change souvent à la vue du col tricolore, que les attentes deviennent très grandes et qu’ils ont le sentiment de devoir être irréprochables en toute circonstance, ce qui leur met souvent une très forte pression. Un MOF pâtissier me confiait : « Le col bleu-blanc-rouge crée une vraie attente. Toi, tu es toujours le même, mais les gens ne te regardent plus de la même façon », tandis que pour un autre, « Une fois la collerette passée autour du cou, on pourrait penser que tout est fini et pourtant, cela ne fait que commencer. Une fois le titre gagné, il faut l’assumer. »

La charte des MOF

La Charte des MOF
La Charte des MOF.

Une fois titré, le lauréat peut adhérer à la société nationale des MOF, aujourd’hui présidée par Jean-François Girardin (MOF cuisinier 1993). Elle rassemble plus de 1500 adhérents et gère aussi le concours « un des meilleurs apprentis de France » (MAF). Elle a pour but de protéger le titre, de contribuer à la définition des critères de sélection et de promouvoir ses valeurs que l’on retrouve à travers leur charte. Chaque MOF a ainsi pour mission de faire progresser sa profession, de guider la nouvelle génération d’artisans dans sa quête de l’excellence, d’apprendre de nouvelles techniques tout en protégeant les traditions et accorde une grande place à la transmission.

Le concours MOF est un concours d’une extrême difficulté qui nécessite des mois, voire des années de préparation intense. Il faut savoir se dépasser, avoir un mental d’acier et être passionné. De nombreux sacrifices sont nécessaires, aussi bien en terme de temps que d’argent, personnellement et professionnellement. Un MOF charcutier expliquait :

« J’ai sacrifié du temps, ma vie de famille, des moments de joie et de partage avec les amis ou la famille. C’est des moments que l’on ne rattrape pas. »

L’implication du conjoint, de la famille, de l’employeur, des collègues et des autres MOF peut aussi aider à décrocher le titre. Par contre les échecs, souvent très cuisants, demandent du temps pour être surmontés. Certains d’ailleurs se présentent plusieurs fois sans jamais décrocher le saint graal.

Enfin, si de nombreux MOF interrogés font un parallèle entre ce concours et les Jeux Olympiques pour les sportifs, c’est parce que ce concours est plus qu’une simple compétition, c’est un modèle unique qui permet d’encourager l’excellence, et de promouvoir le savoir-faire artisanal français.


Note de l’autrice : dans le cadre de mes recherches sur ce concours, j’ai interviewé 50 MOF des métiers de la restauration et de l’alimentation.

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