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Mesdames du bâtiment : quelle place pour les artisanes dans ce « milieu d’hommes » ?

Les femmes artisanes amènent souvent avec elles une meilleure ambiance sur les chantiers. Shutterstock

Clothilde Coron, professeure en sciences de gestion à l’Université Paris-Saclay, observe dans ses travaux que les femmes subissent toujours deux sortes de ségrégation dans les activités professionnelles : verticale, c’est le célèbre plafond de verre ; horizontale, certaines activités leur restant difficiles, si ce n’est impossibles, d’accès. Le secteur du bâtiment fait partie de ces dernières.

Quelques tentatives de féminisation ont été lancées, mais force est de constater qu’elles portent peu leurs fruits. Ainsi, le nombre de femmes stagne aux alentours de 12 % dans le bâtiment. Les femmes restent en outre cantonnées dans les bureaux, les activités commerciales, et éventuellement des activités de finition, des postes réputés féminins. Elles ne sont que 1,6 % à travailler sur les chantiers.

Depuis les années 2000, de nombreuses études en management ont observé la place des femmes dans le bâtiment, y compris en France. La plupart des résultats s’avèrent peu encourageants entre identification d’un plafond de verre ou conclusions telles que « elles doivent travailler deux fois plus dur pour faire leurs preuves ». On recense à la fois des freins psychologiques et des freins physiques à la présence de femmes sur les chantiers. Toutes ces études, toutefois, se sont penchées sur le cas de femmes salariées dans le bâtiment. Dans notre travail de thèse, nous avons voulu observer l’intégration de femmes dans le bâtiment, non pas en tant que salariées, mais en tant qu’artisanes.

Une bonne surprise !

L’artisanat est un milieu qui peine également à faire place aux femmes. Si des efforts sont déployés par les instances représentatives, la part de femmes stagne aux alentours de 25 %. Certains métiers restent plus particulièrement très difficiles d’accès. Les femmes artisanes du bâtiment seraient au mieux 4 %. Nous avons donc cherché à savoir si les artisanes étaient bien accueillies dans ce milieu d’hommes, en tant que cheffes d’entreprises. Les artisanes que nous avons rencontrées sont toutes des femmes de terrain, et sont régulièrement sur les chantiers au contact des autres artisans et des clients.

À l’issue de nos travaux, nous avons fait un constat inattendu au regard des études mentionnées précédemment : les femmes, artisanes du bâtiment, s’avèrent plutôt bien accueillies par les hommes artisans. Julia, électricienne nous explique par exemple :

« Oui, ça se passe très, très bien. Avec les plaquistes, les maçons… il n’y a pas de soucis. »

Plusieurs facteurs l’expliquent. Premièrement, les artisanes sont majoritairement impliquées dans des travaux de rénovation, ou sur des chantiers de taille moyenne. On y retrouve ainsi beaucoup moins d’hommes, qui par ailleurs sont eux aussi chefs d’entreprises artisanales. Il n’y a donc pas – autant – d’effet « de meute » que sur des opérations plus vastes.

Le deuxième point est que le bâtiment est un secteur en tension : des artisans qui pourraient embaucher un peu ne trouvent pas forcément la main-d’œuvre qualifiée qu’ils recherchent. Collaborer et sous-traiter des chantiers à une artisane motivée et compétente est une solution parfaitement viable pour ces artisans hommes. C’est ce que Faustine, électricienne a observé :

« Quand on change de région, il faut quand même retrouver du travail. Et quand on n’est pas connue, c’est un peu compliqué. Ici, les électriciens étaient contents que j’arrive, parce qu’ils manquaient de main-d’œuvre : j’ai saisi l’occasion. »

Enfin, la présence de femmes sur ces chantiers est aussi bien perçue, car l’ambiance devient alors différente, chose déjà constatée par Agnès Paradas, chercheuse à l’université d’Avignon, et ses collègues. Une satisfaction pour Sabine, peintre :

« En tant que femme, comme on est un peu la mascotte, c’est vraiment super bien de se dire qu’on a le pouvoir de pouvoir faire quelque chose de positif et d’amener une bonne ambiance positive, de pousser les garçons à avoir envie de travailler parce qu’ils vont être dans cette ambiance. »

Bref, pour ces femmes, l’intégration parmi les artisans hommes se passe plutôt bien.

Déconstruisons quelques clichés

Faire place des femmes dans le bâtiment reste néanmoins chose difficile, notamment à cause des préjugés. Nous avons abordé durant nos entretiens la difficulté physique des métiers. S’il ressort que ces femmes ne prétendent pas avoir la force physique d’un homme, cela ne leur pose absolument aucune difficulté. Car les hommes aussi ont du mal à accomplir certaines tâches seuls, et s’aident entre eux. Lucille est couvreuse et nous explique :

« Quand on travaille dans une ambiance qui est saine et qu’il y a du respect, quand ça ne devient pas une compétition, tout le monde n’est pas en train de regarder si on va y arriver ou pas. On demande de l’aide, et cela se fait sans problème : il n’y a pas de souci, on n’est jamais coincée parce qu’on est une femme et qu’on ne peut pas y arriver. »

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Il n’y a donc aucune tâche qui ne peut être accomplie par une femme sur un chantier. Même si Orbiane reconnaît qu’en maçonnerie, avec son petit gabarit cela a été parfois difficile, elle accomplit son travail aussi bien que les hommes :

« On fait ce qu’on peut physiquement, on se fait aider, il ne faut pas hésiter à aller sur un élévateur. »

Certaines ne manquent d’ailleurs pas d’ingéniosité pour accomplir des tâches qui sont physiquement éprouvantes, y compris pour des hommes. Ainsi, Théodora, charpentière, lève ses charpentes à la corde plutôt que de les porter et de risquer blessures et accidents de travail. Elle utilise cette méthode, pour le plus grand plaisir de ses salariés – des hommes :

« Le levage à la corde, c’est toute une institution : on lève comme ça et eux ils ne lèveraient jamais autrement. Ils y ont tellement pris goût que c’est un jeu, c’est un plaisir. Le jour où on sort les cordes, on est tous des gamins ».

Ces femmes que nous avons rencontrées, même dans des métiers difficiles, sont la preuve que le bâtiment aurait tout à gagner à accueillir en nombre des femmes, dans tous les métiers. Nous faisons nôtres les mots de la sociologue Stéphanie Gallioz :

« les femmes ont toujours occupé des emplois à fort taux de pénibilité requérant force et résistance (agricultrice, aide-soignante). Mais dans ces cas-là, cette pénibilité peut être plus ou moins minorée, voire ignorée. »

Si une femme peut s’occuper d’une personne âgée seule, d’animaux d’élevage seule, elle est assurément et sans aucun doute possible en mesure de monter un mur de parpaing seule, et aussi bien qu’un homme. Rappelons également à toutes fins utiles que durant les guerres, les femmes ont toujours suppléé les hommes partis au front, dans tous les secteurs.

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