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Mieux connaître l’embryon pour mieux lutter contre l’infertilité

Chaque année, des milliers d’enfants sont conçus grâce à la fécondation in vitro. Son taux de réussite demeure pourtant largement améliorable. Shutterstock

Depuis 40 ans, les moyens médicaux mis à la disposition des couples infertiles pour les aider à devenir parents ont considérablement évolué, notamment grâce à la fécondation in vitro (FIV). Désormais mise en œuvre dans tous les pays du monde, celle-ci est à l’origine de la naissance de millions d’enfants. En 2016, 20 000 des enfants nés en France avaient été conçu par FIV, soit 1 sur 40. Actuellement, dans chaque école française, un ou plusieurs élèves sont issus de ce mode de procréation.

Cependant, malgré les progrès accomplis au cours des dernières décennies, la FIV reste une technique insuffisamment efficace : en 2016, on dénombrait seulement 19 % de naissances par tentative en France. La FIV est en outre contraignante, et parfois risquée pour les femmes comme pour les enfants, pour trois raisons principales : la nécessité de répéter les tentatives, le besoin d’administrer des traitements hormonaux, et le fait qu’elle génère un taux élevé de grossesses multiples, qui augmente les risques de naissance prématurée.

C’est pourquoi, partout dans le monde, on cherche à améliorer les résultats de la fécondation in vitro. Pour cela, la piste qui est le plus souvent privilégiée est double : améliorer les conditions du développement des embryons au laboratoire, et mieux apprécier les caractéristiques des embryons pouvant être transférés en étant susceptibles de donner naissance à un enfant en bonne santé. Pour explorer en profondeur ces deux axes, la recherche est indispensable.

La majorité des embryons créés par FIV sont incapables de se développer

D’après le dernier bilan établi par l’Agence de la biomédecine, en 2016, 297 744 embryons ont été créés à partir des 60 635 tentatives de FIV intraconjugales pratiquées en France. Parmi eux, seulement 146 582 (49 %) ont été soit transférés immédiatement dans l’utérus de la future mère, soit congelés dans le but d’un transfert ultérieur éventuel. Le développement des autres a été arrêté car ils présentaient des anomalies morphologiques incompatibles avec une évolution normale.

Parmi les embryons jugés les plus aptes et transférés dans l’utérus, seuls 16,5 % ont conduit à la naissance d’un enfant. On peut donc conclure que l’immense majorité des embryons (plus de 90 %) sont incapables de se développer et s’autodétruisent. Comprendre pourquoi autant d’embryons créés par FIV sont anormaux nécessite des recherches non seulement à leur niveau, mais aussi sur les cellules germinales qui sont à leur origine (spermatozoïdes et ovocytes).

Il peut s’agir de travaux fondamentaux pour la compréhension des mécanismes du développement embryonnaire et de ses dysfonctionnements. Or, ils ne peuvent être menés que sur des embryons humains donnés à la science. En effet, à ce stade, les modalités du développement embryonnaire sont différentes chez l’animal et chez l’être humain, ce qui limite considérablement l’utilisation d’embryons d’animaux pour ce type de recherche.

Mieux identifier les embryons les plus aptes à se développer

L’idéal serait de ne transférer qu’un seul embryon dans l’utérus, afin de supprimer le risque de grossesse multiple tout en assurant le maximum de chance d’obtenir la naissance d’un enfant. Depuis quelques années, de gros efforts sont faits pour atteindre cet objectif.

Des techniques de vidéomicroscopie permettant de suivre en continu le développement des embryons tout en les maintenant dans leurs conditions de culture ont été mises au point. Elles permettent de mieux identifier les caractères morphologiques de l’embryon associés à la naissance d’un enfant vivant. Mais l’amélioration des résultats de la FIV dépend aussi en grande partie des autres moyens dont on pourrait disposer pour analyser des marqueurs biologiques (c’est-à-dire des composants cellulaires, chromosomiques ou moléculaires) permettant de mieux identifier les embryons les plus aptes à de développer.

Ces marqueurs peuvent être mesurés soit dans le milieu de culture dans lequel les embryons ont séjourné, soit directement à leur niveau, en prélevant une ou plusieurs cellules. On sait que ce type de prélèvement, lorsqu’il est pratiqué sur un embryon âgé de 3 jours ou au 5e jour du développement (stade appelé « blastocyste »), n’est pas un handicap majeur pour son développement ultérieur.

Enfin, des microtechniques très performantes permettant d’analyser l’état métabolique, moléculaire ou génétique des embryons ont également été mises au point.

Des recherches à mener sur l’embryon

L’identification de ces marqueurs nécessite des recherches, soit sur les embryons jugés anormaux et non transférables, soit sur des embryons congelés mais ne répondant plus à un projet parental et qui ont été donnés à la science. Il s’agit de recherches précliniques : à ce stade les embryons ne sont pas transférés dans l’utérus.

La technique qui a été la plus étudiée jusqu’à présent est l’analyse de la composition chromosomique des embryons, afin de détecter des anomalies du nombre de chromosomes (aneuploïdie). Parfois encourageants, les résultats sont cependant discutés au sein de la communauté scientifique et médicale.

Que ce soit pour la recherche d’aneuploïdie ou pour l’étude d’autres marqueurs, une fois qu’une méthode a été mise au point, la dernière étape de la recherche implique le transfert des embryons dans l’utérus de volontaires. Celui-ci se fait dans le cadre d’essais randomisés contrôlés (étude consistant en une répartition aléatoire des sujets (randomisation) parmi les groupes correspondant à chaque approche thérapeutique testée) qui visent à évaluer l’intérêt de ladite méthode. Des protocoles internationaux sont régulièrement initiés dans ce but.

Malheureusement les médecins et chercheurs français ne peuvent pas y participer, malgré les évolutions de notre législation depuis 25 ans. Aujourd’hui encore, ils ne peuvent entreprendre des recherches pour améliorer l’évaluation préimplantatoire de l’aptitude au développement embryonnaire (EPADE).

Simplifier la réglementation

L’objectif de l’EPADE est d’identifier l’embryon ayant les meilleures chances de conduire à la naissance d’un enfant en bonne santé. Il ne s’agit bien évidemment pas de sélectionner un embryon à la recherche de l’enfant parfait, mais d’éviter de devoir transférer plusieurs embryons, avec le risque de grossesses multiple qui s’ensuit, comme c’est encore trop souvent le cas.

Si la recherche sur l’embryon n’est plus interdite en France depuis 2013 et si, depuis 2016, « des recherches biomédicales menées dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation peuvent être réalisées […] sur l’embryon in vitro avant […] son transfert à des fins de gestation » (article L2151-5 du Code de la santé publique), dans les faits, rien n’est possible.

Plusieurs raisons à cela :

  • une législation et une réglementation particulièrement inadaptées et se prêtant aux interprétations les plus diverses et aux contestations devant les tribunaux. Cette situation freine les chercheurs, qui « s’autocensurent » par crainte de décisions judiciaires annihilant tous leurs efforts ;

  • des procédures d’examen des protocoles de recherche aussi complexes qu’incertaines. Celles-ci prévoient en effet de faire délivrer les autorisations de recherche par deux organismes différents, les recherches fondamentales et précliniques étant autorisées par l’Agence de la Biomédecine, les recherches avec transfert potentiel des embryons étant autorisées par l’Agence nationale de sécurité du médicament, organisme en charge des études des nouveaux médicaments et produits de santé faites chez les personnes. Or cette dernière n’a pas l’expertise nécessaire à l’évaluation des protocoles de recherche concernant l’intérêt de marqueurs embryonnaires, qui ne sont ni des médicaments ni des produits de santé.

  • l’absence de financements.

Ces problèmes empêchent la conduite de recherches permettant l’évaluation préimplantatoire de l’aptitude au développement embryonnaire. Or, en augmentant les chances de grossesse et donc en diminuant le nombre de tentatives de FIV nécessaires pour réaliser le projet parental, en diminuant le risque de grossesse multiple et de naissance prématurée qui l’accompagne, son développement ne pourrait qu’être bénéfique aux femmes et à leurs enfants.

La prochaine révision de la loi relative à la bioéthique serait une bonne opportunité d’élaborer une réglementation plus simple, tout en restant scientifiquement et éthiquement exigeante.


Pour en savoir plus :

Jouannet P., Baertschi B., Guérin J.-F. (2019), « Recherches sur l’embryon : dérive ou nécessité ? », éditions Inserm/Le Muscadier, coll. « Choc santé »

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