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Migrants à Paris : la capitale française est-elle hypocrite ?

Des familles attendent d'être évacuées sous le regard de la police, après que leur camp ait été détruit par les autorités, parc de La Villette à Paris, le 28 aout 2019. Martin BUREAU / AFP

La capitaine du navire Sea Watch 3, Pia Klemp, poursuivie par la justice italienne et risquant jusqu’à 20 ans de prison pour avoir secouru les femmes, hommes et leurs enfants qui se risquaient à parcourir la Méditerranée, a refusé de recevoir la médaille Grand Vermeil que souhaitait lui remettre la mairie de Paris.

L’affaire a suscité un vaste débat cet été en France, alors que Pia Klemp a accusé la ville de Paris d’hypocrisie.

« Votre police vole les couvertures de gens contraints de vivre dans la rue, pendant que vous réprimez des manifestations et criminalisez des personnes qui défendent les droits des migrants et des demandeurs d’asile. Vous voulez me donner une médaille pour des actions que vous combattez à l’intérieur de vos propres remparts. »

Comment les villes, premier point d’accueil des migrants, demandeurs d’asile et réfugiés, sont-elles habilitées à agir contre les incohérences de la politique migratoire européenne ?

L’asile et l’immigration : des compétences régaliennes

Bien que les forces de police – municipales ou nationales, aient pu être impliquées dans de tels actes dirigés contre les migrants à Paris comme MSF le rapportait en 2017, la réponse d’Anne Hidalgo, soulignant que la politique migratoire relève du gouvernement et non de la ville est pourtant relativement juste.

Paris n’a ainsi ni pouvoirs de police, ni pouvoir législateur. N’étant pas une entité autonome, elle exerce ses compétences dans un cadre précis et circonscrit, sous le contrôle de l’État qui est garant de l’application du droit national et international.

En France, le droit d’asile est un droit consacré au niveau constitutionnel, conventionnel et législatif, également encadré par le droit européen et le droit international.

L’État français est tenu de prendre en charge l’hébergement des demandeurs d’asile, de verser une allocation pour subvenir à leurs besoins primaires, de prendre en charge l’accompagnement administratif et social durant l’instruction de leur demande d’asile, et de couvrir les soins médicaux basiques par la couverture maladie universelle (CMU).

Camp de migrants démantelé, Paris, janvier 2019 (Euronews).

Dès l’obtention du statut de réfugié ou de protection subsidiaire, l’État se doit également d’apporter une assistance en matière d’hébergement et d’accompagnement pour l’intégration de ces réfugiés, les collectivités locales pouvant renforcer cette action avec leurs propres dispositifs, sur une base volontariste et dans la mesure des moyens disponibles et/ou mis à disposition par l’État.

Non-respect des obligations de l’État

En dépit de ses obligations d’hébergement, en France un demandeur d’asile sur deux n’est pas hébergé. En conséquence, ils se tournent vers des dispositifs d’hébergement d’urgence de droit commun, eux-mêmes saturés, et se retrouvent souvent à la rue.

Ainsi en avril 2019, Anne Hidalgo et douze autres maires de France ont lancé un appel à l’État dénonçant l’indécence des conditions de traitement des réfugiés et demandeurs d’asile, aux cotés de la bâtonnière de Paris Marie-Aimée Peyron, qui soutient ce bras de fer entre la ville et l’État.

Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a régulièrement publié des avis conseillant aux États membres, dont la France, de renforcer la protection des droits humains des migrants et de veiller à ce que les migrants sans papiers et leurs enfants aient accès aux droits fondamentaux, en particulier le droit à des soins de santé et à l’éducation.

La marche solidaire pour les migrants Vintimille-Londres, arrive à Paris. Jeanne Menjoulet/Flickr, CC BY-SA

Dans un avis publié en 2018 concernant la situation des migrants à la frontière franco-italienne, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a confirmé les insuffisances déjà connues en matière d’accès à l’hébergement, aux soins et aux droits. Ce rapport déplore

« l’inaction de l’État pour permettre un premier accueil digne des personnes migrantes venant de franchir la frontière, laissé à la seule générosité des citoyens, parfois même en opposition avec l’État. »

Pour la CNCDH, le gouvernement français bafoue les droits fondamentaux, renonce au principe d’humanité et se rend même complice de parcours mortels.

Les villes : entre compétences limitées et initiatives humanistes

Comme l’a rappelé le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe en mars 2017,

« Si ce sont les gouvernements nationaux qui tiennent les rênes des politiques d’immigration, c’est généralement aux collectivités locales qu’il incombe d’appliquer la politique nationale, ayant la responsabilité de recevoir, d’accueillir et d’intégrer les nouveaux arrivants ainsi que les groupes défavorisés. »

En dépit du caractère régalien des domaines de l’asile et de l’immigration, les collectivités locales peuvent s’appuyer sur de nombreux engagements de l’État en matière d’accès aux droits et de non-discrimination.

Elles peuvent ainsi invoquer, la Déclaration universelle des droits de l’homme ou encore le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, juridiquement contraignant, pour proposer des actions et développer des initiatives « pilotes » ou « innovantes », et plaider en faveur d’un appui de l’État à ces actions.

En mettant en place programmes et politiques d’aide et/ou de soutien, certaines collectivités dérogent ainsi à leurs directives minimalistes par conviction morale, éthique ou encore économique et affichent leur résistance envers leur politique nationale et la politique européenne.

Philippe Douste-Blazy, conseiller spécial auprès de l’ONU en discussion aec la maire de Lampedusa, Giuseppina Maria Nicolini, qui a un engagement de longue date sur les questions migratoires. Frontière croato-hongroise, village de Baranjsko Petrovo Selo, 2015. Elvis Barukcic/AFP

Par exemple en 2012, la maire de Lampedusa Giuseppina Nicolini indignée par la situation humanitaire occasionnée par les naufrages fréquents d’embarcations de migrants sur l’île italienne est à l’origine de l’opération nationale de sauvetage Mare Nostrum, qui a été par la suite suivie d’un programme européen poursuivant le même objectif – bien que sans le même enthousiasme.

En 2015, le maire de Grande-Synthe Damien Carême a de son propre chef décidé de reloger plus d’un millier de réfugiés jusque-là hébergés dans ce que l’on a appelé « le camp de la honte », malgré l’opposition des services préfectoraux hostiles à ce transfert de réfugiés.

Strasbourg a quant à elle lancé en 2015 avec ses villes partenaires de Catane et Rovereto le Réseau européen des villes solidaires, dont l’objectif est de développer des initiatives favorables à l’accueil et à l’intégration digne des personnes réfugiées.

La liste des démarches de ces villes avides d’étendre leur assistance aux populations migrantes dans le besoin est loin d’être exhaustive.

Damien Carême, maire de Grande-Synthe jusqu’au 3 juillet 2019, et désormais député européen s’exprime pour Konbini.

Le Conseil de l’Europe est l’un de leurs principaux partenaires et aide à l’élaboration de stratégies visant à contrer les vides moraux et juridiques du système d’asile européen. Comme il l’a rappelé en 2017 :

« Dans une situation de crise où le gouvernement central tarde à prendre des mesures concrètes, il est de la responsabilité́ des collectivités locales de s’assurer que les droits humains fondamentaux des réfugiés arrivant dans leur communauté́ soient préservés. »

Cependant, sans pouvoir législateur et tributaires de fonds limités et compétitifs, les villes se heurtent à un système qui souvent ne leur permet pas de réagir à hauteur des droits et des besoins.

Les villes tributaires de « Dublin III »

La politique européenne d’asile repose par ailleurs sur le règlement dit de Dublin. Celui-ci stipule que la prise en charge des demandeurs d’asile doit être la responsabilité du pays d’entrée sur le territoire européen – sauf dans des cas précis de réunification familiale, et impacte ainsi démesurément les états d’Europe du Sud.

L’Italie et la Grèce, sévèrement affectées par la crise économique, les récessions et les mesures d’austérité imposées par l’UE, s’érigent contre ce règlement qu’elles jugent inégalitaire. Leurs ressources administratives sont sous extrême pression. En conséquence, les délais de traitement des demandes atteignent parfois des années et les conditions de vie souvent inhumaines de ces centres sont sans cesse dénoncées par le HCR et autres ONG.

Si l’UE a essayé de mettre en place un système de répartition « équitable » de 2015 à 2017, les États membres ont très rarement remplient leurs quotas de relocalisation et le système n’a pas été reconduit ; en plus, ils n’ont pas non plus veillé à ce qu’un soutien adéquat soit acheminé vers les pays en première ligne.

Salon de coiffure pour migrants à Paris (2017). Jeanne Menjoulet/Flickr, CC BY-SA

Souvent par faute de moyens ou en réaction à l’injustice de Dublin III, ces premiers pays d’entrée laissent les demandeurs d’asile aller dans d’autres pays de l’UE, l’accord de Schengen autorisant théoriquement la libre circulation des personnes (bien que des contrôles aux frontières aient été réinstaurés), parfois sans même relever leurs empreintes digitales ce qui est pourtant imposé par Dublin III.

Les campements insalubres établis dans des villes comme Paris accueillent des migrants ayant une grande variété de statuts juridiques – comme des réfugiés ou des déboutés du droit d’asile, mais également tous ceux dont la demande d’asile est en cours de traitement dans le premier pays d’accueil. Dans le cas de ces « dublinés », les villes se retrouvent souvent dans des limbes administratives puisque la responsabilité du traitement des demandes d’asile relève de la juridiction d’un autre pays. Il devient alors impossible pour les municipalités de faire pression sur leur propre gouvernement afin de veiller au respect des droits de ces « dublinés », dont le sort dépend de la juridiction d’un autre pays.

La capitale s’érige contre la politique d’asile nationale et européenne

Si la capitale française a sans doute beaucoup à faire, il n’en reste pas moins que la ville s’érige particulièrement contre la politique nationale en matière d’asile et de migration.

Depuis le début de son mandat la maire de la capitale est souvent allée à l’encontre de l’État, accusant la France « de ne pas être au rendez-vous de son histoire » et déplorant les conditions inhumaines dans lesquelles bien trop de migrants sont contraints de vivre.

Anne Hidalgo reçoit le jeune Malien Mamoudou Gassama, ancien migrant sans papiers, qui avait sauvé un enfant des flammes en mai 2018. Gassama a été naturalisé français par le président de la République suite à son geste. Francois Guillot/AFP

En 2015, la communauté de Paris a mis en place le premier Plan de mobilisation pour l’accueil des réfugiés, fort de 18 engagements portés par une centaine d’acteurs différents, et cherchant à construire un projet global d’accueil et d’accompagnement des réfugiés pour relever le défi de Paris Ville Refuge.

Depuis 2018, un collectif mené par Anne Hidalgo et une centaine de signataires demandent également la révocation de Dublin III et un partage équitable des demandeurs d’asile non seulement entre les pays de l’UE, mais aussi entre les régions de France.

La même année, plus de 15 000 migrants ont été mis à l’abri suite à de multiples opérations d’urgence décidées par la préfecture.

En plus du plan d’urgence pour les campements lancé par la maire et douze de ses confrères, elle a soumis en 2017 une proposition de loi pour favoriser l’accueil et l’intégration des migrants, ayant donné lieu à la loi – très édulcorée du 10 septembre 2018.

En 2019, Anne Hidalgo a également annoncé que la municipalité parisienne était en train de « travailler à la création d’un fonds de dotation » pour que les entreprises privées puissent également s’engager pour la cause des réfugiés, en tant que mécène.

Symbole et lieu du pouvoir politique, Paris est-elle trop durement accusée par la Capitaine du Sea-Watch 3 ? Refuser de recevoir toute médaille démontre la grande humilité d’un engagement humain prodigieux ; mais l’hypocrisie dénoncée ne devrait-elle pas plutôt se tourner vers le manque de moyens économiques et juridiques donné aux villes et envers la politique migratoire des États de l’UE ?

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