La politique migratoire est un thème important de l’élection présidentielle, cependant parfois occulté, et d’autres fois, au contraire, mis en exergue. Ni le silence, ni la polémique ne sont pourtant de mise sur un tel enjeu. L’analyse rigoureuse des projets des candidats permet de prendre du recul sur ce sujet sensible.
Ceux des 11 candidats ont été soigneusement examinés sur leurs sites de campagne. Les termes associés au phénomène migratoire et diasporique y ont été systématiquement relevés puis classés sur une grille d’analyse. Les résultats que livrent cette revue exhaustive ne sont pas sans surprise : les candidats qui parlent le plus de la question migratoire ne sont pas toujours ceux que l’on croit et ce qu’ils en disent est parfois inattendu (voir tableau 1).
Le tableau ci-dessus expose en six colonnes, pour chacun des onze candidats :
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le recensement des principaux termes référant au thème migratoire [Immigr* = immigrant(e)(s), immigré(e)(s), immigration ; Migr* = les termes précédents, plus les suivants : migrant(e)(s), émigré(e)(s), migration(s), émigration, migratoire(s)]
le nombre de pages consacrées à ce thème ;
la part relative de ce nombre dans l’ensemble du programme (en pourcentage) ;
enfin, si la question migratoire apparaît de façon prioritaire ou secondaire dans l’ordre de présentation thématique du programme.
Ainsi peut-on constater de façon comparative comment chaque discours aborde (ou non) cette importante question politique.
Dupond-Aignan et Macron aux opposés
La majorité des candidats accordent une certaine importance au thème migratoire, qui représente entre 1 % et presque 4 % de l’ensemble de leur discours. Ce n’est guère anodin compte tenu du grand nombre de points soulevés par tous les programmes.
Il est évoqué de 0 à 50 fois selon les candidats. Trois d’entre eux n’y prêtent cependant aucune – ou seulement très peu – d’attention : Jean Asselineau la laisse comme question référendaire à l’extrême fin de son programme tandis qu’Emmanuel Macron préfère l’aborder de façon incidente par celle de l’intégration.
C’est l’inverse pour Nicolas Dupond-Aignan, tant en nombre de mentions, que pour l’importance relative dans l’ensemble de son discours et la quantité élevée de pages consacrées à cette question ainsi que la priorité accordée dans le déroulé de son argument électoral. Marine Le Pen le rejoint dans ces derniers aspects, mais elle mentionne beaucoup moins le fait et en développe très peu les mesures correspondantes, comparativement.
Le retour du clivage gauche-droite
Par ailleurs, la dénomination utilisée dans les projets n’est pas neutre. Pour certains (Le Pen, Dupond Aignan), la question migratoire est essentiellement celle de l’immigration, c’est-à-dire de l’entrée sur le territoire national. Elle est, par conséquent, centrée sur la France comme pays récepteur.
Pour d’autres (Hamon, Mélenchon), la migration est perçue comme un phénomène plus large et plus général, qui ne concerne pas que le pays. Une corrélation existe entre la priorité portée à la question migratoire dans le programme électoral, son importance relative dans le discours et sa qualification sous le terme d’immigration. Ainsi, plus la vision est centrée sur la France, plus le thème est mis en exergue.
Enfin, le clivage droite-gauche est globalement significatif sur l’utilisation de ce terme. La désignation de l’immigration par les candidats se réclamant de la gauche est minimale ou allusive (dénonciation de la répression, dans les discours de Nathalie Arthaud ou Philippe Poutou), tandis qu’elle est majorée et prise comme un fait objectif dont les manifestations doivent être contrôlées, par ceux de l’autre bord. Entre autres, le programme de François Fillon égrène précisément les mesures drastiques de contention du phénomène devant une situation française (chômage, logement, déficit) laissant une marge de manœuvre réduite.
Veine humaniste chez Hamon et Mélenchon
Certains associent la situation internationale et notamment la coopération – le terme de « co-développement » revenant dans plusieurs programmes – à celle des mobilités humaines. Lorsque l’immigration est minimisée, ce sont plus les migrants acteurs – heureux ou malheureux – du développement durable qui sont mis en avant. Le programme de Jean‑Luc Mélenchon souligne la difficile condition migrante et la solidarité qu’elle doit induire de notre part, rejoignant en cela les discours internationalistes de Nathalie Arthaud et Philippe Poutou. Benoît Hamon prolonge cette veine humaniste en réinscrivant les flux migratoires dans une dynamique mondiale, notamment Sud-Sud et non seulement polarisée vers le Nord, à traiter de façon notamment régionale.
Mais, d’une façon générale, la migration apparaît plus souvent comme un problème – humanitaire, sécuritaire ou autre – que comme une chance ou une opportunité. Fait révélateur : elle est souvent associée – inconsciemment ou non – avec les problèmes cruciaux que sont le terrorisme, le radicalisme islamique ou l’exclusion sociale avec ses conséquences. En effet, la proximité des thèmes dans les discours de la plupart des candidats – quel que soit leur bord – est notable.
Enfin, un seul candidat – Jacques Cheminade – adopte le terme de diaspora, pour évoquer le rôle positif collectif de ces migrants dans la mondialisation partagée et le potentiel qu’il revêt. Sans nier les risques liés à une migration incontrôlée, il souligne les aspects positifs de la mobilité des hommes et sa nécessité dans la situation démographique actuelle, pour répondre demain aux besoins du marché du travail.
Limites conceptuelles
En définitive, globalement, le lexique du discours électoral est ici classique et peu innovant. La rhétorique varie à l’évidence considérablement, entre les appels à l’internationalisme et à son opposé. Mais les concepts opératoires autour des notions de réseau, de communautés transnationales, de liens à distance, et de transferts de toutes sortes de valeurs, ne sont guère mobilisés.
Apparaissent là un décalage frappant entre le vécu des migrants ainsi que de leurs nombreux partenaires aujourd’hui et les référents identitaires mobilisés dans la sémantique politique traditionnelle, telle que reflétée dans la plupart des programmes.
En définitive, si l’analyse transversale de ces derniers fait bien apparaître des divergences fondamentales entre les candidats, elle les renvoie également dos à dos quant à leurs limites conceptuelles et faiblesses d’innovation.