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Un revenu universel à travers le monde peut-il réellement changer la façon dont le travail est perçu ? Moyan Brenn/Flickr, CC BY-ND

« Money for nothing » : l’heure du revenu de base universel a-t-elle sonné ?

« Money for nothing » (« de l’argent pour rien ! »), au-delà d’une simple chanson des Dire Straits sortie en 1985, l’expression court actuellement sur toutes les lèvres, au cœur des débats politiques et des programmes proposant d’instituer des salaires de base aux citoyens, quelle que soit leur activité économique.

Ainsi, à travers le monde, des expérimentations du revenu universel sont mises en place, les gouvernements explorant la possibilité de verser un salaire aux personnes à taux forfaitaire, indépendamment de leur participation au marché du travail. Inconcevable ?

Nombreux sont ceux qui réclament un revenu universel dans le monde, ici, à Berlin en 2013. Stanjourdan/Flickr, CC BY-SA

Au premier abord, on pourrait penser que les bénéficiaires resteront chez eux à regarder la télévision toute la journée. Mais en observant de plus près la façon dont les économies ont évolué ces dernières décennies, on peut comprendre comment de telles politiques ont pu émerger. Dans de nombreuses économies avancées, les espoirs d’augmentation de salaires, de stabilité et de prospérité dont les générations précédentes ont pu profiter, se sont détériorés.

Une réponse à l’économie des « marges »

Beaucoup vivent désormais en marge de l’économie, avec des périodes d’emploi (et de revenu) par intermittence en raison du recours aux contrats zéro-heure, de périodes répétées de chômage ou juste des salaires très bas. Ces bas revenus ont des conséquences négatives sur les individus, leurs familles et la sociétéen général.

« Sans asile, ou les expulsés », 1848, Paris. Fernand Pelez/

Les partisans du revenu universel, tels que l’auteur et chercheur Guy Standing, évoquent depuis longtemps l’émergence d’une classe précaire (le précariat), plus affectée que d’autres par le contexte d’insécurité croissante. Son expansion, d’après Standing, remet en question la structure de la société, la solidarité intergénérationnelle et la cohésion sociale. En effet, la désillusion croissante envers la pensée économique conventionnelle, comme on a pu l’observer avec les votes pour le Brexit et Trump, démontre le potentiel de déstabilisation des ordres économiques et politiques surannés, à partir du moment où le nombre de laissés-pour-compte devient trop important.

Une solution partielle contre un tel désenchantement pourrait donc être une redistribution qui prenne en compte les méthodes de travail modernes, dont l’économie des petits boulots ou l’économie collaborative. Un revenu de base pourrait offrir une certaine protection contre les insécurités et la précarité croissantes d’une économie majoritairement composée d’emplois à temps partiel, à court terme et flexibles où l’employeur est distant et prend peu de responsabilités sociales, comparé à un patron traditionnel.

L’expérience finlandaise

Afin de répondre aux questionnements sur l’encouragement à l’oisiveté d’un revenu de base, Kela, l’organisme de sécurité sociale finlandais vient de lancer une expérimentation pour tester la faisabilité du revenu de base universel.

Ce programme, qui s’étalera sur deux ans, a sélectionné au hasard 2 000 demandeurs d’emploi finlandais, âgés de 25 à 58 ans, qui recevront un revenu de base de 560 euros. Ce salaire de base remplacera leur allocation chômage et sera versé pendant les deux années entières, que le bénéficiaire recherche un emploi ou non et qu’il retrouve du travail ou pas. Même si ces expérimentations ne pourront jamais vraiment reproduire l’impact d’une telle mise en œuvre au niveau national (comme les conséquences sur les communautés et les secteurs industriels, ou les effets sur les projets à long terme des individus et des familles), ce test représente une nouvelle avancée vers ce qui semble être l’avènement de l’ère du revenu de base universel.

Des expérimentations similaires ont eu lieu en Inde, au Canada et sont en discussion en France.

Récemment, la région Aquitaine a en effet proposé de tester l’octroi d’un revenu existant (le Revenu de Solidarité Active) de façon inconditionnelle, sans exigences ou contreparties d’activité professionnelle.

Ce projet n’est pas à un stade aussi avancé que celui développé en Finlande mais une étude de faisabilité est en cours avec une mise en place prévue en 2018, si un financement peut être trouvé. D’autre part, le Sénat a récemment publié un rapport et s’est engagé à étendre les expérimentations.

Créer plus de solidarité

Ces innovations, originaires de pays nordiques, cherchent à faire face aux défis du changement économique tout en garantissant la solidarité au sein de leurs populations. Que ce soit les congés aménagés innovants ou la promotion de la paternité la Suède, la Finlande, la Norvège et dans une moindre mesure le Danemark, sont souvent précurseurs en matière de politiques sociales même si ces dernières apparaissent au premier abord trop onéreuses ou « farfelues ». Avant d’être largement plébiscitées par la suite.

Un dispositif de revenu de base comporte également un certain nombre davantages pratiques. Bien qu’il semble paradoxal de verser à tous un montant forfaitaire au lieu d’identifier ceux qui en ont « besoin », le coûtde l’évaluation, du remplissage de dossier et du contrôle des prestations versées sous condition de ressource est considérable. En outre, la stigmatisation créée autour de tels régimes peut diminuer les demandes des plus précaires. À titre d’exemple, presque la moitié seulement des personnes pouvant bénéficier du RSA ou d’autres avantages sociaux n’y ont pas recours.

Les études sur les expérimentations précédentes attestent également de retombées positives du revenu de base en termes de santé et d’atténuation des problèmes sociaux. Ce n’est peut-être pas surprenant étant donné qu’il existe depuis longue date un nombre important de recherches qui démontrent les conséquences négatives de la précarité et du chômage sur le bien-être des personnes et sur celui de leurs familles.

Tandis que certains critiquent le revenu de base au motif que le travail offre des avantages non financiers, nous savons que les dispositifs de prestation actuels pour les chômeurs créent souvent un effet dissuasif à l’acceptation d’emplois, piège de l’aide sociale. Donner les moyens de pouvoir prendre des emplois temporaires et à bas salaires dans l’économie actuelle pourrait peut-être permettre aux personnes de profiter des avantages sociaux et de bien-être apportés par le travail (même peu rémunéré), sans risquer de perdre un revenu vital.

Changer la nature du travail

La politique du paysage économique du XXIe siècle doit répondre à l’évolution du monde du travail, en particulier pour les plus démunis de la société. Si des pays comme la France réfléchissent à des essais sur le revenu de base, il sera important de tirer les leçons des expérimentations à travers le monde, tout en réfléchissant bien aux conséquences qui pourraient être plus difficiles à évaluer.

.“Un. Suman/pixabay

Par exemple, il reste à prouver que le revenu de base, octroyé à tous et non à un simple échantillon, peut augmenter le pouvoir de négociation des travailleurs précaires afin d’améliorer leurs paies et leurs conditions de travail.

Ou encore, que le revenu de base pourrait en réalité subventionner les employeurs de l’économie des petits boulots et du contrat zéro-heure en compensant l’insuffisance des salaires qu’ils versent. Tandis que le premier effet possible cité serait un bienfait évident du revenu de base, le second demande d’apporter une plus grande attention à la façon dont le salaire universel est subventionné et s’il existe des moyens de demander une participation financière aux sociétés qui profitent d’un marché du travail plus flexible.

L’expérimentation finlandaise répondra quant à elle, dans une certaine mesure, à des interrogations précises concernant les propositions de revenu de base. Que ce dispositif encourage plus efficacement à la recherche d’emploi et à l’embauche que les allocations chômages conditionnelles ou non, il y a encore d’autres questions sans réponse mais également beaucoup plus de résultats positifs possibles à considérer.


Traduction de l’anglais par Gaëlle Gormley.

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