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Municipales 2020 : les Verts doivent transformer l’essai à l’échelle métropolitaine

Le candidat Europe Ecologie Les Verts de la métropole de Lyon, Bruno Bernard après sa victoire, le 28 juin 2020. JEFF PACHOUD / AFP

Les élections municipales ne sont pas terminées ! Une nouvelle étape décisive va se jouer d’ici la mi-juillet, au sein des métropoles cette fois. Les conseillers métropolitains vont devoir élire les président·e·s et vice-président·e·s, former des majorités et s’accorder sur des programmes d’action pour les six années à venir.

Dans les villes qu’ils ont conquises, comme Bordeaux ou Strasbourg, ou conservées, comme Grenoble, les écologistes ne peuvent se contenter du contrôle des institutions municipales. La capacité d’action, les ressources, les compétences et l’expertise se trouvent ailleurs : au sein des métropoles. S’ils n’ont pas la main sur cette échelle ou s’ils échouent à construire des majorités claires porteuses de projets ambitieux avec leurs alliés de gauche, ils risquent de perdre le bénéfice de leur percée du 28 juin dernier.

Un tournant historique

À bien des égards, les succès des listes menées par les écologistes dans les grandes villes françaises constituent un tournant historique, même s’ils ont été obtenus sur fond de forte baisse de la participation.

Il faut remonter aux élections municipales de 1977 pour retrouver un tel tremblement de terre électoral. À l’époque, la razzia des listes d’Union de la gauche (Parti socialiste–Parti Communiste) sur les grandes villes avait été préparée par la montée en puissance des « nouvelles classes moyennes », elle-même engendrée par le développement de l’État-providence dans les années 1960 et 1970.

Même si la faiblesse de la participation commande la prudence dans l’analyse, la percée écologiste de 2020 s’explique-t-elle aussi par les profondes transformations qui ont affecté les sociétés urbaines dans les dernières décennies : renouvellement générationnel, marginalisation de la bourgeoisie traditionnelle liée au commerce à la petite industrie au profit de populations à fort capital culturel. Les changements électoraux du 28 juin sont la traduction de la montée en puissance des groupes socioprofessionnels pour qui l’expérience de la ville est à la fois source de gratifications symboliques et carburant vital pour l’activité professionnelle, qu’on les appelle « bobos » ou « classes créatives ».

Ces groupes sont souvent à l’origine des processus de gentrification qui, qu’on le veuille ou non, ne sont pas étrangers aux victoires des Verts dans les grandes villes.

Conjurer le spectre de l’écogentrification

Aujourd’hui, un certain nombre de voix, à droite mais pas uniquement pointe le risque d’un enfermement des municipalités à dominante écologique sur l’échelle municipale.

On les soupçonne de vouloir mener des politiques – comme l’interdiction de la voiture ou le moratoire sur l’urbanisation – qui ne bénéficieront qu’aux habitants des villes-centres et pénaliseront tous ceux qui viennent tous les jours y travailler et que la cherté de l’immobilier a repoussés en périphérie.

À leur corps défendant, les municipalités vertes s’apprêteraient à orchestrer une sorte d’« écogentrification », à transformer les villes centres en « clubs » inaccessibles au nom de l’urgence climatique. De fait, on le sait, la piétonnisation, la « tramwayisation », voire le verdissement des villes participent du renchérissement de l’immobilier et peuvent avoir un effet d’éviction des populations les plus pauvres.

Tramway à Bordeaux, le 10 octobre 2019. Georges Gobet/AFP

Mais celles et ceux qui se trouvent sur les listes conduites par les Verts le savent aussi. Ils ont donc fait l’effort de greffer d’ambitieuses mesures sociales et démocratiques sur le socle des propositions environnementales qui constituent le « fond de jeu » des écologistes. En matière de logement en particulier, certains candidats se sont notamment engagés pour un moratoire sur les expulsions locatives, comme à Strasbourg, ou encore sur l’encadrement des loyers, comme à Bordeaux.

Penser et agir métropolitain

Ainsi, l’ancrage de l’écologie politique à gauche, dont les alliances scellées à l’occasion des municipales sont le témoin, a permis aux Verts de s’affranchir d’un tropisme environnementaliste qui conduisait parfois les écologistes à perdre de vue les enjeux de justice sociale.

Mais il est un autre tropisme dont les Verts devront se défaire pour pouvoir déployer leur programme et le rendre plus socialement équitable : le tropisme municipal. Si les écolos veulent changer la ville, ils doivent penser et agir métropolitain.

La réduction de la place faite à l’automobile et le développement du réseau cyclable dans les villes-centres ne peuvent se faire qu’en garantissant un accès à celles-ci aux habitants des banlieues par le développement des transports collectifs ou des véloroutes. Le moratoire sur les programmes immobiliers dans les zones denses ne peut pas être synonyme d’arrêt pur et simple des constructions neuves, au risque de nourrir l’inflation immobilière et les effets d’éviction. Il faut donc trouver ailleurs dans les métropoles ou dans les villes moyennes des alentours des sites permettant de construire des logements dans le respect des objectifs environnementaux. Tout cela se pense et s’organise à l’échelle des métropoles.

« Love is in the RER » : les élus écologistes devront aussi rapidement prendre en compte les besoins des habitants des banlieues, comme en ici en région parisienne. Ludovic Etienne/Flickr, CC BY-NC-ND

Or, pour se projeter à l’échelle métropolitaine, les Verts ne sont pas en position de force, sauf à Lyon qui dispose d’un système électoral spécifique et où les élections ont donné l’avantage aux écologistes et à leurs alliés à la fois dans la ville-centre et au conseil métropolitain.

À Bordeaux, le groupe écologiste ne peut compter que sur 29 sièges sur les 104 que compte l’assemblée métropolitaine. Ils sont donc dépendants de l’alliance avec le groupe PS fort de 32 élus.

À Grenoble, la situation est légèrement plus favorable pour le groupe EELV-LFI qui est le plus nombreux de l’assemblée. Mais avec 33 sièges sur 119, on est loin de la majorité absolue.

À Strasbourg, quatre communes enverront des délégués écologistes à l’assemblée de l’Eurométropole pour un total de 44 sièges sur 99. Ils constituent de loin le premier groupe mais dépendent là encore de l’appoint des socialistes, passablement affaiblis cependant avec seulement 9 conseillers, pour constituer une majorité.

Pour bénéficier d’une capacité d’action à l’échelle métropolitaine, les nouveaux maires écologistes devront s’allier à d’autres forces politiques. Lesquelles et selon quelles modalités, c’est là un enjeu dont on parle très peu et qui est pourtant aussi crucial que la victoire aux municipales. Les conseillers métropolitains écologistes et leurs alliés de gauche sont confrontés à un choix entre deux manières de constituer un pouvoir d’agir : la coalition entre maires ou la majorité métropolitaine.

Petits arrangements entre maires

La première formule est celle vers laquelle les pousseront probablement les barons socialistes locaux, mais aussi bien entendu, les élus de droite. Ici, l’idée est de fonder l’action intercommunale sur le consensus entre les maires.

C’est alors le bureau ou la conférence des maires qui est l’instance décisionnelle et non pas l’assemblée métropolitaine. La formule a l’avantage de ne pas léser les communes ; elle a l’inconvénient de déboucher sur des compromis qui permettent rarement la mise en œuvre d’orientations politiques ambitieuses en termes de mobilités, d’urbanisme ou d’habitat.

Le marchandage à huis clos entre maires prévaut –« à toi le prolongement d’une ligne de tram, à moi le financement pour une piscine »- au détriment de tout projet territorial d’ensemble. Le tout dans la plus totale opacité démocratique.

À Bordeaux, c’est cette formule qui a toujours prévalu depuis la création de la Communauté urbaine devenue métropole en 2015 et que l’on qualifie sobrement de « cogestion ».

Elle a débouché sur une incapacité de l’intercommunalité à contrôler la périurbanisation, à juguler l’explosion du trafic automobile, à rééquilibrer la distribution du logement social dans l’espace métropolitain et a doté l’agglomération d’un réseau de tramway dont les extensions ont toujours été davantage dictées par des considérations politiques que par des impératifs de mobilités.

C’est pourtant la formule qui a les faveurs d’un Alain Anziani, maire PS de Mérignac, partisan du développement de l’aéroport situé sur sa commune et du maintien de la navette Air France qui le relie à Orly, et candidat à la présidence de la métropole discrètement soutenu par les maires LR et LREM.

Alain Juppé (alors maire de Bordeaux, UMP) et le sénateur Alain Anziani (PS) signent une charte de co-gestion de la métropole bordelaise en 2014. Jean‑Pierre Muller/AFP

À Grenoble, c’est Christophe Ferrari qui incarne cette défense de la cogestion. Maire de la commune du Pont-de-Claix, ancien membre du parti socialiste, il préside Grenoble Métropole depuis 2014 à la tête d’un groupe baptisé « Agir pour un développement intercommunal et solidaire » (ADIS) qui fédère les maires de 25 communes, apparentés socialistes ou communistes ou dirigeant des petites communes sans étiquette partisane.

Ce groupe s’est clairement constitué pour contenir l’influence de la ville-centre, dirigé par une alliance EELV/FI avec à sa tête Eric Piolle. Aujourd’hui, Christophe Ferrari entend bien maintenir cet attelage malgré la progression des Verts dans la métropole.

Faire le pari du jeu majoritaire à l’échelle métropolitaine

La seconde formule impliquerait l’imposition d’un rapport de force majoritaire à l’échelle des métropoles. Ici, le programme d’action de l’intercommunalité serait le fruit d’un accord entre groupes capables de former une majorité – les Verts et le PS essentiellement – et aurait vocation à s’imposer aux communes dirigées par des équipes appartenant à l’opposition intercommunale – droite, centre et divers droite.

Le centre du pouvoir glisserait du bureau des maires vers le conseil métropolitain. Cette formule permettrait de mettre les puissantes technostructures métropolitaines au service d’un projet de territoire clairement affiché. Elle organiserait une certaine relégation du pouvoir municipal au second plan mais elle aurait le mérite de donner plus de visibilité à l’espace politique métropolitain, là où les compétences et les ressources d’action sont aujourd’hui concentrées.

Pour l’heure, cette seconde formule semble avoir les faveurs de Pierre Hurmic, nouveau maire EELV de Bordeaux mais aussi de Clément Rossignol Puech de la métropole), maire écologiste réélu à Bègles. Toutefois, en s’affranchissant ainsi de la tradition de la « cogestion », ils risquent de se heurter à une coalition improbable entre notables socialistes ou de droite qui ne veulent ni d’un président écologiste à la métropole ni d’une formule majoritaire.

À Strasbourg, l’échec de la fusion entre les listes EELV et socialiste entre les deux tours s’explique par le refus de Jeanne Barseghian de reconduire la gestion intercommunale au consensus face à une Catherine Trautman voulant prendre la présidence de la métropole et reconduire la cogestion.

À Grenoble, cette conception plus politisée de la gouvernance métropolitaine est portée par Yann Mongaburu, élu grenoblois, membre de l’équipe sortante d’Eric Piolle, et qui entend bien débaucher quelques-uns des maires du groupe ADIS pour constituer une majorité métropolitaine claire et faire voler en éclats les petits arrangements intercommunaux entre maires.

Démocratiser les métropoles

Les ambitions démocratiques que les Verts ont affichées lors de la campagne ne doivent pas les conduire à se rétracter sur les échelles du proche, des municipalités notamment. La mise en œuvre de leurs ambitions de changer la ville doit les conduire à se projeter au niveau métropolitain. C’est seulement à cette échelle que les enjeux de maîtrise de l’urbanisation, de logement, de mobilités, d’alimentation, de complémentarité ville-campagne et tant d’autres encore, peuvent être pris en charge.

Pour déployer leurs ambitions à ce niveau les Verts devront s’appuyer sur des majorités claires et idéologiquement cohérentes, porteuses de vrais projets de territoire. Ils devront pour cela pouvoir compter sur la capacité des élus socialistes à sortir des logiques de la cogestion et des marchandages occultes entre maires.

Ce serait une première étape vers la démocratisation des métropoles. La seconde sera l’élection au suffrage universel direct des conseils métropolitains. Mais sur ce point, les élus locaux n’ont pas la main et la balle est dans le camp du législateur.

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