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No gender, body positivisme : le « femvertising » bouscule-t-il vraiment les codes du genre ?

La décision du groupe Hasbro vide à lutter contre les stéréotypes de genre. Michael Kovac / Getty Images via AFP

Le « femvertising » (contraction de feminism et advertising), c’est cette tendance forte qu’ont les marques à s’engager pour la cause des femmes. Deux sujets sont à l’honneur : le « body positivisme » qui lutte contre les diktats de la beauté et l’objectification des femmes, et le « no gender » qui refuse en bloc le marketing genré et les stéréotypes de genre qui en découlent – à l’instar du jouet « Monsieur Patate » qui change de nom pour « Tête de Patate » afin de ne plus apparaître comme genré.

Mais si la fémininité objectifiée et le marketing genré sont critiqués, ils font toujours partie du paysage, et les résultats de nos recherches laissent penser qu’ils ne sont pas près de disparaître. En témoignent ces marques qui font le grand écart entre message de surpuissance et de surféminité, à l’image de Wonder Woman super-héroïne sexy et dénudée.

Un discours féministe schizophrène

Le discours féministe des marques a commencé avec le « body positivisme » qui a pour ambition de lutter contre la grossophobie, le jeunisme, le racisme, voire même libérer les poils des aisselles des femmes, réelles ou virtuelles. Suivant le sillon creusé par la marque de produits d’hygiène et de cosmétiques Dove au début des années 2000 avec sa campagne #RealBeauty, nombreuses sont les marques qui affirment aujourd’hui vouloir lutter contre l’idéal de beauté stéréotypé et sexualisé.

Publicité #RealBeauty de Dove (2017).

Ce discours s’étend désormais à l’identité genrée. À l’image de la marque Juliette has a gun, qui vend des parfums non genrés et ne joue pas sur le registre féminin traditionnel en choisissant des noms de parfums comme Vengeance extrême ou Calamity Jane plutôt que des noms de fleurs.

Cette récupération commerciale de la soif de liberté et d’empowerment des femmes n’est pas une nouveauté, mais la position militante et féministe des marques a pris une tout autre dimension ces dernières années. Authentique ou pas, ce discours résonne auprès des jeunes générations qui ne supportent plus les inégalités de genre, le sexisme, et les femmes-objets.

Mais ce discours d’empowerment ne serait-il pas schizophrène ? On montre les poils sous les aisselles, certes, mais le maillot intégral continue d’être légion. On célèbre la diversité des corps, mais avec un ventre plat et des cuisses fuselées.

On prône le #Nomakeup, mais on rajoute des filtres. On s’insurge face au marketing genré, mais les produits continuent d’être marketés de manière différente en fonction du genre (du dentifrice aux voitures).

Le nouvel idéal féminin devient ainsi une femme hybride : à la fois forte et belle, ambitieuse avec des talons, déterminée mais fluette, puissante mais féminine – à l’instar des icônes sollicitées par des marques de luxe, qui doivent être engagées, avec une forte personnalité, en plus d’être jeunes et jolies, comme les actrices Emma Watson (Lancôme), Jennifer Lawrence (Dior) ou Kristen Stewart (Chanel).

Publicité Dior avec Jennifer Lawrence (2018).

Malgré la mise en scène d’une beauté féminine, certes plus diverse et inclusive, il est étonnant de voir toujours autant de modèles à la beauté idéalisée dans la publicité et on peut être surpris de voir toujours autant de lancements de produits qui sont genrés, en dépit de la mise au ban de ce type de marketing.

Les résultats de nos recherches permettent de mieux comprendre cette communication schizophrène qui continue, de manière plus ou moins subtile, à mettre la pression sur l’apparence physique des femmes et leur féminité.

Le pouvoir de la féminité

Au cours de trois recherches, nous avons exposé des consommatrices à des publicités mettant en scène des modèles à la beauté naturelle (comme dans les publicités Dove, c’est-à-dire avec des corps variés, plus ou moins jeunes, et peu sexualisés) ou des modèles à la beauté idéalisée (c’est-à-dire minces, stéréotypés, jeunes, et sexualisés).

Les résultats montrent que certaines femmes peuvent rejeter les modèles naturels et rechercher au contraire l’exposition à des modèles féminins idéalisés, même lorsqu’elles savent que les images ont été retouchées, et même lorsque ces modèles idéalisés suscitent de la jalousie et une compétition intrasexuelle imaginaire.

Les consommatrices cherchent probablement à se comparer à des modèles au physique idéal, car elles en retirent un bénéfice. Aussi irréaliste et douloureuse que puisse être cette comparaison, elle leur permet de se mesurer à des rivales sexuelles imaginaires, et à tenter probablement de les copier (en achetant les produits qu’elles promeuvent par exemple).

Nous avons également analysé les bénéfices conférés par les produits genrés pour les consommateurs au cours de deux autres études. Les résultats de la première recherche révèlent que les produits genrés peuvent augmenter l’attractivité physique et la désirabilité de leurs propriétaires, en renforçant le signal de féminité ou de masculinité envoyé aux autres.

Cela s’explique par le fait que les consommateurs utilisent les produits qu’ils possèdent afin de signaler des caractéristiques individuelles (comme un physique plus ou moins genré, mais aussi une personnalité plus ou moins genrée) et le marketing genré peut renforcer le signal de ces caractéristiques.

Les produits genrés sont des stimuli qui exagèrent les caractéristiques sexuellement dimorphiques du corps humain (par exemple, les produits plus petits et aux formes rondes reflètent le corps et le visage féminins) mais aussi – comme le montrent les résultats de la deuxième étude – des traits de personnalité perçus comme plus ou moins féminins.

En exagérant le signal genré émis, ces produits augmentent le dimorphisme sexuel perçu – qui est un des piliers de l’attractivité physique – mais aussi la personnalité genrée imaginée de leurs propriétaires.

Si les modèles à la beauté idéale et les produits genrés continuent d’être préférés par certaines consommatrices, nous ne sommes pas prêts de les voir disparaître du paysage publicitaire et de nos rayons. Le distributeur Sephora, qui vend des parfums et des produits cosmétiques, l’a très bien compris avec son slogan accrocheur « le pouvoir infini de la beauté », qui met en avant la beauté mais sur fond de femvertising.

Campagne publicitaire de Sephora « The unlimited power of beauty » (2020).

Plusieurs études réalisées à travers le monde montrent que les hommes accordent une plus grande importance à l’attractivité physique de leurs partenaires que les femmes, en particulier la jeunesse et la fémininité qui sont des signes de fertilité. Les femmes étant fertiles uniquement jusqu’à un certain âge et uniquement quelques jours par mois, les hommes cherchent inconsciemment des indices de cette fertilité. Ces dernières sont donc récompensées lorsqu’elles communiquent ce signal – qu’il soit honnête ou pas.

Cela explique en partie pourquoi les femmes se concurrencent davantage entre elles en termes d’apparence physique (jeunesse et fémininité) et pourquoi les marques qui ciblent la gente féminine peuvent bénéficier de la présence d’un jeune modèle féminin physiquement attractif, même dans le cas d’une publicité féministe.

Ce n’est pas une vérité que l’on aime entendre. Mais tant que la majorité des hommes préférera les femmes jeunes et féminines, la majorité des femmes continuera d’admirer les modèles jeunes et féminins et d’acheter des produits genrés qui leur permettent de signaler cette fémininité.

Une nouvelle image de la femme

Ces préférences moyennes ne représentent bien sûr pas celles de tous les hommes, ni de toutes les femmes. Le femvertising est ainsi plus inclusif, moins sexiste, moins hétéronormé et s’adapte surtout au désir de la nouvelle génération de signaler des valeurs plus progressistes. Car si certaines femmes hétérosexuelles continueront de signaler leur attractivité physique et leur fémininité pour plaire au sexe opposé, elles souhaitent désormais également véhiculer l’image de femmes fortes, libres et indépendantes.

Les femmes sont aujourd’hui plus diplômées que les hommes dans 140 pays dans le monde. La publicité s’adapte donc aux nouvelles aspirations de ces femmes éduquées et indépendantes qui souhaitent projeter l’image de femmes libérées et conquérantes – mais toujours sexy, à la Wonder Woman. C’est l’avènement du féminisme féminin, un empowerment à talons et rouge à lèvres.

Le marketing n’a pas d’idéologie, il n’est que le miroir grossissant des désirs des consommateurs. Tant que les consommatrices désirent être féministes tout en restant jolies et qu’elles en retirent un bénéfice, les marques continueront de vendre cet idéal. Si tant de marques s’engagent dans le femvertising, c’est parce que cela fonctionne et que les clientes en redemandent. Finalement, les consommatrices sont à l’origine de ce femvertising ambivalent.

Le femvertising apparaît ainsi comme une tendance de fond dans le paysage marketing, qui véhicule une fémininité plus conquérante mais toujours sexy. Cette tendance ne fera pas disparaître les modèles à la beauté idéalisée, ni les produits genrés. Les mouvements « body positivisme » et « no gender » qui accompagnent le femvertising sont simplement une troisième voie (salutaire) face à la tyrannie de la binarité du genre.

Si cette tendance bouscule les codes du masculin/féminin, il ne les fera cependant pas disparaître : elle permet juste aux femmes de placer le curseur là où elles le souhaitent sur le continuum du genre. Comme le fait le groupe Hasbro avec le lancement d’une nouvelle famille patate non-genrée, en précisant bien que Monsieur et Madame Patate ne disparaîtront pas – seuls leurs appellatifs genrés sont supprimés.

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