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On a retrouvé les tortues géantes disparues des Galapagos

L’une des vénérables habitantes des pentes du mont Wolf sur l'île Isabela. Luciano Beheregaray, Author provided

Au large des côtes équatoriennes, les îles Galapagos sont mondialement connues pour avoir inspiré à Darwin sa théorie de l’évolution. Elles abritent une flore et une faune d’une richesse exceptionnelle, à l’image de ces tortues géantes, considérées comme les plus grands animaux terrestres à sang froid.

Les tortues géantes ont longtemps prospéré dans cet archipel de l’océan Pacifique. Il en existait une quinzaine d’espèces évoluant au gré de la formation volcanique des îles. À la suite de l’arrivée des premiers hommes, quatre espèces disparurent.

Nous sommes rentrés il y a quelques semaines d’une expédition aux Galapagos dont l’objectif était de retrouver deux de ces espèces disparues. Cela peut paraître un peu fou, mais nous sommes arrivés à nos fins. Voici comment.

The Galápagos Islands, showing locations mentioned in this story.

Menace sur les tortues

L’archipel a été colonisé à la fin du XIXe siècle avec nombre de conséquences néfastes pour les tortues : braconnage des baleiniers et pirates, introduction de nuisibles privant les tortues de nourriture, mangeant leurs œufs ou leurs petits. Ces dernières ont ainsi disparu de certaines îles et vu leur population se réduire dramatiquement dans d’autres zones insulaires.

Lonesome George, immortalisé à 100 ans, peu avant son trépas. Flickr/putneymark, CC BY-SA

Darwin consacra, lors de sa visite de 1835 sur l’archipel, des pages à la reproduction d’une espèce de tortue, la Chelonoidis elephantopus, que l’on ne trouvait alors que sur l’île Floreana et qui disparut vers 1850.

Une autre espèce, qui se rencontrait seulement sur l’île Pinta, la Chelonoidis abingdoni, s’éteignit pour sa part en 2012, lorsque son dernier représentant, un mâle retenu en captivité et répondant au surnom de Lonesome George mourut. Il était devenu une véritable star et fut un temps considéré comme l’une des créatures vivantes les plus rares au monde.

Sur la trace des espèces disparues

Il y a dix ans, notre programme de recherche en génétique fit une découverte des plus étonnantes. Certaines tortues du mont Wolf, un volcan de l’île Isabela, ne correspondaient pas à celles (Chelonoidis becki) que l’on trouve habituellement dans cette zone. Au lieu de cela, leur ADN correspondait à celui des espèces disparues de Floreana et Pinta

Cette trouvaille donna lieu, en 2008, à une expédition sur le mont Wolf, où nous avons procédé au marquage et à l’échantillonnage de 1 600 tortues. Les analyses révélèrent un nombre très importants de tortues à l’ADN hybride : 17 possédaient des traces de l’ADN de la tortue de l’île Pinta, Chelonoidis abingdoni ; 89 autres présentaient des traces de l’ADN de la tortue de l’île Floreana, Chelonoidis elephantopus.

Comment cela était-il possible ?

Il semblait fort probable que des gens aient déplacé ces tortues d’une île à l’autre. De vieux carnets de bord de l’industrie baleinière rapportaient que pour alléger leurs navires, baleiniers et pirates se délestaient, dans la baie de Banks à proximité du mont Wolf, de tortues qu’ils avaient capturées.

Ces animaux, récupérés sur les îles moins montagneuses de Floreana et de Pinta, furent durant des siècles les proies des baleiniers et pirates qui avaient l’habitude de faire une halte dans l’archipel pour renouveler leurs provisions de nourriture en prévision de leurs longues traversées.

Nombre de ces tortues rejetées en mer atteignirent le rivage, se mélangeant aux espèces endémiques de l’île Isabela. Elles donnèrent ainsi naissance à une lignée hybride qui conservait les caractéristiques distinctives des espèces de Floreana et de Pinta.

Le mont Wolf, point culminant des Galapagos. Luciano Beheregaray

Une expédition difficile

Notre dernière expédition avait pour objectif d’identifier les animaux dont les ancêtres venaient de Floreana ou de Pinta. C’était un objectif ambitieux et compliqué sur le plan logistique.

Notre équipe – composée de gardes du parc national des Galapagos, de scientifiques et de vétérinaires originaires de 10 pays différents – fut répartie en 9 groupes de 3 à 4 personnes. Chaque groupe devait inspecter de vastes champs de lave instables et inhospitaliers ainsi qu’une végétation épineuse sur les pentes du mont Wolf. Sans oublier les rencontres impromptues avec les guêpes, l’étouffante chaleur équatoriale, et une période de pluie non-stop six jours durant.

Lorsque nous trouvions l’une des tortues recherchées, nous contactions notre vaisseau ravitailleur par radio et dégagions la végétation des pentes du volcan pour faire de la place au filet de cargaison transporté par hélicoptère. La précieuse tortue était alors installée dans le filet, puis transportée à bord de notre navire ancré dans la baie de Banks.

Notre équipe découvrit ainsi plus de 1 300 tortues, dont près de 200 possédaient des ancêtres à la fois de Floreana et de Pinta. Nous en avons transportées 32 par les airs jusqu’à notre navire pour rejoindre ensuite la zone d’élevage en captivité du parc national de Galapagos.

Une tortue géante dont les ancêtres appartenaient aux deux espèces disparues prend son envol pour rejoindre le vaisseau ravitailleur. Elizabeth Hunter

Parmi ces 32 sujets, 4 femelles présentaient des gènes de Floreana ; un mâle et une femelle possédant ceux de Pinta furent marqués et étudiés.

Réintroduire les espèces

L’ADN des ces tortues va être analysé et servira à établir la meilleure stratégie de reproduction : nous souhaitons réintroduire autant que possible les gènes présents à l’origine sur Floreana et Pinta. La progéniture née en captivité et descendant des deux espèces disparues devrait rejoindre ses îles d’origine d’ici 5 à 10 ans.

La réintroduction de ces tortues dans leurs îles d’origine ainsi que la restauration de leur habitat sont en effet essentielles pour la préservation des écosystèmes insulaires. Ces grands herbivores à l’exceptionnelle longévité se comportent en effet comme des ingénieurs au service des écosystèmes, modifiant leur habitat au profit d’autres espèces.

Mais la faible diversité génétique ne risque-t-elle pas d’entraver la survie des populations réintroduites ?

Il s’agit là d’une préoccupation logique pour tous les programmes de réintroduction s’appuyant sur un petit nombre de reproducteurs en captivité. Les tortues géantes des Galapagos peuvent toutefois survivre à des accidents démographiques majeurs et garantir ainsi le succès des programmes de réintroduction.

Prenons l’exemple de la population de tortues du volcan Alcedo (île Isabela), connue comme la plus importante des Galapagos : elle descend d’une unique femelle qui aurait survécu à une très importante éruption volcanique durant la période préhistorique.

Les tortues géantes de notre expédition au mont Wolf sont déplacées dans la zone de reproduction en captivité du parc national des Galapagos, sur l’île de Santa Cruz. Joe Flanagan

La réintroduction de plus de 1 500 petits nés en captivité et appartenant à une espèce qu’on trouvait jadis sur l’île Espanola est un autre succès. Toute la population rapatriée dans cette zone provient d’une quinzaine de reproducteurs captifs et se porte aujourd’hui très bien.

Faire revivre des espèces éteintes, comme celles de Floreana et de Pinta, était quelque chose d’impensable il n’y a pas si longtemps. C’est désormais possible. Et l’intérêt d’une telle initiative s’est encore accru du fait qu’il reste de très nombreuses tortues possédant des gènes de Floreana et de Pinta sur les pentes du mont Wolf. Les ajouter aux programmes d’élevage devrait stimuler la diversité génétique et s’avère donc très prometteur pour les futures expéditions.

Nul doute que ce sera épique, mais absolument gratifiant pour les scientifiques concernés par la préservation des tortues géantes.

This article was originally published in English

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