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Une photo montre des restes d'os appartenant à des squelettes.
Squelettes de Jabuticabeira II. Deux os sont surlignés en jaune pour illustrer la présence d’ADN pathogène. Nature/ Dr Jose Filippini

Où, quand et comment la syphilis est-elle apparue ? La réponse est dans l’ADN ancien

Il est rare que l’on dispose de données historiques aussi précises sur l’origine d’une maladie infectieuse que celles qui existent sur la syphilis : en 1493, lors du siège de la ville de Naples par les troupes françaises. De là, la syphilis s’est rapidement propagée en Europe et en Asie, provoquant l’une des épidémies les plus dévastatrices pour l’humanité pendant plusieurs siècles. Cette épidémie prendra fin grâce à la pénicilline, qui permettra au XXe siècle de la traiter de manière efficace.

(La syphilis est une infection sexuellement transmissible très contagieuse qui est due à la bactérie Treponema pallidum. Si elle n’est pas dépistée et traitée, elle peut affecter tous les organes et avoir de graves conséquences, indique Santé publique France, ndlr.)

La coïncidence temporelle entre le retour des Amériques de la première expédition de Christophe Colomb et certaines infections chroniques indirectes ont conduit à l’hypothèse selon laquelle cette maladie serait originaire du continent américain. Des travaux de recherche que nous venons de publier dans la revue Nature, basés sur des squelettes provenant d’une nécropole vieille de 2 000 ans à Jabuticabeira (Brésil), pourraient éclairer cette controverse.

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Génomes anciens et phylogénies modernes

En collaboration avec des chercheurs des universités de Zurich, Bâle, Vienne, ETH Zurich, Autónoma de Barcelona et São Paulo, nous présentons l’analyse d’un génome de la bactérie Treponema pallidum obtenu à partir d’échantillons vieux de 2 000 ans provenant d’un monticule funéraire de la côte sud du Brésil (Jabuticabeira, Santa Catarina).

Ce génome, de grande qualité pour un génome aussi ancien, appartient au même groupe que les génomes modernes de T. pallidum endemicum (TEN), la lignée responsable du bejel, une infection actuellement limitée aux zones chaudes et arides et jusqu’alors non décrite dans les Amériques. Cette lignée, tout comme T. pallidum pertenue (TPE), responsable d’une autre infection tréponémique tropicale appelée pian, est étroitement liée à la lignée responsable de la syphilis, T. pallidum pallidum (TPA).

(Le bejel et le pian sont d’autres pathologies de la famille des tréponématoses, comme la syphilis. Toutefois, leurs modes de transmission diffèrent. En effet, le bejel et le pian se transmettent par contact avec des lésions cutanées ou muqueuses, ndlr.)

La syphilis selon Alberto Durero. Wikimedia

L’apparition soudaine de la syphilis à la fin du XVe siècle a conduit à l’hypothèse, connue sous le nom d’hypothèse colombienne, d’une origine américaine. Mais ce n’est pas la seule hypothèse.

L’hypothèse précolombienne fait partie des propositions alternatives les plus populaires. D’après cette hypothèse, toutes les tréponématoses auraient accompagné l’humanité depuis ses origines, avec des manifestations différentes au fur et à mesure que ces maladies se répandaient dans différentes régions. On citera aussi l’hypothèse unitaire, qui est une légère variante de l’hypothèse précolombienne, selon laquelle l’apparition des différentes tréponématoses correspond à des adaptations d’une même bactérie à des conditions écologiques différentes.

Jusqu’à présent, ces hypothèses butaient face au manque de données concrètes pour les réfuter ou les valider, étant donné que les lésions cutanées spécifiques de ces maladies ne laissent aucune trace après la décomposition des corps et que les lésions osseuses qu’elles occasionnent sont communes à différentes infections. Cela a conduit à rechercher des traces biologiques de la bactérie dans des restes anciens.

Utiliser les mêmes techniques que pour les restes de Neandertal

La bactérie n’a pas été retrouvée jusqu’à présent. Mais grâce aux mêmes techniques de séquençage que celles appliquées aux restes des Néandertaliens ou des Dénisoviens, certains génomes complets de T. pallidum ont été obtenus.

La plupart de ces génomes proviennent de l’Europe centrale et septentrionale et certains du Mexique. Mais leur datation ne permet pas d’exclure la possibilité qu’ils datent d’après le retour de Christophe Colomb. Ces génomes appartiennent au même groupe que les lignées TPA et TPE, ce qui laisse ouverte la question de l’origine de la syphilis.

Les maladies tréponémiques sont apparues environ 10 000 ans plus tôt qu’on ne le pensait. Nature

Le nouveau génome étend la portée géographique et temporelle de la distribution de T. pallidum au continent américain à l’époque précolombienne et avant les expéditions vikings qui ont atteint les côtes de l’Amérique du Nord. Notre analyse le place clairement dans la lignée TEN (T. pallidum endemicum, ndlr). En effet, sa faible distance génétique avec les quelques génomes disponibles de cette lignée est surprenante, un détail qui confirme son assignation à cette lignée.

La provenance de ces restes est également surprenante. Aujourd’hui, le bejel se trouve dans des régions chaudes et arides, très différentes sur le plan climatique et écologique, des rivages atlantiques du Brésil subtropical.

Distribution actuelle des infections causées par les bactéries de la famille des tréponématoses.

Alors, Christophe Colomb a-t-il joué un rôle dans la propagation de la syphilis ?

Que nous apprend le nouveau génome sur l’origine de la syphilis ? À la fois peu et beaucoup de choses. Son appartenance à la lignée TEN (T. pallidum endemicum, ndlr) signifie que des bactéries tréponèmes étaient présentes sur le continent américain avant l’arrivée de Christophe Colomb, mais pas nécessairement que l’un d’entre eux ait causé la syphilis.

De manière empirique, toutes les hypothèses énoncées ci-dessus se voient quelque peu renforcées. Les nouvelles datations repoussent légèrement l’origine de la lignée TPA (T. pallidum pallidum, ndlr) à environ 1 000 ans avant J.-C. Mais leur précision pourrait s’améliorer au fur et à mesure que de nouveaux génomes anciens seront intégrés aux analyses.

L’étude des génomes de cette bactérie a révélé la grande plasticité de T. pallidum pour échanger des gènes. En particulier, la lignée TPA a reçu de nombreux apports des autres lignées TPE et TEN.

Il est possible qu’à l’occasion d’un de ces cas de transfert horizontal de gènes, ait été incorporée à une lignée de tréponèmes la capacité de se transmettre plus facilement par voie sexuelle et de provoquer des symptômes inconnus jusqu’alors. Cela a-t-il pu se produire en Europe après le retour de Christophe Colomb ? C’est une possibilité fascinante que nous voulons explorer plus avant.

This article was originally published in Spanish

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