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Parler de l’administration pénitentiaire différemment pour l’envisager autrement ?

Un agent pénitentiaire se tient à l'entrée du centre pénitentiaire d'Alencon, à Condé-sur-Sarthe, dans le nord-ouest de la France, le 5 octobre 2021, après la reddition d'un détenu qui avait pris en otage des gardiens de prison.
L'adminstration pénitentiaire ne se résume pas à la prison. Elle est chargée de multiples fonctions mises en oeuvres à travers des pratiques et des régimes de détention multiples. Jean-François Monier/AFP

La récente prise d’otages au sein du centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe montre une nouvelle fois le traitement médiatique archaïque qui est fait de l’administration pénitentiaire, de ses personnels et de ses usagers. Il est fait mention de « prisonnier » et de « gardien » sans que ne soient prises en compte les évolutions majeures qu’a connues cette administration dans son fonctionnement, ses missions et ses pratiques notamment depuis la loi pénitentiaire de 2009.

Replaçons d’abord cette administration dans son environnement.

L’administration pénitentiaire est un service sous l’autorité du Ministère de la Justice depuis 1911. Elle intervient à l’issue de la chaîne pénale c’est-à-dire après la phase d’enquête, de poursuite pénale, et de jugement. Elle est chargée de la phase d’exécution des décisions de justice, sans compétence donc sur la nature et le nombre de jugements.

Pour faire appliquer ces décisions, l’administration pénitentiaire dispose de 6,5 milliards d’euros de crédits soit un peu plus de la moitié du budget du Ministère. Elle prend en charge 235 000 « personnes placées sous-main de justice » (PPSMJ) c’est-à-dire à la fois en milieu fermé et en milieu ouvert. La majorité des personnes prise en charge par l’administration pénitentiaire l’est en dehors des prisons.

Tableau typologique des « personnes placées sous-main de justice ».
Typologie des « personnes placées sous-main de justice ». Fourni par l'auteur

Pour comprendre toute la complexité de cette administration, il faut aussi visualiser son étendue territoriale. L’administration pénitentiaire s’organise autour de plusieurs échelons décisionnels. Située à Paris, la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP) est chargée de réceptionner les orientations politiques du ministère et de les traduire en stratégies.

Carte des structures pénitentiaires en France
Carte des structures pénitentiaires en France. Ministère de la justice

Ensuite, les neuf directions interrégionales sont chargées de mettre en œuvre et d’adapter les stratégies nationales au regard des caractéristiques des territoires dont elles ont la charge.

Enfin, il existe 187 établissements pénitentiaires et 104 services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) dans lesquels plus de 42 000 agents (30 000 personnels de surveillance et 5 600 personnels en SPIP) sont chargés de dispenser le service public pénitentiaire.

Comprendre ses différents objectifs, source de complexité

L’Administration pénitentiaire répond, depuis 1987 à deux missions principales : assurer la sécurité des biens et des personnes par la bonne exécution de la peine, et prévenir la récidive en préparant la réinsertion des personnes détenues.

Derrière ces deux missions se cachent une réalité complexe. Nos travaux de recherches ont permis d’identifier deux logiques institutionnelles prégnantes : la logique relationnelle et la logique de protection. La logique relationnelle conçoit la prison comme un lieu d’amendement et de resocialisation, alors que la logique de protection assimile la prison à un lieu de punition.

Une plus grande attention à ces logiques institutionnelles permet de comprendre pourquoi et comment se forment les conflits dans le secteur pénitentiaire.

Parce qu’elles sont porteuses de valeurs, de normes et de pratiques différentes, elles rentrent en concurrence et s’opposent sur les objectifs et les moyens. Les acteurs du secteur sont alors régulièrement insatisfaits au vu de leurs attentes qui ne sont jamais entièrement comblées.

Par exemple, l’intense mouvement de grève des surveillants pénitentiaires de janvier 2018, tout comme les rapports réguliers du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL) sont la matérialisation de ces logiques concurrentes et des tensions qu’elles engendrent.

La situation des maisons d’arrêt en est aussi un symptôme – il faut noter que cela est moins le cas pour les centres de détention et les maisons centrales.

En effet, les maisons d’arrêt accueillent les personnes prévenues – en attente de jugement ou dont la condamnation n’est pas définitive –, les personnes condamnées – dont la peine ou le reliquat de peine n’excède pas deux ans – et celles en attente d’affectation dans un établissement pour peine. Ces établissements sont essentiellement ceux mentionnés lorsqu’il est question de surpopulation. Les conflits sont alors nombreux et intenses car il est nécessaire de porter les deux logiques simultanément sans pouvoir en identifier une comme prioritaire.

Il faut permettre à ceux qui ont une perspective de sortie de se projeter dans un travail de réinsertion en peu de temps et souvent avec de longues listes d’attente. Tout en garantissant une sécurité importante des lieux et des personnes car les profils sont très différents. Ils impliquent de nombreuses séparations et pour des durées variables. La priorisation des objectifs est donc floue, les personnels ne peuvent à terme résoudre les tensions. Les établissements font alors face à des situations litigieuses et instables.

Des bâtiments de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis vus depuis une cellule. Il s’agit du plus grand établissement pénitentiaire d’Europe
Des bâtiments de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis vus depuis une cellule. Ludovic Marin/AFP

Pourtant, des études en théorie des organisations ont souligné la possibilité de créer des ponts entre les logiques concurrentes en mélangeant leurs objectifs. La mise en œuvre de pratiques innovantes au sein de l’administration pénitentiaire permet de l’illustrer.

Nouvelles pratiques, nouveaux défis

Certains établissements pénitentiaires ont créé des régimes de détention fondés sur une troisième logique qui regroupe les objectifs de sécurité et de réinsertion autour de principes dits de sécurité dynamique.

La mise en place des modules dits « respect » en est un exemple. Ces récents régimes de détention cherchent à répondre à trois objectifs : lutter contre la violence entre personnes détenues et envers les personnels, ainsi qu’à favoriser la réinsertion.

Venus d’Espagne, ils ont été expérimentés pour la première fois en France dans le Centre Pénitentiaire de Mont-de-Marsan en 2015 et ont été depuis largement, développés. Ils favorisent l’autonomie et la responsabilisation des personnes détenues durant leur détention.

L’autonomie s’y illustre par des déplacements libres et seuls des personnes détenues, bien qu’encadrés. Elles gèrent également leur emploi du temps en participant à un panel d’activités normalement plus important qu’en régime « classique ». Elles sont aussi encouragées à s’investir dans le collectif en organisant des activités. Par exemple, au Centre Pénitentiaire de Riom, des détenus ont mis en place une banque solidaire à destination d’associations.

La responsabilisation se matérialise en amont de l’entrée dans ces modules car les personnes détenues doivent être volontaires et candidater pour y rentrer. Elles sont ensuite choisies lors de commissions pluridisciplinaires rassemblant divers acteurs pénitentiaires au regard de critères (par exemple : nombre d’incidents disciplinaires, comportement en détention, projet de formation ou de travail, etc.).

Ces modules cherchent à développer un cercle vertueux dans le comportement des personnes détenues par le biais de la signature d’un « contrat » où elles s’engagent à respecter les obligations mentionnées (propreté des cellules, suivi des activités, respect des personnes, etc.). Le manquement à ces obligations est sanctionné dans un tableau de bord par la perte de points et peut entraîner l’exclusion du module avec un retour en régime de détention « classique ».

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLP) avance un triple intérêt à ce module :

« La création d’un environnement social normalisé servant de cadre aux programmes de traitement spécifiques, la rupture de la dynamique carcérale à travers la modification des relations de groupe [et] le développement de programmes de traitement en habitudes, valeurs et attitudes. »

Léa Poplin, ancienne cheffe d’établissement de la Maison d’Arrêt de Villepinte ayant mis en place ce module, constate :

« Après 14 mois de fonctionnement dans l’établissement, le triple objectif de lutte contre les violences, les incivilités et les détentions d’objets interdits est atteint. Une bagarre entre deux détenus [est] immédiatement séparée par d’autres détenus. Une bousculade sur agent pour empêcher le surveillant de récupérer un objet [est] prohibée. Des saisies d’objets interdits [sont] régulières grâce à un niveau de contrôle jamais atteint. »

Pour autant, notons qu’un rapport du CGLPL de 2018 enjoint l’administration pénitentiaire à améliorer notamment les termes du « contrat » et les critères d’observations quotidiennes au sein de ces modules. Valérie Icard alerte également sur les conflits liés à la mise en place de ce dispositif et la rupture avec les pratiques professionnelles traditionnelles. Les établissements doivent donc rester vigilants sur l’implantation de ses nouveaux dispositifs.

De nouvelles initiatives en cours d’expérimentation

Des détenus du centre pénitentiaire de Liancourt devant un planetarium lors d’un atelier d’astronomie
En 2017, un projet de médiation culturelle mené par le Louvre-Lens au Centre pénitentiaire de Liancourt (Oise), intitulé La tête dans les étoiles associait des conférenciers scientifiques, des intervenants culturels et quatorze détenus autour du thème de l’astronomie. Outre des conférences, dont une séance de planétarium, il s’agissait également de créer une œuvre collective, destinée à être exposée dans la nef principale du centre de détention. Stéphanie Vergnaud

Notons que cette nouvelle logique se traduit aussi par des évènements ponctuels. Par exemple, l’escalade du Mont-Blanc réalisée par trois personnes détenues et trois surveillants du Centre Pénitentiaire de Bourg-en-Bresse, le 11 septembre 2021.

Cette performance physique a nécessité persévérance, travail, confiance et a permis de développer un autre lien entre la population détenue, les agents pénitentiaires et le monde associatif local.

Les intérêts sont alors multiples : montrer à la population détenue qu’il est possible de se réaliser différemment, prouver aux agents qu’ils peuvent faire confiance et amener la société civile à penser la sécurité et la réinsertion autrement que dans les murs d’enceinte.

D’autres initiatives ont cours pour améliorer la prise en charge des PPSMJ avec notamment la mise en œuvre de la réalité virtuelle pour lutter contre les violences conjugales. Ou dans un futur proche, l’éclosion de Structures Expérimentales de Responsabilisation et de Réinsertion par l’Emploi, avec le projet InSerre. Ce projet est mené par l’Agence du Travail d’Intérêt général et de l’Insertion Professionnelle (ATIGIP) notamment chargée de développer le Travail d’Intérêt Général (TIG) comme alternative à l’emprisonnement ainsi que le travail pénitentiaire comme outil à la réinsertion.

L’administration pénitentiaire cherche donc à faire face aux défis et enjeux sociétaux qui la traversent. Parler de personnes détenues et de surveillants revient donc à reconnaître l’humanité des uns et la complexité du métier des autres. Le travail n’est certes pas terminé, mais chaque citoyen a son rôle à jouer. Il le peut notamment aujourd’hui en participant à la réflexion collective autour des états généraux de la justice.


L’autrice effectue sa thèse sous la direction de Solange Hernandez et Marius Bertolucci

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