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Pas de transition sans une nouvelle approche de la monnaie : pour une monnaie délibérée

Programme du « quantitative easing for the people » au Parlement Européen en février 2016. qu4people.eu

Une transition vers une société plus démocratique, plus écologique et plus solidaire passe par la multiplication des initiatives citoyennes relevant de l’économie sociale et solidaire, du mouvement des communs, des circuits-courts… Cependant, pour que ces initiatives changent d’échelle, elles doivent s’appuyer sur une autre approche de la monnaie puisque le système monétaire actuel ne s’intéresse pas à elles faute de rentabilité.

En effet, dans une économie capitaliste, la monnaie n’est pas un simple lubrifiant à l’échange mais, plus fondamentalement, un préalable à toute activité (achat de matériel productif, versement des salaires…). Cette avance monétaire ne peut se faire sans l’entremise du système bancaire qui, seul, est en mesure de faire naître des unités monétaires dans l’acte d’octroi du crédit.

Or les décisions de financement des banques sont assujetties à une logique de rentabilisation du capital qui les conduit à ne retenir que les activités les plus profitables. Cette logique, réduit la production à la création de marchandises, sans prise en considération de l’utilité sociale et de l’impact écologique de cette dernière.

Pour démocratiser la monnaie, délibérer

Pour que la transition devienne une réalité concrète, il convient donc de remettre en cause cette logique monétaire capitaliste. Pas de démocratisation de l’économie sans une démocratisation de la monnaie.

Comment démocratiser la monnaie ? Nous suggérons deux pistes qui sont liées au fait que la monnaie est un facteur de cohérence et de solidarité d’une communauté et simultanément un facteur qui détruit le lien social. C’est pourquoi toute réflexion sur la démocratisation de la monnaie doit mener une réflexion sur deux fronts : faciliter l’accès à la monnaie, limiter la sphère monétaire. Dans les deux cas un même principe régulateur est à l’œuvre : la délibération.

Délibérer pour gérer la monnaie comme dans un système d’échange local, ou une monnaie locale, délibérer pour décider de ce qui doit ou ne doit pas relever de la sphère monétaire. On le voit, cette conception de la monnaie délibérée s’oppose aux conceptions dominantes de la monnaie administrée et de la monnaie libérale.

Trois pistes

Pour démocratiser la monnaie nous suggérons trois propositions :

  • Pluraliser la monnaie en encourageant à tous les niveaux (local, national ou international) les monnaies citoyennes conçues comme étant des communs (une ressource commune, gérée de manière commune).

  • Développer un système financier démocratique qui articule contrôle citoyen des banques centrales et généralisation des banques éthiques (et plus généralement des systèmes solidaires d’accès au crédit). L’idée étant d’infléchir l’actuelle politique de « quantitative easing » qui bénéficie uniquement aux banques commerciales au profit des banques éthiques. Cela permettrait à ces dernières de s’affranchir des risques d’isomorphisme marchand et donc de financer davantage les innovations jugées socialement utiles par les citoyens sociétaires.

  • Favoriser l’émergence d’un revenu garanti inconditionnel. Cette utopie ancienne du revenu d’existence trouve dans la société actuelle une nouvelle vigueur que cela soit lié à la montée des inégalités, à l’inadaptation de la protection sociale ou bien encore à l’émergence d’une société numérique précarisant la condition salariale.

Ce revenu doit être un revenu primaire venant rémunérer les activités gratuites aujourd’hui captées par l’entreprise (temps d’information, autoformation sur le Net, etc.). Il doit être également un revenu universel (versé à tous sans condition d’activité) et financé via la banque centrale sous la forme d’un « quantitative easing for the people » par la puissance publique garante de l’intérêt général étant entendu que la banque centrale serait contrôlée démocratiquement par les citoyens.

Limiter la sphère monétaire

Dans une perspective de transition démocratique, il convient aussi de restreindre la sphère monétaire. En effet, dans une société de marché, tout est économisé, c’est-à-dire que toute activité, tout bien, tout être, se réduit à une valeur monétaire pouvant être échangée. C’est pourquoi lutter contre l’hégémonie du marché ne peut pas passer uniquement par une démocratisation de l’accès à la monnaie.

Il s’agit donc d’encastrer la sphère économique, dans la société démocratique, c’est-à-dire de limiter la sphère monétaire même si cette dernière était, par hypothèse, régulée de manière démocratique. Contre l’usage actuel illimité et spéculatif de la monnaie, la délibération collective doit permettre de délimiter la sphère des échanges marchands. L’étendue de celle-ci ne résulte donc pas des forces du marché et de la recherche de l’intérêt individuel, même si elle les prend en compte : elle est subordonnée aux choix démocratiques.

La monnaie est donc bien un marqueur de l’évaluation économique des biens, mais la valeur ne se résume pas à la grandeur monétaire. Les valeurs politiques et symboliques ont leurs propres critères d’évaluation qui ne sont pas ceux de la sphère économique.

Penser la transition vers une autre société nécessite de penser la transition vers un nouvel usage de la monnaie qui simultanément faciliterait l’accès à tous et limiterait la marchandisation monétaire du monde. C’est l’exact contraire de notre système économique actuel qui réduit l’accès à la monnaie aux seules activités lucratives tout en cherchant à monétiser l’ensemble du vivant.

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