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Pédagogie Montessori : dans les coulisses du succès, le travail d’Emilie Brandt, entrepreneuse de la petite enfance

Silhouettes d'élèves, crayons et globe
Le mouvement historique de l'Éducation nouvelle qui avait pour ambition de changer l’éducation pour changer le monde. Shutterstock

Son nom est peu connu du grand public. Pourtant, Émilie Brandt (1879-1963) a eu un rôle décisif dans l’accueil de la petite enfance et son évolution dans la première moitié du XXe siècle en France. Son parcours singulier nous invite à la suivre de l’Alsace à Nice, en passant par Paris et la Haute-Marne, semant sur son passage nombre de jardins d’enfants et d’écoles de « jardinières d’enfants » au sein desquels la pédagogie se crée et se recrée, comme autant de pépinières d’où naitra, dans les années 1970 en France, la profession d’éducateurs de jeunes enfants.


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Émilie Brandt évolue dans le sillage des pédagogues du mouvement historique de l’Éducation nouvelle qui avait pour ambition de changer l’éducation pour changer le monde. Alors que le modèle scolaire républicain mis en place par Jules Ferry permet en France d’accueillir et d’instruire tout enfant dès l’âge de six ans, que l’école maternelle s’organise pour accueillir les enfants plus petits, sur le modèle des salles d’asile rénové par Pauline Kergomard, d’autres structures sont créées en ce tournant du XIXe au XXe siècle sur le modèle des jardins d’enfants du pédagogue Friedrich Froebel, dont le premier Kindergaten a ouvert en Prusse en 1837.

C’est dans ce contexte que s’inscrit le travail d’Émilie Brandt, que l’on pourrait qualifier d’entrepreneuse de la petite enfance vu le nombre de structures qu’elle a créées. Actrice majeure du développement de la formation professionnelle de la petite enfance, elle était convaincue de l’importance de l’élément sensoriel dans l’apprentissage et nous a légué une pédagogie accordant une place centrale à l’expérimentation, dans un environnement accueillant et bienveillant.

Apprendre à l’enfant à observer et à expérimenter

Ce qui caractérise les jardins d’enfants, c’est d’une part la pédagogie qui accorde une place centrale au jeu, considéré comme vecteur d’apprentissage, et d’autre part l’environnement, proche du modèle familial, et au plus près de la nature, pour permettre le plein épanouissement de l’enfant. En ce début du XXe siècle qualifié de « siècle de l’enfant » par l’écrivain suédoise Ellen Key, médecins, pédagogues, scientifiques se saisissent de l’éducation pour révolutionner les pratiques éducatives et penser le bonheur de l’enfant à l’école.

Portrait de Froebel
Portrait de Froebel. Popular Graphic Arts/Wikimedia

Le regard qu’on porte sur l’enfant évolue : désormais, il est considéré comme une personne à part entière. Le temps est venu de mettre en œuvre la révolution copernicienne éducative, comme l’affirme le psychologue de Genève Edouard Claparède. Il faudra cependant attendre Françoise Dolto et la seconde moitié du XXe siècle pour que cette révolution concerne le bébé.

Mais revenons en 1907, au moment où Émilie Brandt, jeune femme alsacienne formée à l’Institut Froebel de Berlin, arrive à Paris et propose à l’Abbé Viollet, fondateur de nombreuses œuvres sociales dans le XIVe arrondissement, de créer un jardin d’enfants pour accueillir les enfants des familles ouvrières du quartier.

Très vite, cette structure organisée selon les méthodes froebeliennes se dotera d’une École d’éducation familiale qui participera à former les jardinières en lien avec de prestigieuses institutions telles le Collège Sévigné et le lycée de jeunes filles de Versailles. Durant cette même période, Émilie Brandt fonde également un jardin d’enfants à Barr, la ville de son enfance, dans une dépendance d’un hôtel, destiné aux enfants pauvres de la vallée.

En 1910, c’est à Thivet, dans la Haute-Marne, que nous retrouvons Émilie Brandt. Elle relate son expérience dans un Manuel du jardin d’enfants, publié chez Armand Colin en 1913. L’ouvrage regorge de détails pratiques, on y trouve l’emploi du temps sur une semaine, rapporté de façon méthodique et minutieuse. Dès les premières phrases, elle expose ce qu’elle entend par l’esprit de la méthode froebelienne :

« À quoi s’applique exactement l’expression “jardins d’enfants” ? Ce n’est pas nécessairement à un jardin réel où viendraient s’amuser des enfants du matin au soir. Une pelouse peuplée de jeunes bébés pourra bien être un jardin avec des enfants, mais non pas un “jardin d’enfant”. Si Froebel a donné ce dernier titre à ses écoles enfantines, c’est qu’il y faisait régner une méthode d’éducation qui cultivait le jeune enfant d’une manière particulièrement heureuse et efficace. L’esprit de la méthode consiste à développer en toute liberté la nature individuelle de l’enfant dans une atmosphère de bon ordre et d’harmonie. »

Pour réaliser un tel but, les jardinières d’enfants choisissent avec soin les objets qui vont permettre « l’étude et l’observation prolongée de l’enfant » et qui apportent vie aux « idées centrales », c’est-à-dire aux sujets d’enseignement, par lesquelles les enfants « apprennent à voir, à sentir et à vivre par eux-mêmes ». Et c’est bien parce qu’il n’y a « rien de figé dans l’enseignement qui en découle » que l’enseignement théorique doit être réduit au profit de la pratique, qui est exposée dans les pages suivantes à travers une dizaine de chapitres.

Enfants jouant à l’école maternelle
Expérimenter par le jeu, c’est un enjeu clé de la pédagogie d’Emilie Brandt et des écoles maternelles aujourd’hui. Shutterstock

Des exemples de « causeries » autour d’une idée centrale, ici le blé, ou encore des leçons de géographie et de calcul, montrent comment Émilie Brandt s’appuie sur les évènements qui rythment le quotidien pour amener les enfants vers les apprentissages. Elle répond ainsi par la pratique aux théories de pédagogues qui prônent la globalisation des apprentissages, en partant de l’expérimentation, sans décloisonnement des matières, dans l’optique d’y mettre du sens.

En conclusion de l’ouvrage, elle précise que l’enfant, après avoir fréquenté le jardin d’enfants, aura comme avantage sur ses camarades de l’école de posséder « toute une série de notions générales », d’avoir « appris à observer par lui-même, à entendre, à toucher ce qui l’entoure », tout autant qu’à « comparer, à réfléchir, à former son jugement ».

Former des éducateurs de jeunes enfants

Son parcours conduit ensuite Emilie Brandt à Strasbourg, où elle crée dans les années 1920 une école nouvelle, transférée à Limoges pendant la Seconde Guerre mondiale et qui s’implantera à Neuilly à la fin de la guerre, puis à Levallois en 1952. Cette année est celle de son centenaire, et l’on peut voir que c’est toujours la pédagogie Montessori, à laquelle Émilie Brandt se forme dès le début des années trente, qui en fait son attrait auprès des parents.

C’est à Nice, lors des cours d’été que donne Maria Montessori en 1932, qu’Emilie Brandt se convertit, si l’on peut dire, au montessorisme. L’intérêt porté par Froebel à l’observation et au développement de l’enfant se retrouve dans les théories de Maria Montessori qui se diffusent à travers le monde, depuis qu’elle a ouvert en 1907 la première « casa dei bambini » à Rome. L’approche scientifique de la doctoresse italienne permet de réactualiser la formation des professionnelles de la petite enfance à partir de la méthode qu’elle propose, mais aussi du matériel pédagogique qu’elle crée.


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Si le terme de jardin d’enfants reste pregnant dans le paysage de la petite enfance, le nom de Maria Montessori va progressivement effacer celui de Froebel. Émilie Brandt participera à transmettre ce montessorisme dans les écoles de formations où seront formées les nouvelles générations de jardinières.

Son action pour la formation des professionnelles de la petite enfance croise des réformes institutionnelles et des entreprises privées, qu’elle participe à fédérer après la seconde guerre mondiale lors de la création en 1946 de l’Association des centres de formation de jardinières éducatrices (ACFJE), dont elle est la présidente. L’association va mettre au point un programme de formation pour les jardinières qui donnera lieu à un examen commun à un certain nombre d’écoles.

Il faudra attendre 1973 pour que la formation des jardinières soit prise en charge par l’État, au moment où la profession évolue et devient celle d’éducateur de jeunes enfants. Toujours active, à plus de soixante-dix ans, Emilie Brandt donne, en 1954, à Nice, des « leçons pratiques » chez les sœurs Saint-Vincent de Paul à vingt-huit futures jardinières et exerce en tant que conseillère technique au centre de formation des jardinières d’enfants, poste qu’elle gardera jusqu’à la fin de sa vie.

En formant les jardinières aux méthodes actives, Émilie Brandt, a contribué à créer un réseau d’éducatrices qui à leur tour s’engagent sur le terrain et participent à faire de l’école un lieu d’épanouissement comme d’apprentissage.

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