Une zone commerciale dans le sud de la France, entre chien et loup, le soleil se couche et des oiseaux arrivent par centaine. Leur plumage vert dénote avec les branches défoliées du platane sur lequel ils se posent. Quelques minutes plus tard, ce sont plus de 2 000 perruches à collier qui se préparent à passer la nuit dans cet arbre. Un spectacle digne d’un documentaire animalier !
Depuis la fin du XVIIIe siècle, les activités humaines occupent une place prépondérante dans les processus écologiques, entraînant une modification des barrières naturelles. Sans les transports maritimes, combien de temps la moule zébrée aurait-elle mis à coloniser l’Europe ? Sans l’import de semences agricoles, l’ambroisie serait-elle présente en France ?
Echappées des jardins
Certains milieux semblent plus propices que d’autres à l’installation des espèces exotiques. C’est le cas, entre autres, des milieux urbanisés et des milieux insulaires. Véritables viviers d’espèces exotiques, nos jardins sont le point d’origine de nombreuses plantes qui, une fois « échappées », se reproduisent dans la nature.
Telle a été l’histoire de la griffe de sorcière Carpobrotus edulis, originaire d’Afrique du Sud et très populaire dans les jardineries. Cette jolie crassulescente aime s’étaler, se prélasser sur tous les types de sols, avec une croissance horizontale pouvant s’élever à 1 mètre par an ! Trop compétitive pour les autres plantes qui lui cèdent la place.
Mais Carpobrotus n’agit pas sans l’aide d’une autre espèce exotique introduite, le rat noir, Rattus rattus, qui ingère ses fruits et en disperse les graines après digestion.
Les belles vertes
À l’image de la griffe de sorcière, d’autres espèces ont su parfaitement s’adapter à la vie urbaine. C’est ainsi le cas des Psittacidés, famille qui regroupe entre autres les perroquets et les perruches. Leur représentant le plus abondant en Europe est la perruche à collier Psittacula krameri, une grande perruche verte dont le mâle possède un collier noir et rose.
En 2016, le nombre de perruches à collier sauvages présentes en Europe était estimé à 85 000. Très populaire dans les années 1970, sa tendance à manifester ses émotions par des cris stridents, sa capacité à ouvrir les cages ou encore sa longévité pouvant atteindre les 30 années avaient incité de nombreux propriétaires à la relâcher dans la nature.
La présence de perruches à collier peut également résulter d’accidents, comme ce fut le cas pour la population d’Île-de-France dont les individus, destinés à l’origine aux animaleries, se sont échappés suite à un accident de déchargement à l’aéroport d’Orly en 1974 et à l’aéroport de Roissy en 1990.
La population la plus importante de perruches à collier se situerait à Londres avec environ 30 000 individus. La légende raconte que tout a commencé lorsque Jimi Hendrix relâcha ses perruches pour apporter des couleurs psychédéliques à la ville.
La conure veuve, ou perruche souris (Myiopsitta monachus), a également bien réussi son acclimatation en Europe. Originaire d’Amérique du Sud, cette petite perruche verte et grise est aujourd’hui présente en France, en Belgique, en Espagne et en Allemagne. Cette espèce possède la particularité, unique parmi les Psittacidés, de construire des nids faits de brindilles et de branchages, les autres membres de cette famille nichant dans des cavités.
Elle fait également partie des rares perruches à ne pas se rassembler la nuit dans un dortoir et, contrairement à la perruche à collier, il n’est pas rare de voir des conures se nourrir au sol, notamment parmi les pigeons et les pies.
Une croissance à toute épreuve
Comment expliquer la croissance démographique exponentielle des populations de perruches à collier et de conures veuves ?
Concernant la perruche à collier, l’une des explications semble résider dans sa large tolérance thermique. Dans son aire d’origine, on trouve des populations de perruche à collier dans les hauts plateaux indiens de l’Himalaya aussi bien que dans les savanes arides du Sénégal. Ainsi, les rudes hivers franciliens ou la canicule méditerranéenne ne constituent pas un facteur limitant pour cette espèce.
Il n’en est pas de même pour la conure veuve qui, originaire d’Amérique du Sud, semble limitée par les basses températures ; mais sa capacité de dispersion et sa croissance démographique s’avèrent particulièrement élevées.
Ces deux perruches partagent le même goût pour les graines et autres morceaux de pain généreusement fournis par les citadins. La perruche à collier passerait la moitié de sa journée à s’alimenter sur les mangeoires. Au parc de Sceaux, en région parisienne, on peut même observer le nourrissage quotidien des perruches qui, habituées au contact humain, n’hésitent plus à se poser sur les mains de leur nourrisseur.
Plumes exotiques, problèmes locaux
Qu’on les apprécie ou qu’on les déteste, ces deux espèces exotiques causent certains dommages dans les lieux où elles ont été introduites. Ainsi, en Belgique et en Israël, la perruche à collier pourrait causer le déclin de certaines espèces natives.
Ayant une période de nidification très précoce dans l’année, la perruche à collier occupe des cavités (ces trous dans les arbres) au dépens d’autres espèces comme la huppe fasciée ou la sitelle torchepot.
Grâce à son large bec solide et mobile, la perruche à collier agrandit les trous de pic vert afin d’adapter le diamètre de l’entrée à sa convenance, empêchant des espèces plus petites d’occuper les cavités par la suite.
Considérées comme des « pestes agricoles » dans leur aire d’origine, ces deux perruches sont à l’origine de coûts économiques importants liés à leur goût des bons produits du terroir. 260 000 livres auront été nécessaires pour l’éradication de la conure veuve au Royaume-Uni et quelques millions aux États-Unis.
La raison de cette dépense ? Les black-out causés par la présence de nids sur les pylônes électriques et les dommages économiques que peuvent causer la dégradation des zones agricoles par cette espèce. La conure et la perruche à collier partagent un trait commun à de nombreuses espèces animales invasives, une tendance à l’agressivité. Dans le combat pour les ressources, qu’elles soient alimentaires ou liées à la nidification, ou contre les prédateurs potentiels, ces deux espèces en sortent rarement perdantes.
Des mesures préventives
Les invasions biologiques sont la deuxième plus grande menace sur les écosystèmes et les espèces natives dans le monde, après la destruction des habitats. Cette affirmation trouve son origine dans l’article de Wilcove et ses collaborateurs, publié en 1998 dans la revue BioScience.
Ce dogme est aujourd’hui remis en cause par certains biologistes, notamment Chew et Carroll qui, dans un essai publié dans The Scientist paru en 2011, accusent certains scientifiques de « personnifier et démoniser l’inhabituel » et « d’être des agitateurs favorables à la destruction de leur propre organisme d’étude ». Leur article publié dans Nature et intitulé « Ne jugez pas les espèces sur leur origine » avait provoqué nombre de réactions.
En marge de toutes ses controverses, certains pays ont mis en place des mesures préventives. Ainsi l’Espagne a récemment interdit la vente et la détention de perruches à collier et au Royaume-Uni, une licence permet désormais de tirer sur cette espèce dans son jardin.
En France, aucune mesure n’a été prise à ce jour mais les quelque 5 000 individus de la région île-de-France pourraient rapidement générer des tensions. Des chercheurs européens se sont réunis au sein du réseau ParrotNet et œuvrent à la compréhension et le suivi des dynamiques de population de Psittacidés invasifs. Affaire à suivre donc…