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Personnes condamnées pour infractions à caractère terroriste : est-ce vraiment possible de les surveiller ?

Policier des forces spéciales devant Charlie Hebdo
Membre d'une brigade d'intervention en poste devant les anciens locaux du magazine Charlie Hebdo dans le 11e arrondissement à Paris où le 25 septembre un homme a attaqué deux personnes à l'arme blanche. Alain JOCARD / AFP

L'attaque à l'arme blanche du vendredi 25 septembre dans une rue proche des anciens locaux de Charlie Hebdo relance la question difficile de la surveillance de personnes non connues des services de police. Pour celles ayant déjà un passif pénal pour faits de terrorisme, le droit se heurte également aux mesures de surveillance.

Fin juillet, sénateurs et députés avaient voté en faveur d’une loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine. Cette loi permettrait de surveiller les faits et gestes de ces personnes, voire de leur interdire certains contacts ou lieux. Or, cette loi a été censurée par le Conseil constitutionnel, le 7 août dernier.

La loi du 17 juillet 2020 devait organiser la surveillance judiciaire de détenus condamnés pour des faits de terrorisme afin d’éviter la récidive. Selon le Conseil constitutionnel en charge de contrôler la conformité des lois avec la Constitution, ces dispositions n’assurent pas un bon équilibre entre les droits et libertés des individus et la sécurité.

De quelles mesures s’agit-il ?

Selon le ministère de la Justice, environ 150 détenus condamnés pour terrorisme (TIS) devraient sortir de prison entre 2020 et 2022. Il faut prendre également en compte les autres détenus de droits communs radicalisés pendant leur incarcération qui, selon le renseignement pénitentiaire, représente 850 personnes.

Les mesures de cette loi avaient ainsi à la fois pour objectif la prévention – risque de récidive par des mesures de contrôle judiciaire, interdire le contact avec certaines personnes ou lieux désignés – et l’information sur les allées et venues de la personne concernée (répondre aux convocations du juge de l’application des peines ou du service pénitentiaire d’insertion et de probation, prévenir le service pénitentiaire d’insertion et de probation de ses changements d’emploi ou de résidence…).

Enfin, la loi statuait aussi sur la prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique des détenus.

Ces mesures pouvaient être décidées pour une période allant d’un an à dix ans et cinq lorsque le condamné est mineur.

Pour entrer dans le champ de la mesure, le condamné doit avoir fait l’objet d’une condamnation pour des faits de terrorisme – à l’exception de deux dispositions relatives à l’apologie du terrorisme et la diffusion de données faisant l’apologie du terrorisme – et d’une peine d’une durée supérieure ou égale à cinq ans.

Par ailleurs, le condamné doit présenter un comportement d’une particulière dangerosité du fait d’une adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme.

Les services de sécurité confrontés à la transparence

Il existe déjà dans l’arsenal juridique de prévention et de lutte contre le terrorisme des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) instaurées par la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

Ces mesures d’une durée maximale d’un an avec un renouvellement tous les 3 mois restent subordonnées à l’existence d’éléments nouveaux ou complémentaires produits par la puissance publique.

En effet, le rapport sur le suivi de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme montre que :

« un nombre important de MICAS a été prononcé à l’encontre d’individus sortant de détention, soit condamnés pour des faits de nature terroriste, soit condamnés pour des faits de droit commun mais présentant des signes forts de radicalisation. »

Les MICAS représentent, aujourd’hui, 57 % des mesures prononcées.

Toutefois, le rapporteur de la commission indique que les MICAS n’offrent qu’une possibilité de surveillance limitée de douze mois… une durée jugée trop courte.

Par ailleurs, l’exigence de transparence rend la motivation des mesures de surveillance judiciaire difficile. La demande de renouvellement pose le dilemme de l’équilibre entre les droits et libertés de la personne surveillée et la préservation d’informations sensibles pouvant compromettre une enquête. Ainsi lors d’un renouvellement de demande, la personne concernée par la mesure peut comprendre qu’une enquête le concerne est en cours.

L’examen de personnalité au cœur du problème

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a justifié cette censure par la personnalité et le suivi des détenus.

En 2008, le Conseil constitutionnel avait admis la possibilité d’une rétention de sûreté pour une personne déclaré irresponsable pour trouble mental si elle présentait :

« une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu’elle souffre d’un trouble grave de la personnalité. »

Il revient à la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, composée notamment d’experts en psychiatrie, d’évaluer le degré de dangerosité d’un individu reconnu irresponsable pénalement afin de proposer une mesure de rétention de sûreté.

En matière terroriste, la réévaluation périodique de la personnalité reste un vrai défi ce qui a, certainement incité le législateur à se passer de cette étape importante aux yeux des juges constitutionnels. Cet examen de personnalité est particulièrement difficile quand on sait que des terroristes pratiquent la technique de la dissimulation appelée dans le cas du terrorisme islamiste, taquiya.

C’était le cas de Mohamed Merah, auteur des attentats de Toulouse et de Montauban, de Sid Ahmed Ghlam le meurtrier d’Aurélie Châtelain, d’Amedy Coulibaly, le preneur d’otages de l’Hyper Casher ou encore de Salah Abdeslam auteur présumé des attentats du 13 novembre.

La décision du Conseil constitutionnel du 7 août pointe également dans son paragraphe 18 que le texte voté ne comportait pas de dispositif montrant une prise en charge et suivi psycho-social des individus qui feraient objets des mesures post-détention.

Le suivi psy, une histoire ancienne

Cette nécessité de suivi était déjà un point mentionné lors d’une autre décision du Conseil constitutionnel datant du 21 février 2008. La décision souligne qu’il incombe à la juridiction en charge de l’exécution de la mesure de s’assurer que :

« la personne condamnée a effectivement été mise en mesure de bénéficier, pendant l’exécution de sa peine, de la prise en charge de soins adaptés au trouble de la personnalité dont elle souffre. »

Certes, l’analyse est plus simple pour une personne souffrant de trouble mental que pour un terroriste qui dissimule ses projets. Néanmoins, le Conseil constitutionnel avait donc déjà rendu des conclusions sur ce sujet que les parlementaires n’ont pas su ou voulu emprunter.

Les juges de la rue Montpensier ont aussi réitéré la nécessité d’un équilibre en soulignant que les mesures proposées par le législateur ne sont pas des sanctions mais des dispositions de nature à prévenir des atteintes graves à l’ordre public en s’intéressant, cette fois, à la dangerosité de l’individu.

Cette exigence d’équilibre est d’autant plus forte que les mesures de sûreté peuvent s’exercer pendant 10 ans alors même que l’individu a exécuté l’intégralité de sa peine.

Quel équilibre possible ?

La solution serait, aujourd’hui, de permettre au juge judiciaire de prononcer en sus de la peine d’emprisonnement une mesure de surveillance pouvant aller jusqu’à son maintien en détention si le condamné ne se désolidarise pas de cette idéologie et en engageant un projet de réinsertion durant sa détention.

En attendant, la puissance publique dispose toujours de la capacité d’exercer des surveillances judiciaire ou administrative sur les individus dangereux. Toutefois, le nombre de personnes - environ 10 100 – à prendre en charge reste élevé. Or les moyens sont limités.

C’est aussi le constat dressé par un rapport de la Cour des Comptes récemment paru. Pour les magistrats financiers, les crédits alloués au Plan de lutte antiterroriste demeurent insuffisants, malgré une hausse notable des effectifs « depuis 2014, à hauteur de 5,3 % pour la police nationale (évolution 2014-2018) et de 4,2 % pour la gendarmerie (entre 2014 et 2019) ». La Cour pointe également des disparités entre services avec un manque d’adéquation entre effectifs, formation et équipements.

Cette situation peut conduire le parquet antiterroriste à revoir les modalités de surveillance d’individus représentant une menace particulièrement grave pour l’ordre public en proposant d’autres dispositifs de surveillance.

Comment considérer ces mesures ?

Certains considèrent que la loi proposée est un moyen pour le législateur de contourner des peines qu’il estime peut-être comme trop clémentes.

Hommage au Père Hamel et les victimes de l’attentat de St-Etienne-du-Rouvray, survenu le 26 juillet 2016. Sameer Al-Doumy/AFP

En instaurant, des mesures de sûreté qui sont des mesures de surveillance judiciaire, les parlementaires entendent maintenir ces individus dangereux sous-main de justice et sous pression afin d’éviter une réitération.

Il serait cependant utile de s’interroger sur la réelle efficacité de ces dispositions. En imposant ces mesures, il n’est pas acquis que l’individu surveillé évitera la récidive.

Adel Kermiche, 19 ans, avait tenté à deux reprises de se rendre en Syrie. Il a été emprisonné avant d’être libéré et placé sous surveillance. Le 26 juillet 2016 il a assassiné le Père Jacques Hamel à l’église Saint-Étienne-du-Rouvray, un bracelet électronique attaché à sa cheville.

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