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Pfizer pourrait damer le pion à Sanofi en rachetant Medivation

Pfizer cherche à acheter des firmes détentrices de brevets pour compenser entre autres, le fait que son Viagra soit tombé dans le domaine public. Toshiyuki IMAI/Flickr, CC BY-SA

Le 22 août, Pfizer a signé un accord pour racheter Medivation qui valoriserait l’entreprise à 14 milliards de dollars (12,4 milliards d’euros). Le groupe Pfizer a annoncé qu’il paierait 81,50 dollars par action en cash soit 21 % au-dessus de la valorisation actuelle de la biotech californienne dont le cours clôturait à 67,16 dollars le vendredi 19 août. Quels éléments motivent une telle offre ? S’agit-il réellement d’une pépite ?

La stratégie derrière cette nouvelle acquisition

Au printemps 2016, Pfizer avait dû renoncer au rachat de la firme irlandaise Allergan qui aurait constitué la plus grosse opération « d’inversion fiscale » réalisée par une entreprise américaine. Un mécanisme qui aurait permis dans le cadre d’une « fusion à l’envers » qu’Allergan rachète Pfizer. Pfizer aurait ensuite déplacé son siège social en République d’Irlande (Dublin) où le taux d’imposition sur les bénéfices des sociétés s’élève à 12,5 % seulement entraînant de considérables économies d’impôts pour le nouveau groupe.

Barack Obama, s’était vivement exprimé lui-même contre ces « tax inversion » et son discours visait clairement Pfizer. Le rêve de redevenir numéro un mondial du secteur pharmaceutique devant le Suisse Novartis et de peser près de 160 milliards de dollars avait alors été anéanti à la suite des nouvelles mesures annoncées par le Trésor américain pour limiter les opérations « d’inversion fiscale ».

Depuis début avril 2016, Pfizer était donc à la recherche d’une autre société pharmaceutique capable de lui apporter des blockbusters pour compenser les pertes de revenus liées à l’expiration de certains de ses brevets. À l’instar du fameux Viagra tombé dans le domaine public en juin 2013 en Europe et en mai 2014 pour le Japon et l’Australie ou encore pour compenser la baisse des ventes de médicaments phares comme l’Enbrel, le Lyrica ou le Lipitor.

De plus Pfizer poursuit une longue tradition d’acquisitions de sociétés surtout pour semble-t-il renforcer à nouveau son pôle de médicaments brevetés.

Medivation : une cible privilégiée pour Pfizer

Tout d’abord, Medivation apporterait à Pfizer d’autres médicaments clés dans le traitement des cancers notamment celui du cancer de la prostate. Déjà présent dans le secteur de l’oncologie grâce à l’Ibrance (palbociclib), utilisé pour traiter le cancer du sein, Pfizer souhaite encore accélérer le développement de ce segment porteur. En rachetant Medivation, Pfizer prendrait ainsi une place de choix en cancérologie. En effet, Medivation a conclu en octobre 2009 un accord de collaboration avec Astellas lui permettant de développer le Xtandi internationalement et de le commercialiser conjointement aux États-Unis depuis l’autorisation de mise sur le marché américain par la U.S. Food and Drug Administration en 2012. Le Xtandi permet de lutter contre le cancer de la prostate et affiche de très belles performances. Il est en effet précisé dans le communiqué de presse :

« Selon Astellas Pharma, la commercialisation du Xtandi aurait généré 2,2 milliards de dollars de revenus nets au niveau mondial sur les quatre derniers trimestres et aurait permis de traiter 64 000 hommes à ce jour aux États-Unis ».

Ensuite, Medivation est détenteur (en nom propre et non en collaboration) du Talazoparib, un médicament pour lutter contre certains cancers du sein (avec mutation des gènes BRCA) et du Pidilizumab, anticorps pour lutter contre le cancer du sang. Ces derniers, respectivement en phase 3 d’essai clinique et en phase 2, ne sont pas encore disponibles à la vente, mais pourraient potentiellement devenir eux aussi des blockbusters.

Ensemble, Pfizer et Medivation seraient à même de combiner leurs ressources et leurs efforts en matière de recherche et développement, un facteur clé de succès dans l’industrie pharmaceutique. À titre informatif, comme indiqué dans les rapports annuels respectifs, le groupe Pfizer a consacré 7,7 milliards de dollars aux frais de R&D soit 15,7 % de son chiffre d’affaires au 31 décembre 2015 et Medivation a engagé 232 millions de dollars en frais de R&D pour un chiffre d’affaires de 943,3 millions de dollars au 31 décembre 2015, soit 24,6 % de ses revenus.

En conjuguant leurs apports, le nouveau groupe Pfizer pourrait poursuivre son avancée dans la lutte contre deux des cancers les plus courants. En effet, il est précisé dans le communiqué : « Le cancer reste la seconde cause la plus importante de décès aux États-Unis et fait partie des « Top 10 » causes de mortalité. Selon l’American Cancer Society, le cancer du sein et celui de la prostate seraient parmi les trois types de cancers les plus fréquents aux États-Unis ».

Par ailleurs, Medivation constitue une cible parfaite pour Pfizer : il s’agit d’une société américaine, donc pas de risque que l’opération soit rejetée par les autorités pour un motif fiscal (comme dans le cas de l’offre sur Allergan).

Enfin, si l’acquisition se concrétisait, Pfizer réduirait fortement les ambitions d’un de ses principaux concurrents : Sanofi qui courtisait Medivation depuis cinq mois. Le groupe français Sanofi avait proposé de racheter le groupe pour 9,3 milliards de dollars en avril (8,2 milliards d’euros) à 52,50 dollars l’action et relevé son offre à 10 milliards de dollars mais Medivation avait jugé l’offre insuffisante ; puis d’autres acheteurs potentiels, Merck, Celgene, Gilead Science notamment étaient alors entrés dans la course.

Une opération bien engagée

Selon le communiqué :

« Les Conseils d’administration des deux sociétés ont unanimement approuvé la fusion, qui est supposée contribuer immédiatement après sa réalisation à la progression du résultat dilué par action de Pfizer et de l’ordre de 0,05 dollars par action un an après la conclusion de l’opération ».

Ian Read, président du Conseil d’Administration et PDG de Pfizer précise même : « l’acquisition proposée de Medivation est supposée accélérer immédiatement la croissance des revenus et le potentiel de progression des résultats du groupe ». Il conclut en indiquant que :

« l’addition de Medivation renforcera l’activité Innovation Santé de Pfizer et accélèrera sa position de leader dans l’oncologie, un des secteurs clés, générateur de plus de croissance et de plus de volume sur le long terme. Cette transaction est un autre exemple illustrant comment nous déployons notre capital pour générer des rendements attractifs et créer de la valeur pour l’actionnaire ».

Pfizer espère finaliser l’acquisition au troisième ou quatrième trimestre 2016.

Medivation serait, pour Pfizer, la plus grosse acquisition depuis celle de Hospira pour environ 17 milliards de dollars en septembre 2015.

Pfizer financera cette acquisition sur son trésor de guerre. En effet, tel qu’indiqué dans son bilan consolidé au 31 décembre 2015, Pfizer disposait d’une trésorerie de 3,6 milliards de dollars et de placements à court terme de 19,6 milliards de dollars soit un total mobilisable de près de 23,3 milliards de dollars. Même si Pfizer a procédé au rachat de ses propres actions pour 5 milliards de dollars en mars 2016 et annoncé en juin 2016 l’achat d’Anacor Pharmaceuticals (autre société disposant de médicaments brevetés) pour 5,2 milliards de dollars, le groupe pharmaceutique a de quoi financer cette acquisition sans augmenter son endettement.

Avec une offre valorisant la biotech californienne à 14 milliards de dollars (12,4 milliards d’euros) et donc largement au-dessus de l’offre de Sanofi, Pfizer a de très fortes chances que l’opération se conclue. Ce serait probablement une excellente affaire pour les actionnaires, valorisant Medivation à 33,7 fois son résultat opérationnel ou 36,7 fois son résultat avant impôt.

Au-delà de l’apport des actions par les actionnaires, reste à obtenir l’accord des autorités de la concurrence américaines.

Avant de conclure que Pfizer a racheté une pépite, il faudra voir dans quelle mesure le nouveau groupe poursuivra l’accord de collaboration avec Astellas pour développer et commercialiser le Xtandi au niveau mondial tel qu’il est indiqué en Note 3 du rapport annuel 2015 de Medivation.

Autre point important également, la croissance du chiffre d’affaires et l’impact positif sur la rentabilité dépendront aussi du succès du nouveau groupe à obtenir (rapidement) une autorisation de mise sur le marché pour le Talazoparib et le Pidiluzimab afin qu’ils soient disponibles à la vente pour les patients.

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