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Plan de relance européen : le vice caché

La Présidente de la Commission européenne  Ursula Von Der Leyen , le Président du Conseil de l'Europe Charles Michel le Président du Parlement David-Maria Sassoli se saluent à Bruxelles
La Présidente de la Commission européenne Ursula Von Der Leyen, le Président du Conseil de l'Europe Charles Michel, le Président du Parlement David-Maria Sassoli: le plan de relance est célébré malgré de vraies inquiétudes. François WALSCHAERTS / POOL / AFP

Une « étape majeure », des conclusions « historiques » : le plan de relance européen ne cesse de recevoir les éloges des chefs d’États et membres du Conseil européen, Emmanuel Macron en tête.

Pour la Présidente von der Leyen, « La situation était sombre » « les options peu nombreuses », mais « nous avons non seulement mis de côté les tabous et les a priori, mais « l’Union a franchi un cap important ». Cette rhétorique de l’urgence et du sauvetage perpétue le mythe fondateur de l’intégration européenne comme seule planche de salut pour les États et les peuples européens. Sans cesse menacée, l’Union européenne serait indispensable.

Mais cette rhétorique s’épuise. Chaque victoire ressemble de plus à plus à celle de Pyrrhus. Le compromis cachant toujours une compromission, le plan de relance adopté le 21 juillet 2020 a un vice caché.

Certes, il prévoit 750 milliards d’euros de subventions et de prêts, dont 672,5 milliards pour la « Facilité pour la reprise et la résilience », le fonds chargé de distribuer les fonds empruntés par l’Union aux États et dont l’objectif est de soutenir les États membres dans leurs efforts de relance.

Le caractère symbolique du geste, l’endettement de l’Union au profit des États, ne saurait dissimuler que l’aide n’est pas automatique. Le vice se cache dans les conditions exigées des États membres pour recevoir les fonds.

La conditionnalité de l’aide

La majeure partie des aides, prêts ou subventions, sera versée par le fonds Facilité pour la reprise et la résilience. Sur les conditions d’octroi de ces aides, les conclusions du Conseil européen sont claires :

« L’évaluation positive des demandes de paiement sera subordonnée au respect satisfaisant des objectifs intermédiaires et finaux correspondants ».

L’aide est ainsi subordonnée au respect de critères : les « objectifs intermédiaires et finaux ».

Tout l’enjeu réside donc dans la détermination de ces objectifs. Ils seront contenus dans des « plans pour la reprise et la résilience », élaborés par les États membres. Mais, ces derniers ne sont pas libres dans leur rédaction.

Ils seront contraints, sur le fond, par une série de priorités déterminées par le Conseil européen : « cohérence avec les recommandations par pays » « renforcement du potentiel de croissance, de la création d’emplois et de la résilience économique et sociale », « contribution effective à la transition verte et numérique ». Sur la forme, l’évaluation des plans devra être : « approuvée par le Conseil statuant à la majorité qualifiée ». C’est donc aux Ministres de l’Economie et des Finances, réunis au sein du Conseil, qu’appartient le dernier mot.

La logique sur laquelle repose la conditionnalité n’est pas nouvelle, elle reprend celle de la « gouvernance économique » sur laquelle elle va largement reposer.

L’ancrage dans la gouvernance économique

Depuis l’introduction de l’euro en 1999, les politiques budgétaires et économiques nationales doivent être considérées comme « une question d’intérêt commun ».

À l’origine assez légère, la coordination se concentrait sur le Pacte de stabilité et de croissance et donc le respect de deux critères : 3 % du PIB de déficit public et 60 % du PIB de dette publique. Mais, depuis dix ans, la gouvernance économique s’est profondément transformée, notamment au travers du « semestre européen ».

Procédure compliquée, le « semestre européen » a pour objectif de garantir la convergence des politiques économique et budgétaire dans le sens des priorités de l’Union. En décembre la Commission fixe les grandes priorités, au moyen de son « examen annuel de la croissance », puis elle conduit un examen de la situation économique de chaque pays et formule des diagnostics.

Au printemps les États membres déclinent ces priorités au niveau national au travers des « programmes nationaux de réforme » (pour la politique économique) et des « programme de stabilité » (pour la politique budgétaire). À l’été, le Conseil, après évaluation des programmes par la Commission, adopte des « Recommandations par pays », qui incitent les États à infléchir leurs politiques économiques et budgétaires dans le sens des priorités de l’Union. À l’automne, les États transmettent à la Commission leurs « projets de plan budgétaires », qui sont évalués à l’aune des critères du pacte et des recommandations par pays.

Le raté de la réforme des retraites en France

Par exemple, au printemps 2018, la Commission fait le diagnostic que « la situation financière du système de retraite se détériore à moyen terme » en France et que « les dépenses de retraite (en France) figurent parmi les plus élevées de l’UE ».

Peu après, le programme national de réforme français annonce une réforme des retraites. La recommandation européenne adressée à la France en juillet 2018, lui demande ainsi de veiller : « à uniformiser progressivement les règles des différents régimes de retraite pour renforcer l’équité et la soutenabilité de ces régimes ».

La réforme n’ayant pas été mise en œuvre en février 2019, la Commission constate que « des progrès limités » ont été accomplis dans ce domaine au printemps 2019. Rebelote tout au long de 2019, avec une année qui s’achève lourde de conséquences sociales pour Matignon.

À nouveau, faute d’avoir trouvé un accord en 2020, la Commission constate, qu’en France des « progrès limités » ont été accomplis. La Commission ne s’en est pas émue plus que cela, elle a l’habitude que ses recommandations ne soit pas suivie. En effet, pour le moment, la gouvernance économique n’est pas réellement contraignante.


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Une procédure globalement peu efficace

Non seulement lourde et complexe, la procédure est aussi globalement peu efficace. De l’aveu même de la Commission, les recommandations par pays sont assez peu suivies : 6 % d’entre elles sont « mises en œuvre intégralement », pour 46 % il y a « certains progrès » et pour 27 % seulement des « progrès limités ». L’ajustement budgétaire vers les critères de pacte de stabilité ne s’est opéré qu’au plus fort de la crise des années 2010, sous la pression des marchés et non de la « gouvernance économique ».

Rien n’incite vraiment les États à respecter les exigences du semestre européen. Les sanctions telles les amendes prévues par les textes ne sont pas appliquées : ce fut ainsi le cas pour l’Espagne et le Portugal en juillet 2016.

Le plan de relance permet alors de passer de la sanction à l’incitation. Comme le constate la Commission, le plan de relance constitue « un soutien financier direct lié à l’obtention de résultats et à la mise en œuvre des réformes ». Les réformes ne seraient plus le résultat de choix politiques, mais l’issue d’une procédure technocratique.

La méthode technocratique

La gouvernance économique se fonde sur des évaluations de la situation économique des États, faites par la Commission, qui conduit à l’adoption de recommandations par pays. Sur le fond, celles-ci sont assez contraignantes. En 2019, pour la France, elles recommandaient de veiller :

« à réduire les dépenses et à réaliser des gains d’efficacité dans tous les sous-secteurs des administrations publiques », « à poursuivre la simplification du système d’imposition » ou encore « à réduire les restrictions réglementaires, notamment dans le secteur des services ».

Contraignantes dans leur formulation, les recommandations ne l’étaient pas dans leur mise en œuvre.

L’ensemble de la procédure est, par nature, technocratique. Le Parlement européen et les Parlements des États membres n’y sont associés que de très loin. L’organe central est la Commission européenne. C’est elle qui fixe les grandes priorités.

Ainsi, en décembre 2019, elle a présenté une « nouvelle stratégie de croissance ambitieuse, axée sur la promotion d’une durabilité compétitive ».

Il est peut-être nécessaire de repenser le modèle de croissance, mais ce n’est pas à la Commission de le choisir, celle-ci n’étant pas directement issue de la majorité au Parlement européen.

Un homme regarde les journaux annonçant la fin du cycle de dettes à Athènes le 21 août 2018.
Jour de la « rédemption » à Athènes, le 21 août 2018, surnommé ainsi par le Premier ministre Alexis Tsipras, annonçant la sortie progressive du pays d’un long cycle d’endettement. Louisa Gouliamaki/AFP

Au surplus, c’est aussi elle qui évalue les choix de politiques économiques et budgétaires nationaux. Ces derniers ne sont donc plus considérés comme des choix politiques mais des données techniques analysées à l’aune de critères économiques. Tant que cette analyse et ses résultats n’étaient pas contraignants pour les États, elles apparaissaient comme des conseils, qu’ils étaient libres de ne pas suivre.

En liant l’octroi des aides du plan de relance au respect du « semestre européen », ce dernier devient contraignant pour les États. En effet, le non-respect des recommandations par pays pourra dorénavant entraîner le rejet des demandes de versement des aides octroyées par le plan de relance. À titre d’exemple, s’il est recommandé à la France de réformer son système des retraites, et que la réforme ne se fait pas ou prend du retard, les aides à la relance pour la France pourraient être suspendues.

Une telle ingérence de la Commission, de la BCE et du FMI dans les politiques nationales renvoie au précédent grec, dont le Parlement européen avait souligné qu’il était : « dépourvu de transparence et de contrôle démocratique ».

L’implication indispensable du Parlement européen

Les choix politiques des États seront soumis aux évaluations subjectives de la Commission, l’économie n’étant pas une « science » comme le rappelait l’économiste François Bourguignon.

Leur liberté de faire des choix différents de politique économique s’en trouvera largement réduite. Au surplus, depuis quelques mois, le semestre européen s’est largement enrichi.

En plus des « programmes nationaux de réforme » et des « programmes de stabilité », les États doivent adopter des « plans nationaux en matière d’énergie et de climat » et des « plans pour une transition juste ». Une telle multiplication des plans et programmes transforme radicalement et définitivement l’action publique en management technique par les objectifs et les résultats. Avec le plan de relance, l’Union européenne achève sa transformation en superstructure administrative de planification.

Le Parlement européen a exigé, le 23 juillet, une plus grande implication dans la gouvernance de la « Facilité pour la reprise et la résilience », dont le Conseil européen a seulement dessiné les contours. Les détails de cette gouvernance seront décidés, d’un commun accord, par le Parlement et le Conseil. Ce dernier devra tenir bon, exiger une place centrale dans le processus et s’il l’obtient, peut-être, une étape sera franchie vers une Europe politique et démocratique, et non technique et bureaucratique.

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