Menu Close
Photo d’un dispositif permettant la fécondation in vitro
Les techniques de fécondation in vitro ont beaucoup progressé au fil des décennies. Shutterstock / HealthyCapture Studio

PMA, FIV… La « fabrique de l’humain » face aux enjeux biologiques, sociétaux et éthiques

En France, le nombre de personnes confrontées à des problèmes d’infertilité est en augmentation : un couple sur quatre souhaitant un enfant fait face à des difficultés de procréation. Par ailleurs, le nombre de grossesses tardives chez les femmes de plus de 40 ans s’accroît lui aussi.

Si la procréation médicalement assistée (PMA, aussi appelée « assistance médicale à la procréation » ou AMP) constitue un immense progrès pour aider les personnes infertiles, pourra-t-elle répondre à tous ces défis ? Quels questionnements éthiques se posent, alors que s’affirme une volonté sociétale qui tend à mener la médecine hors de son champ initial, qui est de soigner ?

La dernière révision des lois de bioéthique a tenté de répondre à ces mutations de nos sociétés, mais de nombreux défis restent à relever, et des questions continuent à se poser.

La longue histoire de la fécondation in vitro

La fécondation in vitro ou FIV est une technique d’assistance médicale à la procréation qui consiste à réunir dans un tube à essai un ovocyte ponctionné dans les ovaires d’une femme (après stimulation hormonale) et un spermatozoïde. L’embryon formé après fécondation se développe pendant quelques jours, puis est implanté dans l’utérus. La FIV est donc à distinguer de l’insémination artificielle, qui consiste à recueillir et préparer le sperme pour l’injecter dans l’utérus de la femme, de façon synchrone avec l’ovulation.

C’est l’embryologiste viennois Samuel Schenk qui entama les premières recherches sur la FIV dès 1878, sur des lapins et des cochons d’Inde. Il faudra cependant attendre 1934 pour qu’une première FIV soit couronnée de succès chez l’animal : elle est l’œuvre de Gregory Pincus et Ernst Enzmann, de l’université d’Harvard, et ce résultat a été obtenu chez des lapins.

Après plusieurs tentatives infructueuses dans divers pays, c’est en 1978 qu’est enregistrée la première tentative réussie de fécondation in vitro chez l’être humain. Elle mena à la naissance, en Grande-Bretagne le 25 juillet 1978, de Louise Brown, le premier « bébé éprouvette ». Son « père » scientifique est Robert Edwards, physiologiste à l’université de Cambridge, qui sera récompensé en 2010 par le prix Nobel de Médecine.

En France, il faudra attendre 1982 pour que les équipes du professeur René Frydman reproduisent l’exploit, qui aboutira à la naissance d’Amandine à l’hôpital Antoine Béclère de Clamart. Puis c’est au tour, en mars 1984, de Zoé, née en Australie d’un transfert d’embryon à partir d’un embryon congelé.

1992 voit l’apparition de l’ICSI (injection intracytoplasmique), qui révolutionne la manière d’aborder la stérilité masculine. Basée sur la technique de la FIV (fécondation in vitro), l’ICSI consiste à injecter directement à l’intérieur de l’ovule, sous contrôle microscopique, un seul spermatozoïde soigneusement sélectionné.

L’ICSI, qui représente aujourd’hui 67 % des FIV, est souvent le seul recours thérapeutique pour les cas d’infertilité masculine sévères. Le premier « bébé miracle » français né de ce procédé, qui augmente le taux de fécondation, s’appelle Audrey et voit le jour en 1994.

Depuis 2002, grâce au diagnostic génétique préimplantatoire des enfants ont pu naître malgré des pathologies existant chez l’un des parents. En 2019, 3,7 % des enfants avaient été conçus par PMA incluant 2,9 % par FIV et 0,8 % par insémination artificielle. Autrement dit, à l’heure actuelle, en moyenne, parmi un groupe de 27 enfants nés en 2020, l’un de ces enfants a été conçu par PMA.

Si ces techniques sont aujourd’hui très bien maîtrisées, diverses limites demeurent, non seulement techniques, mais aussi éthiques.

Un taux de réussite modeste

Premières limites, la tolérance à la stimulation ovarienne. Relativement lourd, ce traitement hormonal vise à obtenir le développement d’un à trois follicules matures (agrégats sphérique de cellules, contenant un ovocyte, lequel est normalement relâché durant l’ovulation), qui pourront, après prélèvement, être fécondés in vitro.

Les doses d’hormones utilisées dans le cas d’une FIV sont beaucoup plus importantes que dans le cas d’une insémination artificielle, laquelle technique est par ailleurs moins invasive.

Or, le taux de réussite des FIV demeure relativement modeste (lorsqu’on parle de grossesse, le taux de réussite en FIV ICSI est identique à celui de la FIV « classique ». Une étude menée en Grande-Bretagne en 2015 estimait que lors du premier cycle de FIV une femme avait 29,5 % de chances de tomber enceinte. En revanche, ce pourcentage ne peut être cumulé de cycle en cycle : les chances qu’une seconde FIV aboutisse après une première FIV infructueuse sont d’environ 25 %, puis 22,5 % pour une troisième tentative, et 20,5 % pour la quatrième.

En 2011, une étude de l’INED menée dans 8 centres d’AMP en France soulignait que la FIV restait « un parcours difficile qu’un couple sur 4 ne poursuit pas après l’échec de la 1er FIV ». Selon ces données, en cas d’échec de la première FIV, 27 % des couples arrêtent leur traitement sans faire de 2e FIV. Les arrêts de traitement sont encore plus fréquents après la 2e FIV (34 %) et la 3e FIV (42 %).

Un manque de donneurs de gamètes et de centres

En 2021, la révision des lois de bioéthique en France a apporté plusieurs modifications d’importance. Elle a notamment ouvert aux couples de femmes et aux femmes seules l’accès à la PMA, et modifié les conditions d’accès aux origines sous conditions.

Ces changements n’ont pas été sans conséquences. Des tensions éthiques ont par exemple émergé en termes de filiation, de droits des enfants à venir, d’accès pour tous à la PMA (hommes et femmes) portant un désir d’enfants ou un projet parental. Citons par exemple la tension éthique qui peut émerger entre le respect de l’autonomie procréative des parents d’intention et le devoir de minimiser les risques pour les enfants potentiels, une autre tension éthique peut concerner l’impact psychologique potentiel sur les enfants à venir des donneurs de gamètes, ou encore la filiation et le droit des enfants issus de ces techniques de PMA.

Les demandes d’aide médicale à la procréation ont par ailleurs explosé, passant d’environ 2 000 demandes annuelles à plus de 15 000 en 2022.

Le délai entre la prise de rendez-vous et la première tentative pour une PMA avec don de spermatozoïdes est passé de 14,4 mois au niveau national fin décembre 2022 (contre 12 mois un an plus tôt), et 23 mois pour un don d’ovocytes. Près de 6 200 personnes attendent une PMA avec don de spermatozoïdes dont 40 % de femmes seules.

Or, même si le nombre de candidats au don de sperme a augmenté, passant de 600 à 764 entre 2021 et 2022, tout comme celui des candidates au don d’ovocytes, passé de 900 à 990, sur la même période, cela n’est pas suffisant pour répondre à la demande sociétale aujourd’hui inscrite dans le droit.


Read more: PMA : l’extension légale de l’assistance médicale à la procréation se heurte à la réalité


La question de l’inégalité d’accès aux centres de PMA, notamment, demeure prégnante. En 2022, on dénombrait moins de 30 centres de don en France métropolitaine. En fonction du lieu de résidence, les délais variaient énormément, puisque pour un protocole AMP avec don de spermatozoïdes, ils pouvaient s’étirer de 9 mois à 3 ans.

La question de la prise en charge

Dans un contexte de budget de la Sécurité sociale contraint, le coût de l’accès à la PMA soulève plusieurs questions. En France, le coût moyen d’une FIV est de 4000€, alors que celui d’une insémination artificielle est de 1000€, pris en charge par la Sécurité sociale.

L’Assurance Maladie rembourse à 100 % au maximum 6 inséminations (une seule insémination artificielle par cycle) pour obtenir une grossesse ; 4 tentatives de fécondation in vitro pour obtenir une grossesse (rappelons que la limite d’âge de la mère pour être éligible à la PMA est de 45 ans, celle du père est de 60 ans.

Dans un contexte de budget de la Sécurité sociale contraint, le coût de l’accès à la PMA amène à s’interroger sur la question des limites de sa prise en charge, alors même que les demandes sociétales de recours à ces techniques évoluent. Et avec elles, les textes de loi, alimentés par les réflexions des comités d’éthiques.

Évolutions sociétales et questionnements éthiques

En 2017, dans son avis n°126 sur « les demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation », le comité consultatif national d’éthique soulignait que « depuis la fin des années 1960, une forte pression sociale s’est exercée en faveur de la liberté de la procréation humaine ».

Diverses évolutions législatives ont permis de libérer la sexualité d’une finalité procréatrice (autorisation de la prescription d’anticonceptionnels, dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse). La revendication de pouvoir concevoir un enfant au moment jugé le plus opportun a pris de l’ampleur, rendue possible par le développement des techniques d’assistance médicale à la procréation, devenues des recours envisageables en cas de difficulté, et au-delà.

Selon la psychanalyste et essayiste Monette Vacquin, nous sommes donc passés dans les années 1970 du désir de faire l’amour sans faire d’enfant, puis dans les années 1980 à la volonté de faire des enfants sans faire l’amour. À partir des années 1990, une nouvelle donne a émergé, qui est de faire des enfants sans être de sexes différents.

Ces évolutions des demandes sociétales se sont traduites par des évolutions juridiques prenant en compte les principes éthiques élaborés notamment par les équipes médicales et les comités d’éthique, comme en témoigne la dernière révision des lois de bioéthique, en 2021.

Ainsi, alors qu’initialement, les techniques de PMA étaient envisagées par le législateur comme des techniques devant apporter une réponse médicale à un problème d’infertilité médicalement diagnostiqué, le CCNE s’était prononcé en 2017 pour l’ouverture de l’AMP à des personnes sans stérilité pathologique. Cette position s’est traduite quatre ans plus tard, dans la nouvelle révision des lois de bioéthique, par l’ouverture de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes.

Autre point de l’avis n°126 suivi par le législateur : l’autoconservation des gamètes, désormais autorisée hors de tout contexte pathologique. Il est aujourd’hui possible d’y recourir afin de réaliser une AMP ultérieurement, sans condition de don préalable.

Ces évolutions sont le fruit d’une réflexion complexe. Le CCNE s’était notamment interrogé, lors de l’élaboration de son avis, sur les conditions d’accès et de faisabilité de l’ouverture de l’AMP à des personnes sans stérilité pathologique, en soulignant qu’elle « se concevrait pour pallier une souffrance ressentie du fait d’une infécondité secondaire à des orientations personnelles. »

Il soulignait dans le même temps que cette demande d’ouverture devait « être confrontée à la rareté actuelle des gamètes qui risque de provoquer un allongement des délais d’attente ou une rupture du principe de gratuité des dons. », et proposait d’étudier des modalités pour que l’assurance-maladie ne supporte pas les charges financières correspondantes (gratuité réservée aux cas pathologiques). Mais il soulignait que cela « aurait pour effet de réserver l’accès de l’AMP dite “sociétale” à des femmes aisées », et n’aurait « aucun impact sur la question de la rareté des gamètes disponibles ».

Une rareté qui, on l’a vu, soulève d’autres problèmes éthiques.

Et demain ?

Au-delà de ces considérations « actuelles », à mesure que les avancées techniques se poursuivent, de nouvelles questions éthiques seront posées. Ainsi, en septembre 2014 en Suède, naissait Vincent, premier nouveau-né issu d’un utérus prélevé sur une donneuse puis greffé dans le corps d’une femme en étant dépourvu.

On le voit, les progrès médicaux sont à l’origine de formidables exploits, même si la médecine ne peut pas encore répondre à toutes les situations singulières. Une question se pose néanmoins d’ores et déjà : quand bien même elle le pourrait, le devrait-elle ? Autrement dit, est-ce que si, techniquement, la médecine peut accomplir une chose, elle doit forcément le faire ?

En matière de PMA, cette question n’est pas nouvelle. Elle s’est posée dès que la science a commencé à laisser envisager qu’il serait un jour possible de maîtriser une donnée biologique longtemps incontournable : le fait que, pour « faire des enfants », il faut la rencontre d’un ovule et d’un spermatozoïde et un lieu propice, l’utérus.

Ainsi, après la publication de ses travaux, Pincus avait été dépeint par le célèbre magazine américain Times comme « un docteur Frankenstein » qui transformait la science-fiction en réalité. Il faut dire que deux ans auparavant, en 1932, Aldous Huxley, publiait « Le meilleur des mondes », une dystopie décrivant une société futuriste, eugéniste et désincarnée ayant bannie toute sexualité. Très hiérarchisée, divisée en différentes castes, ses membres, conçus artificiellement, sont conditionnés biologiquement et psychologiquement afin de garantir la stabilité et la continuité du système.

90 ans plus tard, les travaux de Pincus ont perdu leur caractère sulfureux. Mais désormais, d’autres réponses à d’autres questions font l’objet de débats passionnés, pour ne pas dire virulents, de la gestation pour autrui au diagnostic préimplantatoire qui permet de « trier » les embryons, en passant par le risque de marchandisation du corps, voire le rôle et la définition du père, un des « points de butée » identifiés par le CCNE en 2017.

Grande révolution anthropologique pour les uns, grandes évolutions sociétales pour les autres, les questions éthiques posées par la fabrique de l’humain doivent se poursuivre de manière dépassionnée et pluridisciplinaire : les biologistes, psychanalystes, juristes, politiques, philosophes, médecins, sont ainsi, lorsque l’enfant ne paraît pas de manière naturelle, convoqués autour du berceau de notre humanité.


Read more: PMA : premier bilan de la CAPADD, la commission d’accès aux origines


Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,600 academics and researchers from 4,945 institutions.

Register now