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Portugal, Philippines, France : comment les JMJ éclairent les différentes pratiques de la laïcité

Un prêtre en soutane dans avec un groupe de jeunes gens
Le prêtre Pedro Tavares danse avec des pèlerins de la paroisse de Bombarral au son de l’hymne des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) lors de la bénédiction des symboles des JMJ à Alto da Rolica, à Bombarral, le 7 juillet 2023. Le Portugal se prépare à accueillir le Pape François et environ un million de jeunes pèlerins pour les Journées mondiales de la Jeunesse (JMJ) du 2 au 6 août 2023. Patricia De Melo Moreira/AFP

Les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ), qui se déroulent cette année du 25 juillet au 6 août 2023 à Lisbonne, ont bénéficié d’un soutien significatif des pouvoirs publics portugais.

Le cumul des subventions versées à la fois par le gouvernement et les municipalités de Lisbonne et de Loures, qui accueillent les cérémonies de ce giga-événement organisé tous les deux ou trois ans par l’Église catholique depuis 1987, dépasse les 80 millions d’euros.

À ces transferts financiers directs s’ajoutent la fourniture à titre gracieux de différentes prestations, notamment la création d’un plan de mobilité, ou le déploiement de forces de police pour sécuriser l’événement. Comme au cours des éditions précédentes, ce soutien public d’une activité religieuse a divisé l’opinion publique.

Le contribuable portugais doit-il payer pour l’organisation des JMJ de Lisbonne ?

Concernant les JMJ de Lisbonne, l’utilisation de l’argent du contribuable a suscité des critiques qui ont connu leur acmé fin janvier 2023, quand les médias ont relayé l’information selon laquelle la mairie allait dépenser plus de 5 millions d’euros pour construire l’estrade destinée à la veillée et à la messe finales avec le pape François.

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Dans un contexte où les moins de 35 ans, à qui est destiné l’événement, sont les premières victimes de l’inflation, des voix se sont élevées pour dire que, plutôt que de servir à une fête éphémère, cet argent aurait été mieux employé à aider les jeunes Portugais à financer leurs études. D’autres commentateurs, ainsi qu’une association de promotion de la laïcité, ont dénoncé un manquement de l’État à son devoir de neutralité.

Les élus mis en cause, notamment le maire de Lisbonne Carlos Moedas, ont répondu que, comme pour l’édition de Madrid en 2011, l’investissement initial serait largement compensé par les retombées économiques. Les 1,5 million de participants attendus étant censés dépenser chacun 200 euros sur place, l’économie portugaise pourrait bénéficier d’un retour financier de 300 millions d’euros.

Des arguments relatifs à l’image de marque du Portugal sur la scène internationale ont été mis en avant par le président de la République, Marcelo Rebelo. Les JMJ étant présentées comme porteuses d’un message de fraternité, l’impact positif en termes de cohésion sociale a aussi été souligné.

Sur le plan juridique, des professeurs de droit ont affirmé que le soutien apporté était tout à fait conforme à la législation. De fait, si la Constitution de 1976 affirme l’aconfessionnalité de l’État et sa séparation avec « les Églises et autres communautés religieuses », la Loi de la Liberté religieuse (2001) et le nouveau Concordat signé avec le Saint-Siège en 2004 mentionnent un principe de coopération entre les pouvoirs publics et les religions, qui tient compte de leur représentativité (ce qui avantage le catholicisme, 81 % des Portugais s’y déclarant affiliés), dans les domaines où elles ont des intérêts communs (la promotion des droits humains, le développement, les valeurs de paix, de liberté…).

Cela ménage la possibilité de financements, ce que n’ont pas manqué de rappeler certaines personnalités catholiques au moment de la polémique sur le coût des JMJ. Selon leur interprétation de l’édifice juridique portugais, l’État est dans son rôle quand il soutient les JMJ, en raison de leur impact social positif, au même titre que quand il contribue à financer des manifestations culturelles et sportives.

Une question récurrente lors des préparatifs des JMJ

Cette question du soutien apporté par l’État aux JMJ est intéressante du point de vue de l’étude des relations entre État et religions. Comme j’ai eu l’occasion de l’analyser dans le cadre d’une recherche sur l’histoire globale des JMJ, elle s’est posée lors de précédentes éditions, en des termes qui dépendaient non seulement du cadre législatif mais aussi de la culture politique nationale et de l’état de l’opinion publique.

Sur les huit éditions s’étant tenues sous le pontificat de Jean-Paul II (1978-2005), cinq ont été organisées dans des pays où le financement direct du rassemblement par l’État était possible, soit parce que le catholicisme, en tant que religion de la majorité de la population, bénéficiait d’un statut privilégié (Argentine en 1987, Espagne en 1989, Pologne en 1991, Italie en 2000), soit parce que la Constitution n’interdisait pas explicitement le financement d’activités religieuses par l’État (Canada, 2002).

Les trois autres éditions ont eu lieu dans des pays où un principe de séparation stricte empêchait au contraire tout financement direct (États-Unis en 1993, Philippines en 1995 et France en 1997).

Laïcité prescrite, laïcité réelle

L’étude concrète des préparatifs m’a amené à relativiser l’importance des dispositions constitutionnelles organisant les relations entre l’État et les organisations religieuses. Une séparation stricte en principe peut en effet cacher de nombreuses interactions.

Le pape Jean-Paul II et le cardinal Sin lors de la messe finale des Journées mondiales de la jeunesse à Manille en 1995. Ryansean071/Wikipedia, CC BY

Aux Philippines, où la Constitution de 1987, qui a accompagné le retour de la démocratie, a proclamé, sur le modèle des États-Unis, l’impossibilité pour l’État d’utiliser l’argent ou les moyens publics pour soutenir un groupe religieux spécifique (article VI, section 29-2), le président (protestant) Fidel Ramos, décida de financer l’intégralité de la JMJ.

Un montage juridique fut échafaudé pour contourner la législation : le ministère du Tourisme versa des subventions à une association-écran dédiée à la jeunesse, qui transféra l’intégralité des sommes reçues aux organisateurs de l’événement. Le gouvernement prit en charge toutes les infrastructures, y compris celles qui étaient provisoires, comme le podium ou le système de sonorisation. Même les fleurs furent payées par le contribuable philippin.

La séparation stricte n’exclut pas la coopération

De telles libertés avec la loi ne semblent pas avoir été prises aux États-Unis ni en France. Cela dit, l’absence de transferts d’argent ne signifie pas que l’aide publique n’ait pas pu être aussi – voire plus – décisive que dans les pays autorisant le financement étatique des religions.

L’exemple de la France, où la loi du 9 décembre 1905 stipule que la République « ne salarie ni ne subventionne aucun culte », l’atteste. Dans ce pays où les sphères de compétences de l’État sont très larges, le concours apporté par la puissance publique à la réussite des JMJ parisiennes de 1997 fut déterminant. Le ministère de la Défense mit à la disposition des organisateurs un certain nombre d’appelés du contingent qui purent consacrer leur service militaire à la préparation du rassemblement.

Il prêta gracieusement du matériel et mit à disposition une partie de ses casernes pour l’hébergement de pèlerins. Le ministère de l’Intérieur prit quant à lui en charge une grande partie de la sécurisation de l’événement. Quant au ministère des Affaires étrangères, il mit en place une procédure facilitant la participation de jeunes étrangers ayant besoin d’un visa pour venir en France, et couvrit les coûts de fonctionnement de l’un des trois centres de presse. Il soutint particulièrement, dans le cadre de la politique de coopération, la participation de jeunes Africains.

Cet engagement, efficacement coordonné par un comité interministériel mis en place par le gouvernement d’Alain Juppé, fut prolongé après l’arrivée de Lionel Jospin à Matignon, à l’issue des élections législatives de juin 1997 qui avaient ramené la gauche au pouvoir. Les protestations de la part du camp laïque furent marginales, peut-être parce que les organisateurs avaient su donner une image positive d’un événement qui rassemblait pacifiquement des milliers de jeunes de différents pays.

On peut se demander si, l’un dans l’autre, les pouvoirs publics français, qui n’avaient versé aucune subvention directe, mais avaient structuré et organisé les efforts consentis par l’État pour faciliter le déroulement du rassemblement, n’ont pas rempli un rôle plus important que les pouvoirs publics portugais, qui ont affiché leur soutien à l’événement et financé son organisation, sans avoir mis en œuvre de planification globale des flux.

Cette mise en perspective montre que les régimes de laïcité ne suffisent pas à prédire l’aide effective apportée par les États à la mise en place des événements religieux. Elle montre également que les opinions publiques tolèrent plutôt bien le soutien apporté par l’État ou les collectivités territoriales aux manifestations religieuses à condition que celles-ci soient organisées avec une certaine économie de moyens, et soient perçues comme alignées avec les valeurs de solidarité et d’hospitalité.

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