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Nos années Trump

Pour comprendre les enjeux de la réforme de santé des Républicains

Dans une rue aux États-Unis, en 2014. Carl Lender/Flickr, CC BY

La réforme de l’assurance santé est la clé de voûte du système Trump : ce serait, en effet, d’après de nombreuses études, la première raison qui a motivé un vote en sa faveur, avant même la question migratoire. Et c’est d’ailleurs pourquoi il en a fait son premier décret présidentiel. Mais en promettant un plan de remplacement qui serait « plus beau, bien meilleur et moins cher » que celui mis en place par Barack Obama, il a suscité un sentiment mitigé, créant de la suspicion pour ses opposants et de l’enthousiasme chez ses supporters.

Ce plan a été débattu au Congrès américain. Présenté ce jeudi 23 mars par la Chambre des représentants, il lui a fallu passer par un certain nombre de procédures (des discussions en commissions, en sous-commissions, des auditions d’experts, et une évaluation chiffrée par le bureau du budget du Congrès) avant d’être soumis au vote de la chambre, réunie en séance plénière, pour une adoption formelle. On doit reconnaître que tout cela n’a pas traîné, répondant de fait à une promesse formelle du candidat Trump, qui assurait que la suppression de l’Obamacare ne tarderait pas.

Mais cela ne veut pas dire pour autant que son remplacement ira aussi vite. Le projet de loi des Républicains est terriblement complexe et on peut en être convaincu par la longueur du texte proposé : il atteint quand même 2700 pages ! L’exposition des plus grandes différences entre la loi qui existe actuellement et son plan de remplacement permettra donc de se faire une idée plus précise sur la question :

L’enjeu fondamental : qui sera assuré ?

Le principal argument des défenseurs de la loi que Barack Obama a fait adopter en 2010 (et qui est entrée en vigueur le 1ᵉʳ janvier 2014) est qu’elle a fait baisser très fortement le nombre d’Américains sans assurance. On estimait alors qu’ils étaient autour de 22 millions. Les projections pour l’avenir n’étaient toutefois pas très bonnes car le chiffre le plus avancé prévoyait 28 millions d’Américains sans assurance, en plus de ceux qui l’étaient déjà, pour 2026.

Le nouveau plan ne répond pourtant pas à cette préoccupation, car la Commission du Budget du Congrès annonce déjà que l’adoption de la loi en l’état fera bondir le nombre de non-assurés à 56 millions, avec une hausse très forte dès 2020. Pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que c’est une situation qui ne peut que déplaire à Donald Trump : 2020 sera l’année durant laquelle il cherchera à se faire réélire.

Il a donc un vrai caillou dans sa chaussure : une des principales mesures de l’Obamacare avait été de rendre l’assurance santé obligatoire pour tous, certes (ce qui déplaît aux Républicains), mais cette obligation avait justement pour but de faire disparaître cette catégorie des non-assurés. Les récalcitrants devaient même payer une amende s’élevant à 695 dollars pour un adulte en 2017. On a entendu sur tous les tons que les Républicains sont opposés à cette pénalité et qu’ils la considèrent insupportable. Elle est donc supprimée dans le projet actuel.

Dans une pharmacie de Blacksville, en Virginie-Occidentale. Brendan Smialowski/AFP

En revanche, une nouvelle disposition a été introduite – à la demande des compagnies d’assurances –, qui prévoit une augmentation de 30 % des primes pour toute personne qui n’aura plus été assurée pendant deux mois consécutifs. Ainsi les compagnies sont rassurées et pensent pouvoir équilibrer leurs comptes.

Donald Trump et les Républicains avaient annoncé un retrait total de l’Obamacare. Après son élection, le nouveau Président, prudent, avait toutefois indiqué qu’il garderait la disposition la plus populaire à savoir qu’on ne pourrait plus être exclu du droit à l’assurance lorsqu’on souffre d’une maladie chronique, y compris un asthme ou un diabète. Des millions d’Américains vivaient un cauchemar avant 2010 parce que, étant atteint d’une de ces maladies (somme toute bénigne pour la plupart d’entre nous), ils se retrouvaient avec une épée de Damoclès sur la tête avec ce risque, auquel nous faisons tous face, de développer une maladie grave et de n’être donc pas en mesure de faire face aux coûts des soins. La mesure protectrice a donc été conservée, au grand dam des assureurs. Le droit de conserver son enfant sur son compte jusqu’à l’âge de 26 ans, qui était aussi largement plébiscité, a également été conservé,

Un système fait pour les Américains (et leur mode de pensée)

Difficile de comprendre le système de santé américain si on ne sait pas qu’il repose sur un système très individualisé : jusqu’à l’entrée en vigueur de l’Obamacare, chacun devait se débrouiller et pouvait décider de s’assurer, ou non. Les entreprises de plus de 50 salariés avaient pourtant l’obligation de fournir une assurance et, pour les autres, la couverture-santé entrait dans les négociations qui étaient menées lors d’une embauche, surtout dans les entreprises ayant entre 25 et 50 salariés. Il était, bien évidemment, plus difficile aux PME et TPE de supporter le coût d’un tel dispositif, comme on peut l’imaginer, d’où cette liberté laissée à chacun de faire comme il l’entendait.

Avec l’Obamacare, il a alors été inventé un système appelé « bourses d’échanges », fonctionnant sur Internet, comme un site de réservation de voyages, et sur lequel les Américains pouvaient comparer les assurances et s’assurer directement. Cette bourse était mise en place par l’État dans lequel on vivait, qui en assurait aussi le bon fonctionnement et le côté raisonnable des prix proposés. Au minimum, chacun des plans proposés devait offrir une couverture hospitalière, la prise en charge des maladies les plus graves et les médicaments.

C’est justement ce système qui a été particulièrement décrié parce que les plans proposés ont été très différents d’un État à un autre. Les coûts, en particulier, pouvaient exploser, notamment dans les zones rurales ou celles où on trouve une population pus âgée. Le plan des Républicains prévoit de conserver l’idée que les besoins de base doivent être assurés pour tous et les assureurs n’auront pas le droit d’imposer des limites dans le temps ou des temps de carence avant la mise en place d’une assurance : là encore, c’était une pratique courante avant l’Obamacare.

Les ratés du plan proposé

Les lobbies des assurances ont pourtant réussi à faire imposer une libéralisation des primes, qui deviendront progressives avec l’âge, une personne âgée pouvant devoir payer sa couverture-santé cinq fois plus cher qu’un sujet jeune. L’exemple qui circule le plus dans les journaux est celui d’une personne de 64 ans, gagnant 26 000 dollars par an et dont la couverture santé pourrait atteindre 14 000 dollars, alors que celle d’un jeune Américain de 20 ans sera, pour les mêmes garanties, de 1 700.

L’émoi provoqué par la publication de ces projections a été énorme, en particulier dans les zones rurales où la population est vieillissante. Le président de la Chambre des représentants, Paul Ryan, est aussitôt monté au créneau pour affirmer que les députés allaient corriger ces défauts, en travaillant en étroite collaboration avec les sociétés d’assurances.

De façon plus globale, c’est d’ailleurs là un des changements les plus importants avec le nouveau système proposé par les Républicains : ceux qui gagnent le moins seront moins bien couverts alors que ceux qui gagnent le plus garderont leur couverture actuelle. Les critiques les plus virulentes portent désormais là-dessus et la Fondation Kaiser pour la Famille a réalisé une étude très détaillée qui démontre qu’il vaudra mieux être jeune, en bonne santé et vivre dans un État tel que le Massachusetts ou Washington, plutôt que plus âgé, avec quelques pépins de santé et vivre en Alaska ou en Arizona.

Si avec l’Obamacare habiter un zone plus désertique et l’âge n’étaient pas des handicaps pour les moins fortunés, car il avait été prévu des allocations spécifiques pour ceux gagnant moins de 48.000 dollars, les choses changent avec la nouvelle réforme et les allocations ne seront plus dépendantes des ressources mais seulement liées à l’âge, les plus pauvres touchant moins d’aides, paradoxalement, notamment parce que les aides ne seront plus indexées sur les coûts des primes et seront les mêmes partout.

Des impôts, encore et toujours ?

La levée de boucliers contre l’Obamacare avait été très forte de la part des mouvements Tea Party, qui refuse les augmentations de prélèvements et accusent le gouvernement central de prélever toujours plus d’impôts. Ces mouvements avaient fait naître au Congrès un groupe appelé le Freedom Caucus, un groupe d’une trentaine de parlementaires très déterminés et n’hésitant pas à faire une obstruction farouche.

Manifestation du Tea Party contre la réforme d’Obama, en 2010, à Saint-Paul dans le Minnesota. Fibonacci Blue/Flickr, CC BY

Pour les contenter, le nouveau projet prévoit de supprimer toutes les taxes imposées aux États pour compenser la part de ceux qui ne peuvent pas faire face aux coûts. Avec l’Obamacare, de nouvelles taxes avaient été prévues, supportées à la fois par les assureurs et les services de santé, parce qu’ils qui sont censés engranger de nouveaux bénéfices, ainsi que pour ceux qui gagnent le plus (avec des revenus supérieurs à 250.000 dollars l’an). Toutes ces taxes sont supprimées dans le nouveau projet.

Si tout le monde est concerné par les questions de santé, les femmes sont vigilantes sur plusieurs questions bien spécifiques, qui touchent à leur féminité et à la maternité. Il faut dire que, avant l’Obamacare, certaines compagnies d’assurances s’appuyaient là-dessus pour les faire payer plus cher. Le plan républicain a conservé l’interdiction des surprimes réservées aux femmes. Mais le bât blesse concernant la prise en charge des avortements, voire même de la contraception ou des soins liés à la maternité. Symbole du fossé qui oppose encore les Démocrates et les Républicains sur cette thématique, John Shimkus, député de l’Illinois, a demandé à la tribune du Congrès, le 10 mars 2017, pourquoi les hommes devraient payer pour la prise en charge prénatale.

Le nouveau plan républicain prévoit la couverture générale pour les femmes, mais stipule aussi que, à partir de 2020, la couverture ne sera plus assurée par Medicaid, (le programme qui prend en charge les plus pauvres) – ce qui concerne 80 % des femmes qui fréquentent le planning familial, parce qu’elles ont des revenus trop bas pour faire autrement. À partir de 2020, il est d’ailleurs prévu qu’il n’y ait plus un seul dollar de subvention de la part du gouvernement fédéral pour Medicaid.

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