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Pour devenir un leader, faut-il être drôle ?

Barack Obama amusant le public lors d'un discours.
L’ancien président des États-Unis, Barack Obama a forgé une partie de sa popularité sur des épisodes humoristiques, comme son Mic Drop en 2016. Maison blanche

Si le rire est le propre de l’homme, le sens de l’humour n’est pas aussi bien partagé chez nombre de dirigeants. Dans ses manifestations publiques ou symboliques, il ne fait pas bon ménage avec le pouvoir. L’humour a longtemps été condamné par le christianisme, dans la mesure où les Évangiles ne relatent pas d’épisodes dans lesquels Jésus rit. Tel est du moins l’argument du moine ultra rigoriste Jorge de Burgos dans le roman d’Umberto Eco, Le Nom de la Rose.

Dans les théories classiques du leadership, de plus en plus contestées aujourd’hui, l’humour ne fait pas partie des prétendues qualités nécessaires au leadership, telles que la ténacité, l’exemplarité ou la capacité à influencer et motiver. L’humour semblerait s’opposer à l’autorité que doivent incarner les leaders. Pour diriger, il faudrait être sérieux, tant de nombreuses décisions ont des conséquences graves.

En politique, il semble que plus les régimes sont autoritaires, plus l’humour est banni. Des dictateurs comme Mussolini, Pinochet, Staline, Hitler ou Pol Pot n’étaient pas des plaisantins (et c’est bien sûr une litote que de le dire). Dans l’actualité, certains dirigeants puissants présentent des visages sévères et n’utilisent presque jamais l’humour dans leur style de leadership. Les présidents autoritaires Recep Tayyip Erdogan, Viktor Orbán, Vladimir Poutine, Xi Jinping ou Ali Khamenei, le mollah iranien, manient peu les calembours ou les jeux de mots.

Dans les démocraties ou au sommet des grandes entreprises, les « petites blagues » sont plutôt mal vues et peuvent décrédibiliser les compétences du leader et ternir son image. Le président François Hollande semble notamment en avoir fait les frais durant son quinquennat.

Humour ou ironie ?

Par leadership, on entend l’aptitude à influencer les autres pour atteindre un objectif et réaliser le changement, sachant que les suiveurs sont plus ou moins libres de suivre le leader. Nous qualifierons d’« éthique », le leader qui ne fait pas de mal aux autres et à son environnement.

L’humour est une forme de communication qui cherche intentionnellement à provoquer le rire ou le sourire. D’un côté, il y a un message supposé humoristique. De l’autre côté, il y a la réponse de ceux qui reçoivent ce stimulus. L’humour peut aussi être considéré comme une disposition d’esprit qui implique souvent la mise en cause de soi-même et l’autodérision. Voilà peut-être pourquoi les leaders autoritaires ou les petits chefs qui ne deviendront jamais grands le détestent : l’humour met en cause l’humoriste lui-même.

L’ironie, elle, est davantage une manière de railler, de se moquer de quelqu’un ou quelque chose. Dans les discours actuels, elle est utilisée par certains pour fustiger des catégories ciblées. L’intention est moqueuse, malicieuse, parfois cruelle. L’étymologie du mot nous renvoie à la « dissimulation ». L’ironie donne l’impression de plaisanter, mais il ne s’agit que d’une plaisanterie superficielle : derrière le sourire se masquent le reproche et la morsure.

Dans la bouche d’un leader autoritaire ou négatif, l’ironie devient une arme pour annihiler la motivation et le plaisir au travail. Le sarcasme du leader politique ou économique va souvent de pair avec le narcissisme ou l’arrogance. Le président américain Donald Trump en avait ainsi fait usage à de nombreuses reprises.

L’ironie, c’est rire des autres ou contre les autres et c’est une des armes des leaders toxiques. L’humour, c’est rire avec les autres ; et comme l’ont démontré de nombreuses recherches académiques sur le sujet, il peut devenir un atout du leader démocratique, positif et éthique, qui ne nie pas ses responsabilités et qui sait faire preuve d’empathie.

Un levier de changement

D’après Céline Bottega, enseignante à Marseille, l’humour est susceptible de renforcer collectivement les comportements. Il serait d’abord un bon outil de management et leadership. Il favorise les relations sociales, rend les situations professionnelles moins négatives et réduit le stress par exemple. Il génère des bienfaits psychologiques : bien-être et plaisir au travail, permet d’éviter la colère et la frustration, deux émotions destructrices des relations sociales. Il redonne, enfin, de l’énergie.

L’humour s’avère également un bon moyen de communiquer. Il permet de remettre en question les préjugés et de relativiser les opinions. Il met en évidence les contradictions et les croyances erronées. C’est un bon outil de persuasion. Les relations interpersonnelles, dans des négociations âpres par exemple, sont modifiées car l’humour instaure un climat relationnel agréable. Il engendre des émotions positives : la joie, la surprise, la gaieté.


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L’humour est enfin un bon levier de changement. Un processus de transformation sera peut-être mieux accepté et mieux vécu si le leader sait communiquer sur ce processus avec humour, avant, pendant et après sa mise en œuvre.

L’utilisation de l’humour par les dirigeants suppose néanmoins que les leaders maîtrisent les lois de la communication.

Dans la communication des politiciens, il apaise les tensions, attire l’attention du public et favorise la mémorisation des messages. Le général de Gaulle par exemple, savait manier les mots et répondre en 1967 à un journaliste prenant de ses nouvelles :

« Je ne vais pas mal, mais, rassurez-vous, un jour je ne manquerai pas de mourir ».

Le premier ministre britannique Winston Churchill tout comme le président américain Barack Obama savaient manier avec talent les bons mots dans leurs interventions. L’humour rappelle aux leaders de ne pas se prendre trop au sérieux, même s’ils traitent de choses sérieuses. Il représente un atout pour affronter et résoudre les problèmes pénibles.

Oui, le leader authentique doit savoir pratiquer l’humour. Il ne doit pas hésiter à se moquer de lui-même, de ses défauts et de ses faiblesses. Car l’humour est un signe pertinent de la santé mentale et un avantage inestimable dans la vie professionnelle et la vie en général.

De bonne humeur, toujours !

Attention cependant, si l’humour constitue un puissant levier pour influencer les comportements, il doit rester éthique, pour que l’outil de leadership ne se transforme pas en support de manipulation. On peut plus difficilement rire d’une guerre ou d’un bateau de migrants. L’humour doit se pratiquer à bon escient, au bon moment et dans la bonne situation. Sinon, il peut dégrader les relations humaines et abîmer la crédibilité du leader. Un P.-D.G serait mal vu s’il galéjait au moment où il annonce un plan de licenciement, de même qu’un ministre annonçant le report de l’âge de départ à la retraite.

À défaut d’humour, le leader a alors un devoir de bonne humeur. Nul besoin pour le leader d’être un humoriste. Comment peut-il cultiver cette bonne humeur ? Il lui suffit d’apprécier et d’encourager l’humour des autres. On pourrait donc donner le conseil suivant aux dirigeants actuels : restez toujours de bonne humeur, à défaut d’avoir de l’humour vous-mêmes. Si vous en avez, pratiquez-le à bon escient pour dédramatiser les situations, renforcer les comportements positifs et favoriser les relations sociales.

Si vous en manquez, entourez-vous de collaborateurs qui en ont ou qui sont de bonne humeur. Encouragez le rire et la bonne humeur et riez aux blagues des autres. Bannissez, en revanche le cynisme, l’ironie et la moquerie. Lancez de nouveaux projets sur le mode ludique. Faites jouer ensemble, lors des séminaires, les collaborateurs.

Un monde sans humour serait inhumain. Un exercice du pouvoir sans humour le serait tout autant.

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