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Pour les femmes, la flexibilité des horaires de travail se paye au prix fort

Une plus grande autonomie accordée aux femmes cadres s’accompagne d’un renforcement du contrôle de leur performance au travail. Kaspars Grinvalds / Shutterstock

L’inégale répartition entre les hommes et les femmes dans la prise en charge des tâches domestiques et familiales constitue la caractéristique toujours actuelle de l’environnement extra-professionnel des femmes.

Les femmes actives font face à une « double journée » de travail, c’est-à-dire qu’elles cumulent dans une même journée obligations professionnelles et familiales/domestiques. Or de nombreux travaux francophones ont montré la difficulté à articuler travail professionnel et travail domestique pour les femmes.

En cela, les horaires flexibles peuvent être considérés a priori comme un moyen de mieux organiser le « temps de travail » des femmes (c’est-à-dire la somme des temps de travail professionnel et domestique) et ainsi leur difficulté à concilier vie professionnelle et vie privée.

En effet, selon un travail de recherche publié en 2004 « dans les pays à faible taux de natalité et à population active vieillissante, les gouvernements ont souvent recours aux politiques publiques pour augmenter les congés personnels et parentaux, ainsi que pour adapter les horaires de travail afin d’encourager les femmes à intégrer et développer le marché du travail et de les aider à concilier vie professionnelle et futures responsabilités familiales afin de ne pas décourager les naissances ».

Nous avons réalisé une étude à l’aide d’un panel constitué à partir de la fusion des enquêtes nationales Conditions de travail 2013 et Conditions de travail-Risques psycho-sociaux 2016 visant à examiner de plus près la portée et les limites de cette solution.

Nos travaux nous ont permis de mettre en avant les effets pervers des horaires flexibles à savoir le renforcement des inégalités femmes-hommes se traduisant notamment par des modes d’évaluation de la performance au travail différenciés et une intensification du travail pour les femmes.

À noter que par horaires flexibles, nous entendons la possibilité pour le salarié de choisir librement ses heures d’arrivée et de départ du travail ou, du moins, la possibilité de choisir ses heures au sein de plage horaire mobile.

Un système controversé

Trois constats nous ont incités à nous intéresser à ce sujet.

Tout d’abord, la volonté de la Commission européenne d’encourager le développement des horaires flexibles perçus comme un moyen de résorber la difficile conciliation entre vie privée et vie professionnelle des salariées.

Il nous paraissait intéressant d’examiner de plus près la portée et les limites de cette solution, alors même qu’une étude dans le secteur des grands cabinets d’audit comptable publiée en 2010, montraient que les horaires flexibles, à l’inverse de l’effet recherché, renforçaient les inégalités entre les hommes et les femmes en accentuant les obstacles à la progression des carrières féminines.

Les horaires flexibles se transforment parfois en un stigmate différenciant les salariés engagés dans leur travail de ceux qui ne le sont pas.

D’autre part, des travaux montraient que les horaires flexibles avaient pour pendant une intensification du travail. Nous voulions explorer un peu plus ce potentiel effet pervers des horaires flexibles.

Enfin, dans la continuité des analyses sur la carrière des femmes dirigeantes, il nous paraissait crucial d’englober dans notre analyse sur le travail des femmes, l’ensemble des régulations à l’œuvre dans la société, et notamment l’articulation entre les différents temps de vie.

Pour notre part, souhaitant explorer plus en profondeur les effets ambigus des horaires flexibles sur les femmes, nous avons donc testé l’influence de trois types d’horaires flexibles :

  • Les horaires fixes : possibilité de choisir entre plusieurs horaires fixes proposés par l’entreprise ou l’administration ;

  • Les horaires à la carte : possibilité pour le salarié de choisir entre plusieurs horaires parmi des plages mobiles ;

  • Les horaires libres : possibilité pour le salarié de déterminer lui-même ses horaires de travail.

À partir du panel, nous montrons que les horaires flexibles améliorent la conciliation travail-famille des femmes non-cadres, autrement dit les horaires de travail s’accordent mieux avec les engagements sociaux et familiaux en dehors du travail de la salariée.

À l’inverse, loin d’améliorer la conciliation travail-famille des femmes cadres, les horaires flexibles la dégradent.

Des contreparties imposées

Plus de flexibilité implique en effet la mise en place de contreparties en matière de gestion du travail pour les salariés bénéficiant de ces horaires flexibles. Pour les femmes salariées, l’autonomie dans l’organisation de leur temps de travail provoque une moindre progression de carrière ainsi que l’exposition à un ensemble de pratiques de gestion du travail fondé sur l’évaluation de la performance (inspirées par le courant du High-performance work system).

Plusieurs explications sont envisagées pour décrypter ces résultats.

La première est celle d’un effet à double tranchant des horaires flexibles confirmé par nos analyses. En effet, les femmes cadres bénéficiant d’horaires à la carte voient leur travail s’intensifier, contrairement aux hommes cadres.

Cette intensification du travail s’explique en partie par la contrepartie importante imposée aux femmes cadres bénéficiant d’horaires à la carte sans qu’il en soit ainsi pour les hommes cadres : la mise en place d’une gestion du travail axée sur un contrôle indirect de la performance via l’imposition d’une évaluation régulière et d’une direction par objectifs.

Une autre explication réside dans l’idée que les horaires flexibles proposés aux femmes ont accru les attentes que pouvaient avoir leurs conjoints vis-à-vis de leurs responsabilités familiales et domestiques, ce qui a conduit à accroître le conflit entre vie privée et vie professionnelle.


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Nos résultats confortent en partie cette explication. Ils montrent, en effet, que le fait de bénéficier d’horaires flexibles diminue le temps de travail domestique des hommes cadres alors qu’il n’a aucun effet significatif sur ce celui des femmes cadres.

Ainsi, par un sentiment de culpabilité, les femmes ne vont pas s’autoriser à utiliser les marges de manœuvre offertes par les horaires flexibles dans la gestion de leur agenda personnel pour s’accorder un temps supplémentaire à leurs loisirs.

Par ailleurs, les horaires flexibles, à l’inverse du but recherché, renforceraient les inégalités entre les hommes et les femmes en accentuant les obstacles à la progression des carrières féminines. Les horaires flexibles ont notamment pour effet de stigmatiser les femmes optant pour plus de flexibilité quant à leur niveau d’engagement dans l’entreprise.

De plus, nos résultats montrent que le fait de bénéficier d’horaires à la carte affecte la satisfaction des femmes non cadres concernant leurs perspectives de promotion.

Nous concluons que l’autonomie concédée au salarié par l’employeur dans l’organisation de son temps de travail a pour contrepartie un contrôle indirect plus fort exercé à travers l’imposition d’une évaluation régulière, d’une direction par objectifs et d’une rémunération à la performance.

Ce contrôle est particulièrement fort pour les femmes cadres. En bénéficiant d’horaires flexibles, contrairement aux hommes cadres, elles sont finalement soumises à une « double peine » : non seulement les horaires flexibles ne permettent pas d’améliorer leur conciliation entre vie privée et vie professionnelle mais, dans le même temps, ils contribuent à intensifier leur travail.

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