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Pour les fonds « vautours », le Black Friday c’est maintenant !

Deux décennies après s’être fait connaître dans la crise argentine, les investisseurs spécialisés dans le rachat d’obligations pour une valeur décotée refont parler d’entre eux. Vijay Kirve / Shutterstock

On le sait, les entreprises ne sont pas toutes égales devant les conséquences économiques de la crise sanitaire. Certaines entreprises allaient déjà mal et la crise n’a fait qu’aggraver leurs difficultés, à l’image du distributeur de prêt-à-porter Vivarte. D’autres se portaient plutôt bien et jusqu’ici ont su en gérer les conséquences financières comme les grandes chaînes hôtelières.

Pour d’autres en revanche, la crise a produit des effets dévastateurs et elles ne sont pas en mesure d’attendre un retour à meilleure fortune grâce à leur seule trésorerie. Deux exemples récents permettent d’illustrer ce phénomène : Europcar et Vallourec, autour desquels des fonds, parfois dits « vautours », sont en embuscade. Ces fonds qualifiés ainsi se sont en effet spécialisés dans le rachat à prix bradés de la dette d’entreprises en difficulté avant de réclamer son paiement en intégralité devant les tribunaux.

Des situations financières fortement dégradées

Le français Europcar, leader européen de la location de véhicules, présentait une situation financière préalablement à la crise tout à fait correcte, mais a été touché de plein fouet par l’arrêt quasi total du tourisme et du voyage d’affaires. Au troisième trimestre 2020, l’entreprise a perdu 50 % de son chiffre d’affaires par rapport à la même période l’année dernière avec une perte cumulée de 295 millions d’euros depuis le début de l’année (21,9 % de son chiffre d’affaires).

En conséquence, sa dette financière nette a largement augmenté : elle s’élevait au 30 septembre 2020 à 1,3 milliard d’euros contre 880 millions au 31 décembre 2019 (et même 3,7 milliards d’euros si l’on prend en compte le financement hors bilan de la flotte de véhicules).

Le loueur a d’ailleurs bénéficié d’un prêt garanti par l’État de 220 millions d’euros en mai 2020. Comme la société l’indique elle-même dans le communiqué de presse attaché à la présentation de ses résultats du troisième trimestre 2020 : « La dette corporate brute et la dette corporate nette atteignent des niveaux qui ne sont pas soutenables sans qu’il soit possible d’envisager un désendettement ». En effet, la dette nette de l’entreprise était déjà assez élevée avant la crise (3,2 fois le montant du résultat d’exploitation avant intérêts, impôts et amortissement, l’EBITDA, au 31 décembre 2019).

Le français Vallourec, leader mondial des tubes en acier sans soudure et membre du CAC 40 jusqu’à sa sortie en 2014, a également fait les frais de la crise sanitaire en raison de sa très forte exposition au marché des hydrocarbures, son principal débouché.

Au troisième trimestre 2020, l’entreprise a enregistré un recul de 32,5 % de son chiffre d’affaires par rapport à la même période l’année dernière et annoncé une perte cumulée de 636 millions d’euros depuis le début de l’année (26,3 % de son chiffre d’affaires). Sa solvabilité, déjà relativement faible, s’est fortement dégradée avec un ratio d’endettement (dette nette/capitaux propres) passant de 81,3 % au 31 décembre 2019 à 128,6 % au 30 septembre 2020. L’entreprise a par ailleurs annoncé la suppression de 1 050 emplois.

Des fonds vautours en embuscade

De façon logique, les cours boursiers de ces sociétés s’en sont fortement ressentis avec une baisse au 20 novembre depuis le 1er janvier de 79,2 % pour Europcar et de 82,1 % pour Vallourec. Compte tenu des difficultés financières rencontrées par ces deux sociétés, le cours des obligations qu’elles ont émises par le passé s’est également très largement dégradé.

Ainsi, par exemple, l’obligation Vallourec Septembre 2024-2,25 % cote-t-elle 64 % de sa valeur nominale au 18 novembre (avec un plus bas de 44 % au 2 septembre) et l’obligation Europcar Novembre 2024-4,125 %, 56,95 % au 20 novembre (avec un plus bas de 42,71 % au 5 octobre).

Bien que du côté des entreprises, la dette ait toujours une valeur de 100 % (c’est-à-dire que l’entreprise doit rembourser 100 % du montant emprunté), elle s’échange sur le marché obligataire pour une valeur bien inférieure, les investisseurs intégrant le risque de ne pas être remboursé en totalité.

Et c’est là que les fonds « vautours » entrent en action en rachetant les obligations pour une valeur décotée, tout en faisant valoir un droit à être remboursé intégralement vis-à-vis des entreprises concernées. Ces fonds se sont fait connaître notamment lorsqu’ils ont racheté dans les années 2000 la dette de l’État argentin pour environ 20 % de sa valeur faciale et ont exigé d’être remboursés à la valeur nominale, ceci avec un certain succès. Dans le cas d’Europcar et de Vallourec, ces fonds ont également racheté directement de la dette auprès des établissements bancaires créanciers.

Selon les Échos, Vallourec aurait communiqué son plan d’affaires à ses fonds créanciers, dont les anglo-saxons Apollo, M&G ou encore SVP, venus racheter la dette à prix soldé auprès des banques traditionnelles du groupe ces dernières semaines, et leur aurait proposé de convertir plus de la moitié de la dette en capital.

Seules deux banques, BNP Paribas et Natixis, n’auraient pas cédé leurs créances. Europcar a également engagé une restructuration de sa dette. Toujours selon les Échos, d’une part, les banques françaises ont cédé à des fonds anglo-saxons la totalité des quelque 650 millions d’euros de crédit renouvelable, d’autre part, d’autres fonds ont racheté en masse la dette obligataire de l’entreprise et ont proposé, avec l’accord de la société, de convertir leur milliard d’euros de créances contre 92 à 97 % du capital. Parmi eux, les anglo-saxons Anchorage, Attestor, Diameter, Marathon et Kingstreet.

Au bilan, ce sont bien deux fleurons français qui risquent très prochainement de passer à vil prix sous le contrôle de fonds anglo-saxons.

Des leçons à tirer ?

Plusieurs leçons ou constats peuvent être tirés de ces deux cas qui pourraient faire école dans les prochains mois. Tout d’abord, si le levier financier (un endettement important) reste utile pour améliorer la rentabilité financière, il n’est pas sans danger et peut se transformer en « effet de massue » en cas de choc externe imprévisible, rappelant avec une certaine acuité « La cigale et la fourmi » de La Fontaine.

Ensuite, si on s’attendait à ce qu’une vague d’augmentations de capital se produise pour faire face aux difficultés de trésorerie des entreprises, ce n’était certes pas sous la forme de conversions de dettes par des fonds « vautours », mais par les actionnaires « historiques » qui semblent bien absents des opérations évoquées (même s’ils vont perdre une bonne partie de leur mise)…

Enfin, les banques qui se présentent habituellement comme des partenaires des entreprises semblent bien pressées de vendre leurs créances aux fonds (à l’exception notable de BNP Paribas et Natixis dans le cas de Vallourec) et peu prêteuses « quand la bise fut venue ».

S’agissant des fonds « vautours », on ne peut pas vraiment leur en vouloir, ils exercent simplement leur métier à la recherche de plus-values confortables et profitent de décisions financières passées trop ambitieuses des entreprises et du comportement frileux de certaines banques comme celui des actionnaires des entreprises concernées. Ils deviennent alors les seuls interlocuteurs des entreprises pour permettre à celles-ci de s’en sortir, mais cela a un prix que d’aucuns pourraient trouver excessif.

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