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Pour une nouvelle subsidiarité entre le CNRS et les universités

Le CNRS et les universités. Comment faire évoluer la relation ? Lionel Bonaventure/AFP

La redéfinition chaotique de l’espace académique français, avec les fusions d’universités et la constitution des Communautés d’universités et d’établissements (COMUEs), ne semble pas avoir induit le CNRS à modifier sa stratégie de partenariat.

Cet organisme, qui compte en gros un cinquième des chercheurs hexagonaux (11 595 en 2014 par rapport à 57 000 enseignants-chercheurs et assimilés statutaires en 2012) et quelques-unes parmi les structures de recherche les plus importantes d’Europe, qui bénéficie d’un rayonnement international exceptionnel, qui possède enfin un ratio de prix et de distinctions digne des plus prestigieuses universités anglo-saxonnes, semble atone face au pouvoir croissant de la Conférence des présidents d’université (CPU) et aux pressions de présidents de COMUEs dont la taille est souvent plus imposante que celle de l’un ou l’autre de ses dix instituts.

Nouvelle stratégie pour nouveau contexte

Ce constat est d’autant plus vrai pour l’INSHS (l’Institut des sciences humaines et sociales du CNRS), qui pouvait se flatter, jusqu’il y a quelques années, d’un budget et d’un nombre de chercheurs, et surtout d’ingénieurs et techniciens (IT), avec lesquels aucune université française monodisciplinaire et aucune faculté de sciences humaines et sociales ne pouvaient rivaliser.

L’INSHS se trouve aujourd’hui confronté à des structures qui pèsent désormais au moins aussi lourd que lui. D’autre part, beaucoup de COMUEs affichent une stratégie régionale décomplexée, s’appuient sur une gouvernance qui tire sa légitimité de sa représentativité élective et font état d’une volonté hégémonique qui est en partie soutenue par le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR), en quête d’interlocuteurs régionaux fiables, et pour ainsi dire « organiques ».

Cette subalternité est sans doute le fruit d’une stratégie fondée sur un understatement institutionnel et elle doit peut-être faire oublier la suprématie d’antan.

Il ne faudrait pas cependant que le CNRS rate l’occasion de penser la subsidiarité institutionnelle comme une occasion de réfléchir à une nouvelle articulation entre recherche et enseignement, entre projets individuels et programmes collectifs, entre statuts à vie et supports temporaires, entre attractivité internationale et mobilité interne. Bref, le CNRS a tout intérêt à se doter d’une stratégie adaptée au nouveau contexte.

Grand argentier bienveillant

Le CNRS gérait autrefois ses relations avec les universités françaises comme un grand argentier bienveillant l’aurait fait avec de vieux aristocrates déchus et des parvenus sans véritable vocation académique.

Cependant le rapport de force n’était pas dû seulement à la taille du géant jacobin par rapport à des lilliputiens girondins, sur la tactique du divide et impera ; la supériorité de l’un par rapport aux autres était réelle, car elle se fondait sur une stratégie scientifique complexe : des unités de recherche globalement performantes, une ouverture à l’international méritoire – notamment à travers les 26 unités mixtes des Instituts de recherche français à l’étranger (UMIFREs) –, une sorte de cosmopolitisme de la recherche qui faisait apparaître comme encore plus déplorable la pratique du recrutement local universitaire, une vision d’ensemble, enfin, des besoins de la recherche, qui favorisait la sauvegarde des disciplines de l’érudition, expulsées manu pedagogi des universités, car pas assez professionnalisantes.

Aujourd’hui, le rapport de force semble s’inverser. Les nains d’autrefois se sont transformés ; certains se donnent désormais des apparences de géants en se juchant les uns sur les épaules des autres et en se rassemblant dans de COMUEs. Ces regroupements se dotent souvent d’une local strategy qui pourrait un jour se révéler erronée mais qui est en cohérence avec la décentralisation à la française ; ils s’appuient en outre sur une structure à l’influence grandissante comme la CPU.

Charrues devant les bœufs

Certes les COMUEs ne peuvent pas être réduites à de simples communautés d’universités imposées par le législateur. Il y a plusieurs exemples où le regroupement voire la fusion étaient souhaitables et ont été menés à bien avec intelligence.

Dans d’autres cas, on a mis en revanche la charrue des structures devant les bœufs des enjeux. C’est ainsi que certaines COMUEs ont été construites sans que les orientations stratégiques aient été vraiment débattues préalablement et validées par les enseignants-chercheurs. Ce qu’écrit à propos des COMUEs la CPU sur son site illustre l’esprit qui a pu inspirer quelques-uns de ces regroupements : « Le paysage de l’enseignement supérieur s’en trouve profondément réorganisé et de nouvelles formes de coordination territoriale sont mises en place. C’est le fruit d’une longue réflexion sur la visibilité des établissements d’enseignement supérieur ».

La visibilité et la coordination territoriale apparaissent donc comme les moteurs et les fins ultimes d’un certain nombre de COMUEs ; la qualité de la recherche et de la formation n’est pour certaines d’entre elles qu’une formule vague. Si une telle conception de la formation et de la recherche n’aboutit pas toujours à une stratégie scientifique digne de ce nom, elle suffit à faire de ces nouvelles entités des partenaires redoutables pour le CNRS, et plus spécifiquement pour l’INSHS.

Recomposition du paysage universitaire

En l’absence d’une réflexion globale sur les conséquences que cette restructuration de l’enseignement supérieur implique pour tous les organismes de recherche, le CNRS, notamment l’INSHS, dont l’essentiel du budget est absorbé par la masse salariale, risque bientôt de devoir limiter son rôle d’opérateur de recherche au recrutement et à la gestion administrative des équipes de recherche et de son personnel statutaire.

La préfiguration de la recherche, qui est une de ses missions, est confinée pour l’essentiel dans des rapports de conjoncture destinés de plus en plus à rester lettre morte. La nature ayant horreur du vide, on peut imaginer que les présidents des COMUEs, en quête de missions concrètes pour leurs structures, finiront par revendiquer et par obtenir la gestion des unités mixtes de recherche (UMR) relevant du périmètre de leur COMUE, en lieu et place des actuelles délégations régionales du CNRS. Un tel mouvement touchera sans doute d’abord les Sciences Humaines et Sociales, dont le modèle de recherche ne nécessite dans la plupart des cas ni d’infrastructures lourdes ni de moyens budgétaires très importants.

Les universitaires pourraient être tentés de se réjouir d’une telle perspective de normalisation de l’exception française et relever, dans l’effacement progressif du CNRS, les conditions de la renaissance de ces universités qui partout ailleurs sont au cœur de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Ils auraient tort, me semble-t-il, car la recomposition du système universitaire ne produit pour le moment que des macrostructures sans culture de la collégialité, sans tradition académique, et souvent sans autre projet scientifique que le maillage du territoire, l’emploi régional, le diplôme pour tous, selon les attendus du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.

Une marginalisation du CNRS non seulement ne bénéficierait pas à nos universités, mais elle comporterait vraisemblablement à moyen terme un déclin de la recherche française et un triomphe d’un enseignement supérieur sans ambitions ni recherche effectives.

Cet article renvoie à une réflexion plus développée menée par Claudio Galderisi dans une tribune publiée par QSF.

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