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Nous avons à notre disposition davantage de médicaments antibactériens qu’antiviraux. Shutterstock

Pourquoi avons-nous moins de médicaments pour lutter contre les virus que contre les bactéries ?

Alors que la fin de la Seconde Guerre mondiale approchait, la production de masse de la pénicilline, antibiotique fraîchement développé, a permis de sauver de nombreux soldats en éliminant les bactéries qui infectaient leurs blessures. Depuis lors, de nombreux autres antibiotiques ont permis de traiter avec succès une grande variété d’infections d’origine bactérienne.

Cependant, si les antibiotiques fonctionnent contre les bactéries, ils ne sont pas efficaces contre les virus. Pour éliminer ces microorganismes, il faut des antiviraux. Depuis que la pandémie de Covid-19 s’est installée, chercheurs et entreprises pharmaceutiques s’efforcent de trouver un antiviral qui fonctionne pour lutter contre le coronavirus SARS-CoV-2 à l’origine de la maladie.

Pourquoi avons-nous si peu d’antiviraux à notre disposition ? La réponse est à chercher du côté de la biologie : elle réside dans le fait que les virus utilisent nos propres cellules pour se multiplier. Il est donc difficile les tuer sans tuer du même coup nos propres cellules.

Les antibiotiques exploitent les différences humain-bactérie

Ce sont les différences entre les cellules bactériennes et les cellules humaines qui rendent possible l’utilisation des antibiotiques.

Les bactéries sont des formes de vie autonomes, des cellules qui peuvent vivre de manière indépendante, sans avoir besoin d’un organisme hôte. Si elles sont, par certains côtés, similaires à nos cellules, elles en diffèrent également par de nombreuses caractéristiques.

Contrairement aux cellules humaines, les bactéries possèdent par exemple une paroi cellulaire rigide constituée d’un composé appelé peptidoglycane. Les cellules humaines en sont dépourvues, et c’est cette différence qui permet d’utiliser la pénicilline contre les bactéries : cet antibiotique interfère en effet avec la construction de la paroi cellulaire bactérienne.

Les antibiotiques qui, comme la pénicilline, empêchent les bactéries de fabriquer du peptidoglycane peuvent inhiber donc inhiber la multiplication des bactéries sans nuire aux cellules des êtres humains qui consomment ces médicaments. On parle de toxicité sélective.

Les virus piratent nos cellules pour se répliquer

Contrairement aux bactéries, les virus ne peuvent pas se répliquer de manière indépendante : ils ont besoin pour cela d’une cellule hôte. Il existe de ce fait un débat, qui n’est toujours pas tranché, autour de la question de l’appartenance des virus au monde vivant.

Pour se répliquer, les virus pénètrent dans une cellule et en détournent la machinerie. Une fois à l’intérieur, certains virus restent dormants, d’autres se répliquent lentement et s’échappent progressivement des cellules, sur une longue période, d’autres enfin font rapidement tellement de copies d’eux-mêmes que la cellule hôte éclate et meurt. Les particules virales nouvellement répliquées se dispersent alors, et infectent de nouvelles cellules hôtes.

Tout traitement antiviral qui intervient à une étape ou une autre du cycle de « vie » du virus peut s’avérer efficace. Le problème est que si un tel médicament cible un processus de réplication qui est également important pour la cellule hôte, il est probable qu’il soit également toxique pour les cellules humaines. Pour schématiser : il est facile de tuer des virus, mais il est beaucoup plus difficile de parvenir dans le même temps à maintenir les cellules du patient en vie…

Les antiviraux efficaces ciblent et perturbent un processus ou une structure propre au virus, empêchant ainsi la réplication virale tout en minimisant les dommages pour le patient. Mais plus le virus est dépendant de la cellule hôte, moins ces cibles spécifiques sont nombreuses. Et malheureusement, la plupart des virus ne présentent que très peu de cibles pouvant être ciblées différentiellement.

Le Remdesivir est l’un des antiviraux dont les chercheurs ont évalué l’efficacité contre le SARS-CoV-2, avec des résultats mitigés. Ulrich Perrey/Pool/Reuters

Une autre difficulté est que les divers virus existants varient beaucoup plus les uns par rapport aux autres que les diverses espèces de bactéries entre elles. Ces dernières ont toutes des génomes constitués d’ADN double brin et se répliquent indépendamment en grossissant puis en se divisant en deux, comme les cellules humaines.

Les virus présentent quant à eux une extrême diversité : certains ont des génomes faits d’ADN tandis que d’autres ont des génomes constitués d’ARN ; chez certains le matériel génétique est constitué par des acides nucléiques (l’autre nom de l’ADN et de l’ARN) dont la structure est simple brin, tandis que chez d’autres ces acides nucléiques sont double brin. Il est donc pratiquement impossible de créer un médicament antiviral à large spectre qui serait efficace contre différents types de virus.

Quelques « success stories » d’antiviraux

Il existe cependant des différences dont l’exploitation a permis d’engranger quelques succès. La grippe A en est un exemple.

Le virus responsable de cette forme de grippe est capable de leurrer les cellules humaines pour pénétrer à l’intérieur. Une fois entré dans nos cellules, le virus doit se « déshabiller », c’est-à-dire enlever sa couche extérieure pour libérer son ARN, qui sera ensuite transporté vers le noyau de la cellule, où commencera la réplication virale, autrement dit la multiplication du virus.

Une protéine virale appelée protéine M2 (« matrix-2 protein » en anglais) est l’élément clé de ce processus : elle joue un rôle facilitateur dans la cascade d’événements qui aboutit à la libération de l’ARN viral.

Les chercheurs ont supposé que si un médicament était capable de bloquer la protéine M2, l’ARN viral ne serait plus capable de quitter la particule virale pour atteindre le noyau de la cellule. Logiquement, l’infection s’arrêterait. Cette approche s’est avérée fructueuse : l’amantadine et la rimantadine ont été les premiers antiviraux ciblant la protéine matrix-2 à remporter de succès contre ce virus.

Le Tamiflu est un médicament antiviral qui ralentit la propagation de la grippe chez l’être humain. Pour l’instant, nous ne disposons d’aucun efficace pour traiter les patients atteints de Covid-19. Narong Sangnak/EPA

Le Zanamivir (Relenza) et l’oseltamivir (Tamiflu), des médicaments plus récents, ont également permis de traiter des patients infectés par les virus de la grippe A ou de la grippe B. Ils agissent en bloquant une enzyme virale clé, empêchant la libération du virus par la cellule et ralentissant la propagation de l’infection dans le corps, ce qui minimise les dommages causés par l’infection.

Identifier ce qui fait la spécificité du SARS-CoV-2

La mise au point d’un vaccin contre le coronavirus SARS-CoV-2 pourrait s’avérer compliquée. Il est donc important de tenter en parallèle de trouver des antiviraux qui permettent de traiter efficacement les patients atteints de Covid-19.

Pour y parvenir, connaître les subtilités de la biologie du SARS-CoV-2 est important, en particulier concernant ses interactions avec les cellules humaines. Si les chercheurs parviennent à identifier des éléments spécifiques à sa survie et sa réplication, ils pourront les exploiter comme autant de points faibles pour mettre au point un traitement antiviral qui aura toutes les chances d’être efficace.


Cette publication a reçu le soutien du Judith Neilson Institute for Journalism and Ideas.

This article was originally published in English

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