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Pourquoi certaines villes européennes gèrent-elles mieux les ordures que d’autres ?

À Malaga (Espagne) en 2013. Jorge Zapata/Flickr

Après huit mois de crise des poubelles, Beyrouth et sa banlieue recommencent peu à peu à respirer, à mesure que les camions dégagent vers des décharges temporaires les montagnes d’immondices accumulées dans les rues. Ces perturbations ont débuté en juillet 2015 lorsque la décharge principale de la capitale libanaise fut fermée à la suite de plaintes de riverains. Aucune alternative n’ayant été proposée à l’époque, les ordures ont commencé à s’entasser en périphérie, jusqu’à atteindre la ville elle-même.

Face à de telles situations, les Européens ont tendance à se féliciter de l’efficacité de leurs systèmes de collecte et de gestion des déchets. Mais la récente crise provoquée par une grève des éboueurs dans la ville de Malaga en Espagne – aboutissant à des amas gigantesques d’ordures – a cependant montré que les membres de l’Union européenne connaissaient des fortunes bien différentes.

Ces problèmes ne datent pas d’hier et la Campanie, une région du sud de l’Italie, a vécu depuis le milieu des années 1990 de nombreux épisodes compliqués dans la gestion des déchets ; les zones situées entre Naples et Caserte ont même reçu le surnom de « terres des feux », en référence à ces brasiers destinés à faire disparaître des déchets illégaux et dangereux en grande quantité.

La situation a atteint une telle gravité, qu’en 2007, l’ambassade des États-Unis à Rome a mis en garde les visiteurs américains de possibles risques sanitaires à Naples et dans ses environs. Le secteur touristique napolitain souffre toujours aujourd’hui de sa mauvaise réputation concernant la saleté de ses rues.

À Naples, les poubelles font partie du décor. waxorian/Flickr, CC BY-NC-ND

Comment expliquer que des États européens gèrent efficacement leurs déchets quand d’autres frôlent régulièrement la catastrophe ? Après tout, l’Union européenne (UE) a bien émis des directives concernant les ordures ménagères. On pourrait donc s’attendre à une relative homogénéité. Pourquoi n’est-ce pas le cas ?

De grandes disparités au sein de l’UE

Il faut d’abord souligner que la quantité de déchets ménagers varie considérablement d’un pays européen à l’autre : il est, par exemple, de 747 kg par personne au Danemark contre 272 kg par personne en Roumanie pour l’année 2013. Ces différences reflètent des situations contrastées sur le plan économique, au niveau des pratiques de consommation, mais également dans la manière dont les ordures sont collectées et gérées.

Si la mise à la décharge a constitué pendant longtemps la méthode principale de traitement des ordures ménagères au sein de l’UE, il y eut, en 1975, un tournant quand la législation européenne introduisit une « hierarchie » dans la gestion des déchets.

La hiérarchie du traitement des déchets. DR

Celle-ci rangeait, par ordre de préférence, différentes mesures relatives à la réduction et au traitement des déchets. La prévention faisait son apparition : il pouvait s’agir d’utiliser des structures respectueuses de l’environnement, de mettre en place des programmes préventifs ou des mesures dissuasives comme les taxes sur la mise en décharge. Dans cette optique, la priorité est toujours donnée à la réutilisation, puis au recyclage (pour produire de la chaleur ou de l’électricité, par exemple) et, enfin, à l’élimination.

L’adoption de cette hiérarchie n’avait rien d’obligatoire, mais il y avait une attente pour que ces recommandations trouvent leur place dans la gestion locale des déchets. On espérait que cette hiérarchie protégerait l’environnement, conserverait certains matériaux et réduirait le nombre de déchets produits.

Sortir du tout décharge

Pendant une vingtaine d’années, très peu de pays prirent en compte cette hiérarchisation et la mise en décharge se poursuivit à vive allure à travers toute l’Europe jusque dans les années 1990. À partir de 1999 cependant cette question devint une priorité politique et conduisit à l’adoption de la directive européenne sur les déchets.

Des objectifs précis furent fixés, non pas pour réduire la part de déchets envoyés à la décharge, mais pour faire baisser celle des déchets d’origine végétale et alimentaire. D’autres directives ont depuis souligné la nécessité pour les États membres d’adopter la hiérarchie de traitement des déchets. La plus importante d’entre elles fut la directive européenne cadre sur les déchets, introduite en 2008, et qui a fixé pour objectif que 50 % de tous les déchets ménagers devront être recyclés d’ici à 2020.

Mais ces objectifs n’offrent aucune garantie de gestion efficace des déchets en Europe. Tout d’abord parce que de nombreux pays ne respectent pas les directives européennes et n’en subissent aucune conséquence ; ainsi, la Bulgarie, la République tchèque, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie n’ont pas atteint les objectifs fixés pour 2010 et 2013 relatifs à la gestion des déchets biodégradables.

De plus, chaque pays a adopté une approche différente, si bien qu’on assiste aujourd’hui en Europe à une infinité de combinaisons entre le recyclage, le compost, l’incinération et la mise à la décharge. Ce sont les pays d’Europe du Nord et d’Europe centrale qui ont accompli les plus grands progrès en matière de gestion des déchets, en s’éloignant du tout décharge : la Belgique, le Danemark, l’Allemagne, l’Autriche, la Suède et les Pays-Bas envoient ainsi moins de 3 % de leurs déchets ménagers à la décharge. Les pays de l’Est et du Sud de l’Europe n’ont pour leur part fait que très peu de progrès, voire aucun.

Faire des déchets une ressource

Les raisons pour rendre compte des disparités sont complexes, mais on peut cependant avancer la disponibilité des financements, la volonté politique et sociale, les compétences techniques, la planification appropriée des cadres juridiques et un large éventail de facteurs sociaux, démographiques, culturels et administratifs. L’idée que les décisions doivent être prises aussi près que possible des citoyens signifie également que les États membres sont tenus de trouver des stratégies de gestion des déchets en fonction de leur population, plutôt que d’adopter une approche uniforme.

Entre temps, les pays d’Europe de l’Est qui ont récemment rejoint l’Union – comme la Lituanie, la Slovaquie et la Lettonie – n’ont pas été contraints d’adopter la hiérarchie du traitement des déchets comme principe directeur. Cette dernière n’est en effet pas simple à mettre en œuvre : les nouvelles lois doivent être traduites dans les systèmes de collecte et le tri sélectif pour différents types de déchets établi.

Le système de collecte des déchets à Barcelone. Wikimedia Commons, CC BY-SA

Il existe toutefois des exemples à suivre. Les pays dotés d’une bonne gouvernance politique, d’une capacité d’accord entre les différents partis sur les questions environnementales – tels que l’Allemagne, le Danemark, la Norvège et la Suisse – ont tendance à bien gérer leurs déchets. Les pays qui considèrent les déchets comme des ressources ont en outre trouvé de nouvelles manières de les utiliser.

La Belgique recycle, par exemple, les métaux précieux tels que l’or et le platine contenus dans les produits électroniques ; l’Allemagne récolte le biogaz via la décomposition des matières organiques ; le Pays de Galles a mis l’accent sur l’incitation au tri efficace des déchets pour un recyclage performant permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre. On peut aussi évoquer l’utilisation de la technologie automatisée, tels ces systèmes de collecte de déchets par aspiration qui ont contribué au maintien de la propreté dans les rues de Barcelone, Londres ou Copenhague.

La protection de l’environnement est devenue une préoccupation globale et, dans ce cadre, les bénéfices politiques, commerciaux et sanitaires d’une bonne gestion des déchets sont évidents. Avec le temps, ces bénéfices devraient inciter tous les pays à gérer efficacement leurs déchets, sachant que dans les décennies à venir celle-ci concernera davantage les modes de vie et que la gestion des déchets proprement dite.

This article was originally published in English

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