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Pourquoi étudier les vieillesses dans leur diversité ?

Viellir regagne lentement une image « positive » Tiago muraro/unsplash, CC BY-SA

Le regard porté sur le « vieillissement de la population » n’a cessé de s’affiner au cours des dernières décennies.

De nombreux études et travaux ont tenté d’informer ce phénomène, non seulement par le biais d’analyses et de projections démographiques, mais également par la mobilisation d’une réflexion politique et sociétale quant aux « adaptations » subséquentes à mettre en œuvre (politiques sociales, des retraites, de santé, de prévention, des villes, de la mobilité…), ainsi qu’aux anticipations et aux innovations à imaginer.

Le vocable récurrent de « défi » traduit l’idée de plus en plus unanimement partagée d’une nécessaire mise en mouvement, d’une impérative saisie de la question par l’ensemble des forces sociales (décideurs, scientifiques, entreprises, institutions médicales, associations, professionnels de la santé, « profanes »…), sous peine de se retrouver collectivement dépassés par une vague dont on n’aurait pas pris la mesure à temps.

Une rhétorique de l’alarmisme

Ce terme cependant a rapidement pris une connotation négative dans un contexte où la nouvelle donne démographique a largement été perçue comme un danger pour l’équilibre sociétal dans les pays occidentaux : poids économique des aînés en raison du coût des retraites et des soins, charge de la dépendance pour les professionnels et les aidants proches, et en corollaire, croissance de l’isolement social des personnes âgées sur fond de délitement des liens familiaux, entre autres.

Les idées de menace, de risque et de déclin composaient il y a peu une certaine rhétorique de l’alarmisme. De nos jours, cette rhétorique s’est nettement nuancée, les discours publics ayant peu ou prou pris la mesure de cette pédagogie de la peur et ayant commencé à s’en distancier. D’autres discours ont ainsi vu le jour, dans une volonté d’invalider cette image largement pessimiste véhiculée jusqu’alors.

Le vieillissement est une période pleine d’opportunités. Pasja1000/Pixabay, CC BY

Articulés pour nombre d’entre eux autour des thèmes du « vieillissement actif » ou du « vieillissement réussi », en soulignant les opportunités de cette période de la vie pour autant que les acteurs s’y préparent, leur connotation nettement plus optimiste n’est cependant pas parvenue à occulter le déplacement d’une question de société vers une question individuelle, à savoir la responsabilisation des individus quant à leur propre parcours de vieillissement.

De nouveaux angles d’approche

De manière parallèle ou plus en marge, différentes disciplines des sciences humaines (histoire, géographie, sociologie, ethnologie, psychologie…) ont multiplié les études macro, micro, conceptuelles ou ancrées dans le terrain, constituant ainsi une véritable « mosaïque scientifique ».

Elles ont ouvert la voie à un changement de regard, en proposant d’autres angles d’approche, d’autres focales. Elles ont permis de prendre la pleine mesure de ce que le vieillissement des personnes – ou dit autrement, l’avancée en âge, comme le signifie mieux le terme anglais « ageing » – n’est certainement pas : un phénomène homogène dans le temps et dans l’espace.

Il est au contraire un phénomène éminemment diversifié, selon les contextes, les groupes sociaux, les trajectoires individuelles.

Ouvrir la boîte de cette hétérogénéité et de cette diversité est aujourd’hui plus que nécessaire. Diversité dans le temps : la vieillesse d’aujourd’hui, si elle peut s’inscrire par endroits dans une certaine continuité avec le passé, prend aussi des formes renouvelées, dues aux nombreuses évolutions et modifications sociétales : allongement de la durée de vie en bonne santé, décloisonnement des âges, mobilité sociale, mobilité géographique, évolution des normes et valeurs en matière de rôles sociaux et de solidarités intergénérationnelles, développement des nouvelles technologies d’information et de communication ainsi que des technologies médicales, développement de services professionnalisés, etc. Diversité selon les contextes – nationaux, locaux, effets de milieux, effets de classes… Et, enfin, diversité selon le genre et selon les dispositions et inclinations personnelles.

L’espace social module l’expérience de la vieillesse

Si cela n’a rien de surprenant en soi, s’interroger sur la manière de vieillir dans les campagnes, dans les quartiers riches d’une capitale, ou encore en s’expatriant dans un pays du Maghreb permet de saisir comment ces contextes particuliers façonnent des expériences du vieillir multiples, faites pour certains d’une quête de continuité et pour d’autres, d’une aspiration au changement, voire à une rupture avec le cadre de vie antérieur.

Des contextes particuliers façonnent des expériences du vieillir multiples. Omaralnahi/Pixabay, CC BY

L’attachement à un territoire, à une maison, à un cadre de vie peut forger une grande part de la signification donnée à l’avancée en âge, tout comme le détachement de ceux-là peut à son tour constituer le ressort d’un tournant dans l’existence. Effets de milieu, effets de classe, trajectoires migratoires composent ainsi des vieillesses socialement différenciées que viennent encore moduler les singularités individuelles.

Editions Academia

Le contexte historique façonne lui aussi les conditions de vie des populations et des générations. Par exemple, celle habituellement désignée du « baby-boom » étudiée par Catherine Bonvalet et Céline Clément en a connu de bien plus favorables que la génération précédente. Elle a dans une certaine mesure été l’initiatrice de nouveaux rapports sociaux, au sein du foyer, entre les générations elles-mêmes, dans le monde du travail, etc. L’effet de « génération » (population ayant évolué dans un même espace-temps), à l’instar d’effets de milieu et de classe module dès lors bien lui aussi des manières de vieillir spécifiques.

Dégager et comprendre avec finesse l’ensemble des relations structurantes qui se nouent entre ces contextes et des modes de vieillir permet de se départir du regard encore souvent déficitaire sur cet âge de la vie. Multiplier les études à ce sujet conduira peut-on l’espérer à envisager ce temps de vie du point de vue de la multiplicité de ses formes possibles et à envisager les conditions favorables à leur réalisation.


Cet article reprend partiellement l’introduction de l’ouvrage collectif coordonné par Sylvie Carbonnelle et Dominique Joly, 2018, « Vieillir aujourd’hui. Des mo(n)des recomposés ? », Louvain-La-Neuve, Academia-L’Harmattan.

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