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Le premier ministre Justin Trudeau durant son discours de la victoire, dans la nuit du 20 septembre, à Montréal. Il est entouré de sa femme, Sophie Grégoire, et de ses deux enfants, Xavier et Ella-Grace. La Presse canadienne/Sean Kilpatrick

Pourquoi les Canadiens profitent – en général – des gouvernements minoritaires

Les Canadiens viennent d’élire un nouveau gouvernement minoritaire. Est-ce bon ou mauvais pour la démocratie canadienne ? Plutôt bon – pour l’instant.

Il y a bien des avantages à voir un parti au pouvoir en situation de minorité à la Chambre des communes parce que cela le force à collaborer avec les partis d’opposition.

Cette situation tempère le problème chronique du système parlementaire, qui donne beaucoup de pouvoir au premier ministre et à son cabinet. Pour faire avancer ses politiques, il ne peut pas foncer droit devant : il doit consulter largement au lieu de prendre les députés pour acquis.

Avec un gouvernement minoritaire, l’arrière-ban compte davantage et le vote de chaque député a plus d’impact, car le gouvernement peut tomber sans son soutien. Le parti au pouvoir ne domine plus les commissions parlementaires, et celles-ci ont plus de liberté pour contrôler et remettre en question ce que les ministres et le cabinet du premier ministre essaient de faire.

Le pouvoir législatif gagne donc en influence dans un gouvernement minoritaire et son contrôle l’exécutif est plus grand. C’est précisément ce que Justin Trudeau voulait éviter en déclenchant une élection anticipée.

La victoire, c’est la victoire

Dans la perspective de Justin Trudeau et de sa garde rapprochée, un gouvernement minoritaire reste une victoire malgré tout. Il demeure premier ministre, presque tous ses ministres sont réélus et son parti a remporté assez de sièges pour éviter que son leadership soit contesté de l’intérieur dans un avenir proche.

Justin Trudeau tient l’épaule d’une dame âgée
Au lendemain de sa victoire aux élections, le premier ministre Justin Trudeau rencontre des citoyens à la station de métro Jarry, à Montréal. La Presse canadienne/Sean Kilpatrick

Mais Justin Trudeau avait de bonnes raisons de désirer une majorité parlementaire.

S’il tente de forcer l’adoption de lois comme il l’a fait au plus fort de la pandémie, il risque de se faire bloquer.

Si des comités parlementaires enquêtent sur des manquements à l’éthique de son gouvernement, comme ils l’ont fait dans le cadre du scandale du Mouvement UNIS, son principal recours serait de tout arrêter en demandant à la gouverneure générale de proroger le Parlement.

Et s’il appelle aux urnes à nouveau avant terme, les Canadiens se souviendront qu’il vient juste d’essayer de le faire.

L’histoire récente nous enseigne que les Canadiens peuvent se lasser de la joute politique typique d’un gouvernement minoritaire.

Harper parle avec un drapeau canadien derrière lui
Le premier ministre Stephen Harper devant des partisans à Niagara Falls lors de la campagne électorale de 2011. La Presse canadienne/Adrian Wyld

Entre 2004 à 2011, Paul Martin a dirigé un gouvernement minoritaire libéral, puis Stephen Harper a présidé deux minorités conservatrices.

L’acrimonie avait atteint un paroxysme en 2011 alors que le gouvernement conservateur avait été déclaré coupable d’outrage au Parlement pour ne pas avoir divulgué des informations. Son gouvernement avait été renversé avec une motion de défiance. Stephen Harper avait alors fait campagne sur la nécessité d’un « gouvernement majoritaire conservateur fort et stable ».

De nombreux Canadiens étaient d’accord et lui ont donné une majorité, soulagés de laisser derrière eux le chamaillage parlementaire typique d’un gouvernement minoritaire. Comme quoi les premiers ministres sont conscients que les aléas de la vie parlementaire suscitent rarement l’indignation des électeurs pendant la campagne.

Des eaux agitées

Un gouvernement minoritaire appelle une certaine turbulence. La politicaillerie est constante. Les partis sont en mode préélectoral perpétuel. Ils tentent de gagner chaque bataille de communication, chaque sondage d’opinion et chaque collecte de fonds, comme si les élections n’avaient jamais cessé.

La chute du gouvernement ou le déclenchement d’une élection surprise font spéculer les médias et les experts. Les libéraux tenteront d’intimider l’opposition en la mettant au défi de forcer l’élection si elle ne vote pas en faveur de ses politiques. Et même les députés du parti seront sommés d’appuyer chaque projet de loi et des motions au risque de voir le gouvernement défait sur un vote de confiance.

Les partis d’opposition tenteront de mettre le gouvernement dans l’embarras à chaque occasion en alimentant les médias en drames et en controverses. La seule chose qui liera vraiment les partis est la crainte d’une élection qui pourrait leur coûter des sièges et de l’argent.

Les Canadiens vont donc se faire brasser, politiquement, mais il arrive que cette collaboration forcée entre partis produise de beaux fruits.

Les minorités de Pearson

Les partisans des gouvernements minoritaires se souviennent avec nostalgie des années 1960, lorsque Lester B. Pearson a remporté deux minorités consécutives, ce qui l’a obligé à négocier avec le nouveau Parti démocratique. Cette époque fut l’assise du filet de sécurité sociale canadien, avec l’assurance-maladie, les prêts étudiants canadiens et le Programme de pensions du Canada.

Lester B. Pearson pointe une affiche de tourisme
Le premier ministre Lester B. Pearson devant une affiche faisant la promotion du tourisme canadien en 1964. (CP PHOTO)

À l’époque, les partis d’opposition lançait d’innombrables accusations de malversations et de mauvaise gestion. Les journaux étaient remplis d’histoires de controverse et de chaos. La création de l’unifolié canadien avait suscité un débat déchirant.

Pourtant, un demi-siècle plus tard, ces désaccords sont largement oubliés, et la plupart des Canadiens ont raison d’être fiers de ces programmes et de leur drapeau.

Le véritable problème de fond des gouvernements minoritaires est leur côté très dépensier. Le parti qui gouverne, inquiet de perdre le pouvoir, a tendance à délier les cordons de la bourse pour s’attirer des faveurs et calmer ses opposants.

Depuis 2019, les libéraux ont gouverné avec le soutien du NPD. Ils ont ainsi dépensé des centaines de milliards de dollars pour combattre la pandémie, soutenir les Canadiens et stabiliser l’économie. Quiconque se préoccupe des déficits massifs et des effets à long terme d’une dette financière croissante a de quoi s’inquiéter.

Les premiers ministres n’aiment pas être en situation minoritaire à cause des limites à leur pouvoir. Mais alors que le Canada tâtonne dans la crise pandémique, les Canadiens peuvent s’estimer chanceux que le Parlement et les députés jouent un rôle plus important pour permettre au pays de trouver sa voie.

This article was originally published in English

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