De nos jours, désert irakien. Une momie, celle de la reine égyptienne Ahmanet, est accidentellement libérée de sa tombe enfouie sous les sables. Ainsi commence le film d’Alex Kurtzman, La Momie sorti en salles le 14 juin.
Déchaînée, mue par une vengeance millénaire, sa momie, incarnée par l’actrice algéro-française Sofia Boutella, se fait tour à tour danseuse sensuelle et monstre sanguinaire, poursuivant les protagonistes, dont le pilleur de tombes Nick Morton (joué par Tom Cruise) jusqu’au bout du monde.
Grand public, ce film s’inscrit ainsi dans une longue série d’œuvres cinématographiques ou littéraires mettant en avant des momies pharaoniques, masculines et féminines.
Amours impossibles, châtiments atroces et malédictions, vengeances cruelles, mélange entre érotisme et mort composent les trames de ces récits macabres, qui font frémir pour leur plus grand plaisir des générations de spectateurs.
Mais d’où vient cette fascination du grand public pour des cadavres égyptiens ?

Revenons au XIXe siècle. En 1822, Jean‑François Champollion passionné par l’Égypte depuis la campagne militaire de Napoléon Bonaparte en 1799, a, pour la première fois, déchiffré les hiéroglyphes, permettant au monde entier de mieux comprendre la civilisation antique égyptienne.

Les recherches sur les momies pharaoniques de Ramsès II, Ahmôsis, Thoutmosis III, découvertes lors de fouilles dans les années 1880 par des archéologues européens, firent sensation en Occident. Cela alimenta l’égyptomanie croissante, cette passion folle pour tout ce qui touche à l’Égypte ancienne.
Un siècle plus tard, les découvertes de nouvelles momies montrent par ailleurs que l’Égypte antique fascine toujours autant.
Pharaons endormis
Au XIXe siècle, le public fut particulièrement ébloui par l’extraordinaire état de conservation des dépouilles, dont certaines vieilles de plus de 3 000 ans, comme celle du pharaon Séthi Iᵉʳ (1294-1279 av. J.-C.), retrouvée en 1881, reposant tel un homme endormi.
Dans les années 1920 la mode fut relancée après la découverte du tombeau de Toutankhamon. D’après la rumeur, largement relayée par la presse occidentale de l’époque, une malédiction du pharaon aurait frappé plusieurs archéologues associés à l’expédition et décédés dans des circonstances mystérieuses.
Les anciens Égyptiens, qui pensaient que seule la momification pouvait assurer la vie éternelle, étaient passés maîtres dans l’art d’embaumer les corps. D’abord ils vidaient soigneusement le cadavre de ses viscères : foie, poumons, estomac et intestins étaient placés séparément dans quatre vases dits canopes. Le cerveau, réduit en bouillie, était évacué grâce à des crochets de bronze, enfoncés dans les narines, mais n’était pas conservé.
Seul le cœur était maintenu à sa place, car il était considéré comme nécessaire à la renaissance du défunt dans l’au-delà.

Le corps se trouvait ensuite placé dans un bain de natron (du carbonate de sodium), pendant environ 40 jours, ce qui avait pour effet de le dessécher complètement. Il ne restait plus alors qu’à enrouler des bandelettes de lin protectrices autour du cadavre, à le déposer dans la cuve d’un sarcophage puis à en sceller le couvercle avant de le placer dans son tombeau, accompagné d’amulettes magiques, d’objets de la vie quotidienne (toujours utiles dans l’au-delà), de bijoux et autres trésors.
Abolir le temps
Les momies fascinent parce qu’elles donnent le sentiment d’abolir le temps en conservant ce qu’il y a en nous de plus périssable : la chair. Grâce aux techniques des anciens embaumeurs, nous pouvons, aujourd’hui encore, nous trouver en tête à tête avec toute une série d’antiques souverains égyptiens, comme dans le mummy room du Musée du Caire.
Pas étonnant que d’autres chefs, après les pharaons, aient eux aussi voulu que leurs corps soient embaumés, surtout lorsqu’ils espéraient que les régimes qu’ils avaient instaurés seraient éternels.

La momie du conquérant macédonien Alexandre le Grand fut placée dans un mausolée, érigé au cœur d’Alexandrie, la ville qu’il avait fondée en Égypte. On lui rendit un culte posthume pendant mille ans, jusqu’à ce que le christianisme triomphe.
Plus près de nous, les dirigeants communistes, Lénine, Staline et Mao, furent eux aussi momifiés. À Moscou, sur la Place Rouge, la momie de Lénine est toujours respectée comme une relique sacrée.
Une équipe de scientifiques ne cesse de l’entretenir et de la retoucher, au point que Lénine donne même l’impression de rajeunir.
À l’époque communiste, cette momie faisait l’objet d’un véritable culte. Un poème célébrait l’immortalité du dirigeant : « Non. Il n’est pas mort, Lénine n’est pas mort… Il dort tout simplement ».
La momie sublimée par les écrivains
D’un objet de culte, la momie est peu à peu devenue un personnage clef de la littérature, notamment, en 1857, lors de la publication du célèbre Roman de la momie de Théophile Gautier. Dans cet ouvrage, des archéologues découvrent, dans un sarcophage, le corps de la reine Tahoser inspirée d’une reine du XIIe siècle av. J.-C, une magnifique jeune femme, parfaitement conservée.
Un premier ingrédient des histoires de momies apparaît alors : l’association étroite et troublante entre érotisme et mort, fantasme du prolifique romancier français.
En 1882, Conan Doyle réitère avec sa nouvelle intitulée « Lot n°249 », où la momie devient un personnage occulte. Lors d’une vente aux enchères d’un lot, le 249, le cadavre est ranimé grâce à des formules magiques par un étudiant d’Oxford. Ce dernier va utiliser cette momie comme une arme redoutable à son service. Un thème dont va largement s’inspirer le cinéma d’horreur.
Du fantasme à l’horreur
En 1932, Karl Freund met en scène la première momie d’Universal Pictures. Incarnée par Boris Karloff, dans la veine des films de monstres comme Dracula ou Frankenstein, cette momie présente un visage directement inspiré par la tête de Séthi Ier.

Universal Pictures produit encore cinq autres films entre 1940 et 1955 : La Main de la momie (The Mummy’s Hand) ; La Tombe de la momie (The Mummy’s Tomb) ; Le Fantôme de la momie (The Mummy’s Ghost) ; La Malédiction de la momie (The Mummy’s Curse) ; Deux Nigauds et la momie (Abbott and Costello meet the Mummy).
Le producteur britannique Hammer Film suit la tendance et produit de son côté quatre films de 1959 à 1971. Le dernier d’entre eux, La Momie sanglante (Blood from the Mummy’s Tomb), fut remarqué.

L’actrice Valérie Leon y joue la momie d’une reine nommée Tera, retrouvée dans un sarcophage, merveilleusement intacte et sensuelle parée de ses bijoux égyptiens, librement inspirés du trésor de Toutankhamon…
En 1999, Universal Pictures relance le genre, avec La Momie, une adaptation du film de 1932, réalisée par Stephen Sommers. Fort de son succès il réitéra l’exercice en 2001 avec Le Retour de la momie.
Les intrigues – avec peu d’originalité – tournent autour de trois thèmes principaux : un amour interdit entre l’épouse du pharaon et son amant comme dans Le Retour de la momie ; un coupable embaumé vivant et enfermé dans un cercueil, parfois avec des scarabées à l’intérieur ; une vengeance atroce d’un cadavre revenu à la vie.

Les films de momies sont généralement considérés comme mauvais par la critique et celui de Kurtzman ne fait pas exception.
Ce qui ne nous empêche pas de remarquer à quel point les pratiques funéraires des anciens Égyptiens ont donné naissance à d’étonnants fantasmes macabres, pourvoyeurs d’obscurs frissons et de trames alambiquées.
Les momies continuent de peupler l’imaginaire du grand public et les productions artistiques attisent, même involontairement le mystère. Ainsi, que penser du premier film français du genre, le court métrage, « Cléopatre » ? Réalisé par Georges Méliès en 1899, le film aurait ensuite disparu dans les années 30…
Christian-Georges Schwentzel a publié Cléopâtre, la déesse reine, aux éditions Payot.