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Test de niveau d'insuline. Matt Chesin - Unsplash, FAL

Pourquoi les personnes diabétiques doivent se méfier du coronavirus

Les autorités de santé l’ont annoncé d’emblée, quand les premières mesures pour lutter contre l’épidémie de Covid-19 ont été décrétées : les diabétiques doivent être particulièrement vigilants, le risque d’infection sévère et de décès étant plus important pour eux. Le Président de la République l’a mis en exergue dans son allocution du 12 mars 2020. Et pour les quelque 4 millions de Français vivant avec le diabète, la prise de conscience du risque a été brutale (Google Trends révèle un bond des recherches françaises « diabète et coronavirus » dès le 13 mars 2020), tout comme l’anxiété générée.

Dès lors, médecins généralistes et diabétologues ont été assaillis de questions légitimes, bien que souvent sans réponses encore aujourd’hui. Pour assurer une information rigoureuse et actualisée sur des délais très courts, une formation aux bonnes attitudes (gestes-barrières, observance des traitements, notamment s’agissant des antihypertenseurs), mais aussi un accompagnement personnalisé, une application en ligne gratuite et destinée aux diabétiques – CoviDIAB – a été proposée par des chercheurs de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, l’Inserm et l’Université de Paris.

Le diabète, fréquemment associé aux formes graves

La première alerte justifiant de considérer le diabète comme un facteur de risque est venue des études chinoises décrivant les premières séries de patients hospitalisés à Wuhan. L’équipe de Chaomin Wu a en effet comparé les données de santé de ses patients infectés, selon qu’ils avaient évolué ou non vers un syndrome de détresse respiratoire aiguë, un critère de gravité. Au total, 11 % des 201 patients étaient diabétiques. Or, la prévalence du diabète en Chine étant d’environ 10 %, le surrisque d’infection clinique n’apparaît donc pas clairement. En revanche, les diabétiques étaient surreprésentés dans le groupe ayant évolué vers une forme sévère : 19 % contre 5 %, soit un risque grosso modo multiplié par 3 à 4.

Cette étude, comme celles qui ont suivi depuis, est à prendre avec précaution. En effet, l’urgence de transmettre ces données uniques a autorisé une méthodologie très imparfaite, les analyses n’étant pas ajustées sur l’âge par exemple, un facteur de risque en soi, ce qui peut semer de la confusion dans l’interprétation des résultats. Il n’en reste pas moins que les diabétiques sont surreprésentés dans le groupe avec forme sévère. Et des données cohérentes vis-à-vis du risque de mourir de l’infection ont également été publiées : deux tiers des 52 patients admis en réanimation sont décédés, et parmi eux, 22 % étaient diabétiques, alors qu’ils ne représentent que 10 % des personnes ayant survécu à la maladie.

Cette réalité n’est pas limitée à un pays. Tout récemment, ont été publiées les données du service de réanimation de l’Evergreen Hospital, dans l’État de Washington – premier cluster de cas d’infection à SARS-CoV-2 aux États-Unis. Ce service a notamment reçu nombre des résidents d’une maison de retraite qui a connu une hécatombe liée au Covid-19. Or un tiers des 21 patients de cette courte série avaient un diabète. Là aussi, la rigueur méthodologique est insuffisante, par nécessité : aucun groupe de comparaison n’a été publié. La proportion des diabétiques est néanmoins tellement élevée qu’on peut la considérer cohérente avec le message issu des données chinoises.

Des questions sans réponses

De fait, bien plus de questions ont été soulevées par ces études qu’elles n’ont apporté de réponses. D’abord, parce que le diabète constitue en réalité un groupe très hétérogène de maladies. Le diabète de type 1 est-il un facteur de risque au même titre que le diabète de type 2 ? Le premier se traite systématiquement par insuline, souvent dès le plus jeune âge. Alors que pour le second, qui concerne en général des personnes d’âge plus mûr en surpoids et ayant différents problèmes de santé (hypertension…), la prise en charge s’appuie sur une meilleure hygiène de vie et divers médicaments avant que de l’insuline ne soit nécessaire, après des années d’évolution.

Ensuite, on sait que le diabète se traduit par une élévation de la glycémie (la concentration du glucose contenu dans le sang). Mais précisément, une bonne prise en charge permet de ramener cette glycémie à des valeurs moyennes proche de la normale : on dit alors que le diabète est équilibré, et le risque de complications chroniques – c’est-à-dire la toxicité que le glucose en excès peut exercer au long cours sur la rétine, les artères, le cœur, le rein, les nerfs, etc. – est extrêmement faible. En revanche, lorsque le glucose ne cesse de s’accumuler dans le sang – notamment faute de mesures thérapeutiques – il fait courir un risque accru de maladies cardiovasculaires, de rétinopathie e, ou d’insuffisance rénale. Il expose aussi à un risque plus important d’infections : on redoute en particulier les plaies du pied, les infections des os des pieds, la septicémie qui peut en résulter. Qu’en est-il vis-à-vis du SARS-CoV-2 ?

La question est cruciale pour les personnes concernées : puis-je minimiser mon risque en équilibrant au mieux mon diabète ? Elle l’est aussi pour les infectiologues : ce patient a une infection à SARS-CoV-2, suis-je en mesure de réduire son risque de forme sévère en intensifiant son traitement du diabète ? Les enjeux sont donc importants, car suivant la réponse, une hospitalisation prolongée pourra s’avérer nécessaire, alors même que les lits disponibles à l’hôpital sont monnaie rare en période de pandémie. Aujourd’hui, cette réponse manque encore. Mais des diabétologues et infectiologues français se sont saisis de cette problématique dans l’urgence, et apporteront des éléments utiles aux soignants du monde entier.

Autre point important : l’ancienneté du diabète, et partant, les possibles complications chroniques. Une personne qui vit avec le diabète depuis de nombreuses années a une probabilité plus forte d’avoir une rétinopathie, mais aussi une insuffisance rénale, ou encore une insuffisance cardiaque, etc.

Or dans les études déjà mentionnées, les patients décédés ou touchés par des formes graves du Covid-19 souffraient fréquemment de ces pathologies. De plus, un patient vivant depuis longtemps avec le diabète est aussi potentiellement une personne âgée, et l’âge expose également à un risque accru de décès en cas de Covid-19.

Les leçons à tirer de la grippe

Naturellement, patients et soignants voudraient y voir plus clair. Lequel, parmi tous les facteurs intriqués (âge, ancienneté de la maladie, contrôle glycémique, insuffisance fonctionnelle des organes victimes du diabète au long cours), a la responsabilité du risque de forme grave ? Est-elle partagée ? Une synergie désastreuse est-elle observée ? Selon le Pr Xavier Lescure, infectiologue à l’hôpital Bichat (APHP, Paris), un diabète, même non compliqué, y compris chez des sujets de moins de 50 ans, a une valeur pronostique péjorative, ce qui n’exclut pas qu’une histoire de diabète ancien et compliqué n’assombrisse encore ce pronostic.

En attendant que de nouvelles données épidémiologiques éclairent ces questions angoissantes, on peut se risquer à une analogie avec les formes sévères de la grippe ou d’autres infections virales respiratoires. On sait en effet que le diabète augmente le risque de forme sévère d’infection grippale, et c’est ce qui justifie en France l’indication et le remboursement de la vaccination antigrippale pour cette pathologie. Et cette stratégie vaccinale est associée à une réduction du surrisque d’hospitalisation ou de mortalité en cas de diabète, selon plusieurs études observationnelles.

Risques indirects : la double peine

Par ailleurs, le stress induit par le confinement et la menace latente de forme plus grave de l’infection, les bouleversements des habitudes de vie (perte des repères alimentaires, d’une éventuelle activité physique structurée, etc.) et les difficultés matérielles à trouver conseil auprès des soignants soumettent les personnes avec diabète à un risque de perte de contrôle glycémique.

Les conséquences en sont, outre le risque infectieux majoré comme mentionné ci-dessus, un risque d’hypoglycémies (chute de la concentration de glucose par surdosage en insuline) qui peuvent être sévères et justifier un appel des secours, déjà débordés, ou a contrario d’élévation durable de la glycémie, avec sa toxicité vasculaire chronique. Risque infectieux majoré par le diabète, pronostic potentiellement assombri du diabète du fait de l’épidémie infectieuse : c’est la double peine.

Pour conclure, soulignons que des études de méthodologie similaire ont également établi que les personnes souffrant de diabète avaient un pronostic assombri lors des deux précédentes épidémies à coronavirus – le gravissime syndrome respiratoire aigu sévère (SARS) qui a affecté à partir de 2002 plus de 8000 personnes, surtout en Asie, et le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) qui a sévi en 2012 essentiellement en Arabie saoudite.

Considérées globalement, ces observations renforcent la conviction d’une authentique association entre le risque de forme grave de l’infection virale actuelle et le diabète. Elles soulignent l’urgence de collecter puis de rendre publiques des données sur les patients souffrant de Covid-19, incluant des paramètres précis sur leur diabète éventuel : une collaboration entre infectiologues et diabétologues, nécessaire, est déjà établie.


Bon à savoir :
- CoviDIAB est un service connecté destiné aux patients diabétiques et proposé par l’AP-HP, l’université de Paris, et l’Inserm. Il propose un programme d’accompagnement en ligne destiné aux patients diabétiques, pour informer de manière fiable et validée, surveiller les signes cliniques d’infection, former aux bons gestes et aux comportements à adopter en période d’épidémie au coronavirus SARS-CoV-2, et au syndrome Covid-19 ;
- PuMS – L’Émission Santé est une chaîne YouTube coproduite par l’Université de Paris en partenariat avec l’AP-HP. Elle propose une information fiable en cette période tournée vers l’actualité du Covid-19.

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