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Pourquoi vider les prisons est nécessaire

En pleine crise du coronavirus, les détenus de la prison du comté de Cook font la queue pour voter lors des élections primaires, le 7 mars 2020 à Chicago (Illinois). SCOTT OLSON/GETTY IMAGES NORTH AMERICA/AFP

La plupart des pays confrontés à l’épidémie de Covid-19 ont également rapporté des cas de contamination dans leurs prisons, faisant face à des situations parfois particulièrement tendues. Les sites, comme Prison Insider et l’Observatoire international des prisons permettent de suivre l’évolution de l’épidémie dans les prisons et les réponses qui y sont apportées.

En effet, au regard de ce qu’on sait des patients qui sont à risque de décès par coronavirus, les prisonniers apparaissent particulièrement vulnérables. Ils ont, en effet, des problèmes de santé qu’on rencontre habituellement dans une population âgée de 10 a 15 ans de plus.

Alors que la France est confinée, Faster, détenu de 34 ans, témoigne pour France Inter sur l’état des prisons.

D’ailleurs, dans les recherches et les recommandations sanitaires, les prisonniers sont généralement considérés comme « âgés » à partir de 55 ans, voire 50 ans. Or les « prisonniers âgés » constituent plus de 10 % de la population pénale dans la plupart des pays occidentaux.

Les prisons, des nids à épidémies

L’histoire de la prison a été marquée par des épidémies particulièrement redoutables. Par exemple, la « fièvre des prisons » ou morbus carcerum tua 3 000 personnes dans les prisons de Nantes en 1793-1794. Jusqu’au milieu du XXe siècle, cette maladie – qui s’avéra être le typhus – fit de nombreuses victimes dans les prisons, mais aussi dans les camps de concentration nazis et le goulag soviétique.

Aujourd’hui, les maladies infectieuses constituent une préoccupation majeure pour la santé des prisonniers : la prévalence parmi eux du VIH, des hépatites ou de la tuberculose y est plus élevée que dans le reste de la population. La médecine pénitentiaire contemporaine est aussi confrontée à des épidémies de rougeole, d’oreillons, de rubéole et aux MST/IST.

En 2009, l’épidémie de grippe A (H1N1) à laquelle les prisons étatsuniennes s’étaient préparées n’a fait finalement que peu de victimes. Les prisons françaises avaient également craint l’arrivée de l’épidémie, comme en témoigne le matériel de protections dont dispose encore, par exemple, la maison d’arrêt de l’Elsau à Strasbourg.

Des mesures barrières difficiles à appliquer

En prison, la distanciation sociale n’est pas applicable. Des populations importantes y sont concentrées : si les prisons françaises accueillant plus de 1 000 détenus sont rares, ailleurs la capacité de certaines dépasse 10 000 personnes (par exemple aux États-Unis).

Il y règne de multiples formes de promiscuité (les repas sont parfois pris dans des réfectoires) et l’encellulement individuel n’est pas systématique : beaucoup de prisons étatsuniennes disposent de dortoirs et en France, parmi les 70 000 personnes détenues, plus de 1 500 dorment sur des matelas posés par terre.

Enfin, la mise en place des gestes barrière est souvent compliquée en raison de l’accès limité aux produits d’hygiène : les prisonniers doivent souvent acheter eux-mêmes du savon et la possession de gel hydroalcoolique et le port de masques sont généralement interdits. À cela peut s’ajouter une ventilation insuffisante et parfois l’absence d’eau chaude.

En outre, l’éducation aux gestes barrière y est, comme ailleurs du reste, souvent insuffisante. Elle peut se heurter à un faible niveau de littératie en santé des personnes incarcérées, notamment celles qui ont des problèmes de santé mentale.

Une situation inédite

Si la recherche en médecine pénitentiaire a formulé de nombreuses recommandations concernant les maladies infectieuses évoquées plus haut, elle est, avec la pandémie de Covid-19, confrontée à une situation inédite. En effet, les solutions généralement préconisées comme la vaccination ou le dépistage systématique à l’entrée en détention ne sont aujourd’hui pas disponibles.

Les recommandations de confinement et distanciation préconisées par les journaux comme The Lancet ou par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), risquent, par manque de matériels de protection ou leur interdiction, d’être inapplicables.

Pour l’essentiel, les prisons ont procédé à des mesures d’isolement et à la suppression des activités collectives et des visites. Ces mesures, qui ne permettront pas d’échapper à un désastre sanitaire, ont donc suscité de vives protestations parmi les détenus : en Italie, des émeutes ont éclaté dans une vingtaine de prisons ; en France, des prisonniers appellent à « bloquer les promenades » ; aux États-Unis, des personnes enfermées dans ont entamé des grèves de la faim.

De Milan à Modène en passant par Bergame, les détenus italiens se révoltent.

Vider les prisons

De plus en plus de voix à l’extérieur font entendre la nécessité de « vider les prisons » : la Ligue des droits humains en Belgique, un collectif de chercheurs, de magistrats et d’avocats en France, ou le hashtag #ReleaseThemNow qui circule sur les réseaux sociaux.

Il existe de nombreux précédents de libérations massives de prisonniers. On les connaissait autrefois en France avec l’octroi des grâces collectives par le Président de la République. Ce type de mesures – la décarcéralisation – s’inscrit dans des stratégies pénales que l’on désigne par les expressions de « modération pénale » ou encore de réductionnisme et qui sont prônées par certains courants de l’abolitionnisme pénal.

Il va de pair avec des formes de décriminalisation (puisqu’il faut aussi réduire le nombre de personnes entrant en prison). La décision du procureur de l’État de Baltimore de ne plus poursuivre certains délits relève donc de ce type de stratégie.

Faire sortir les personnes de prison peut prendre la forme de remises de peine, de suspensions de peine ou d’aménagements de peine (placement sous surveillance électronique par exemple). Les critères d’éligibilité à de telles mesures peuvent reposer sur l’appartenance à un groupe spécifique (personnes à risque de décès par coronavirus, femmes enceintes, mineurs, etc.). Elles peuvent aussi prendre en compte la situation pénale des personnes, la nature de l’infraction pour laquelle elles sont poursuivies ou condamnées, la sécurité de potentielles victimes, ou encore la durée de leur peine ou leur reliquat de la peine.

Ainsi, à Los Angeles, les prisonniers ayant un reliquat de peine inférieur à 30 jours sont libérés. Une coalition de procureurs aux États-Unis et la Ligue des droits et libertés et des avocats au Canada appellent, quant à elles, à libérer les personnes purgeant des peines inférieures à six mois. Mais on pourrait évidemment étendre la portée de la mesure en incluant des peines plus longues.

Des préjugés importants

Ce type de mesure risque de se heurter à des préjugés forts, à commencer par l’idée que les prisons seraient des lieux « hermétiques ». Or en raison des arrivées régulières de nouveaux prisonniers, des libérations de prisonniers et des entrées et sorties des personnels pénitentiaires, la situation de l’épidémie concerne l’ensemble de la population. C’est d’ailleurs sur ce fondement que la Chine a imposé des quarantaines aux prisonniers libérés.

Une visiteuse porte un masque facial alors qu’elle attend d’entrer dans la prison de Tacumbu à Asunción le 20 mars 2020. Norberto Duarte/AFP

La mise en place d’une décarcéralisation massive ne doit pas reposer sur des démarches individuelles dont la complexité pourrait entraîner des inégalités d’accès. Elle doit aussi prendre en compte les difficultés auxquelles de nombreux sortants de prison sont confrontées qui peuvent se traduire par une dégradation de leur accès à la santé. Doivent donc leur être assurés la continuité de leur prise en charge médicale (par exemple pour la prescription de produits de substitution aux opiacés), un hébergement et des ressources financières.

Reste à décider le périmètre d’application d’une telle mesure. Une approche minimaliste consisterait à réduire le nombre de prisonniers à la capacité théorique des établissements pénitentiaires en appliquant un numerus clausus.

En France, une telle approche, recommandée par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, consisterait à libérer 9 000 prisonniers. Ce n’est sans doute pas à la hauteur de la situation puisque cela ne garantirait même pas des cellules individuelles à tous les prisonniers. Rappelons que l’Iran a libéré 70 000 personnes et s’apprête à en gracier 10 000.

Appliquée dans les mêmes proportions à la population pénale en France, une telle mesure permettrait la libération d’environ 19 000 prisonniers. En regard, l’annonce de la ministre de la Justice de permettre la libération de 4 000 prisonniers apparaît dérisoire. D’autant plus dérisoire que les personnes en détention préventive (c’est-à-dire en attente de jugement) et celles qui ont un reliquat de peine inférieur à six mois – deux catégories de personnes dont la libération est sans doute la plus acceptable socialement – sont respectivement au nombre de 21 000 et 17 000.

Les conditions de détention en temps de pandémie

L’une des premières mesures prises par la plupart des administrations pénitentiaires (par exemple aux États-Unis) a été la suspendre les visites des proches, y compris des visites sans contact, et même les visites des avocats. Cette décision repose sur la volonté de réduire les contaminations lors des visites elles-mêmes et des déplacements en détention et des fouilles qu’elles impliquent.

Cette mesure pose néanmoins plusieurs problèmes. Les établissements doivent fournir et prendre en charge le linge qui est habituellement apporté et nettoyé par les visiteurs. Par ailleurs, la prison est un environnement anxiogène – même en « temps ordinaire » où on s’inquiète justement souvent de sa santé et de celle de ses proches. La difficulté de communiquer avec leurs proches va mettre la santé mentale des prisonniers à rude épreuve.

Il faut certainement envisager la possibilité de maintenir certaines visites pour des raisons humanitaires. Par ailleurs, tous les moyens de communication doivent être mis à disposition des prisonniers et de leurs proches – en distribuant des téléphones portables, en offrant des cartes téléphoniques, ou en accordant, comme dans l’État de Pennsylvanie, des appels par vidéoconférence gratuits.

Soigner et protéger les prisonniers

La perspective de très nombreux prisonniers atteints par le Covid-19 peut susciter des inquiétudes. Malgré l’abondance de textes internationaux qui rappellent que les prisonniers doivent être traités avec dignité et respect, on sait que la médecine pénitentiaire se heurte à de nombreux défis éthiques (comme le respect du secret médical).

Ainsi, le principe d’équivalence de soins entre la prison et le milieu libre est loin d’être toujours respecté. Par ailleurs, en prison, la demande de soins peut se heurter au manque d’empathie ou à l’apathie des personnels et les préoccupations sécuritaires prendre le dessus sur les soins. Enfin, on peut craindre que le recours au confinement de quartiers de détention, voire d’établissements entiers, n’aggrave les effets de l’isolement carcéral – en plus de constituer de dangereux précédents.

Les prisonniers sont souvent en première ligne des catastrophes « naturelles » et sanitaires. Ils ne bénéficient pas toujours des mesures de protection accordées au reste de la population, comme le montre les prisonniers en semi-liberté en Caroline du Nord qui continuent à travailler à l’extérieur.

Par ailleurs, l’exploitation des prisonniers a pris de nombreuses formes au cours de l’histoire (par exemple leur utilisation pour des tests médicaux) et se renouvelle aujourd’hui avec, par exemple, la production de gel hydro-alcoolique aux États-Unis par des prisonniers pour un salaire inférieur à 0,33 de dollar de l’heure.

Au regard de la longue histoire de l’exploitation des prisonniers au profit du reste de la société et du peu de considération qui entoure souvent leur protection, l’abondance d’articles de presse et de prises de position constitue un changement majeur.

Des proches de détenus brandissant une bannière sur laquelle on peut lire « Droit à la santé pour tous les prisonniers, amnistie et grâce pour tous » devant la prison de Secondigliano à Naples le 9 mars 2020. Carlo Hermann/AFP

Néanmoins, comme lors d’autres crises, les prisonniers devront sans doute aussi compter sur la solidarité de leurs proches et de militants qui mettent en place des collectes ou diffusent des pratiques d’auto-organisation des prisonniers face à l’épidémie, à l’instar de ce guide (en anglais).

La protection et l’accès aux soins des prisonniers pendant la pandémie exigent de prendre des mesures radicales. C’est aussi le cas pour d’autres populations vulnérables – notamment celles qui se trouvent dans des lieux d’enfermement comme les dépôts de garde-à-vue, les centres de rétention et les camps de réfugiés. Mais l’urgence des mesures ne doit pas aveugler sur la manière durable dont elles pourraient façonner les futures politiques pénales.

On peut aussi espérer que ceux et celles qui font aujourd’hui l’expérience du confinement seront à l’avenir sensibles à ce qu’enfermer veut dire et que la sévérité des peines de prison et de mise sous bracelets électronique sera davantage reconnue. À l’heure où se dessine un consensus sur l’urgence de la décarcéralisation comme mesure humanitaire, il serait paradoxal que des approches punitives soient choisies en matière sanitaire (par exemple en criminalisant les contrevenants aux mesures de confinement).

Enfin, l’examen critique des choix budgétaires auquel la pandémie nous invite sera peut être l’occasion de questionner les politiques pénales et en particulier la construction de nouvelles prisons.

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