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Précarité étudiante : de la difficulté d’une évaluation

Manifestation organisée à Lyon le 12 novembre 2019, suite à l'immolation d'un étudiant le vendredi 8 novembre. Philippe Desmazes/AFP

La récente tragédie d’un étudiant s’immolant par le feu pour dénoncer la précarité de sa situation a conduit les médias à s’interroger sur la condition étudiante. Ce drame est-il le signe que les conditions de vie des étudiants, sous l’effet de la massification de l’accès aux études supérieures, se seraient dégradées au point de pouvoir conduire certains d’entre eux à de telles extrémités ?

Nous avons aujourd’hui une bonne connaissance statistique des conditions de vie des étudiants grâce aux enquêtes réalisées sur un large échantillon par l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE), dont la dernière remonte à 2016 (et la précédente à 2013). Ces enquêtes montrent que la question est complexe et n’autorise pas de réponse simple.

Le revenu moyen mensuel à 837 euros

Le revenu moyen d’un étudiant s’élevait en 2016 à 837 euros, montant qui comprend les revenus directs (rémunération d’un travail, bourses, aides au logement…) et les revenus indirects, notamment les frais payés par les parents pour leur enfant étudiant (surtout le loyer pour ceux qui vivent dans un logement indépendant).

Si l’on ajoute à ce montant un loyer fictif qui serait payé par les parents de ceux qui hébergent leur enfant étudiant, le montant moyen du revenu étudiant s’élève à 968 euros. On peut considérer que ce montant n’est pas négligeable pour des jeunes qui consacrent la plus grande partie de leur temps aux études et dont un petit tiers travaille régulièrement. La moitié de ce revenu provient de l’aide des parents (directe ou indirecte).

Mais ce qu’il faut surtout retenir c’est à quel point la situation financière des étudiants évolue rapidement avec l’âge : Jusqu’à 19 ans le revenu étudiant demeure inférieur à 600 euros, à 26 ans il a presque doublé (figure 1).

Figure 1 : Évolution du revenu moyen mensuel étudiant en fonction de l’âge. Author provided

Il est donc difficile de parler d’un étudiant « moyen » tant les situations individuelles peuvent changer durant la durée des études supérieures. Avant 20 ans plus de la moitié des étudiants vivent chez leurs parents ; ils ne sont plus que 20 % dans ce cas à 25 ans.

Des emplois étudiants plus fréquents

Revenons à la question de départ : la situation économique des étudiants s’est-elle dégradée et qui sont les étudiants les plus pauvres ? Sur le premier point, et il est vrai sur une courte période (2013-2016), les enquêtes de l’OVE conduisent à répondre plutôt par la négative. En euros constants, le revenu étudiant a légèrement progressé (de 1 %) entre ces dates.

L’amélioration est même plus sensible que ne le montrent ces chiffres puisque la part des étudiants vivant chez leurs parents (donc avec un revenu plus faible) a nettement progressé entre 2013 et 2016 (de 32 % à 36 %).

Néanmoins, le fait que les étudiants vivent plus souvent chez leurs parents en 2016 est peut-être le signe que les parents sont moins disposés à les aider financièrement, ce qui aurait freiné leur désir d’indépendance. Effectivement, l’aide moyenne des parents a nettement diminué (de 15 %) peut-être sous l’effet de la crise de 2008 et de la montée du chômage qui l’a suivie.

Si les étudiants sont parvenus à maintenir leur revenu en moyenne, c’est donc qu’ils ont plus souvent travaillé : 23 % le font toute l’année (21 % en 2013) dont 39 % à temps plein et 32 % à mi-temps. Or, des travaux précédents de l’OVE ont montré qu’exercer un travail rémunéré au-delà du mi-temps était préjudiciable à la réussite universitaire. Ce changement de structure du revenu étudiant n’est donc pas anodin. Il faudra voir s’il se confirme dans les prochaines années.

Qui sont les étudiants pauvres ?

La « pauvreté étudiante » est une notion ambiguë et difficile à appréhender car elle peut correspondre à des situations très hétérogènes. Certains connaissent de véritables difficultés budgétaires, mais d’autres font simplement un arbitrage en faveur du temps consacré aux études au détriment des ressources tirées d’un travail. Les étudiants peuvent ainsi retarder ou avancer le moment et le degré de leur indépendance économique en fonction de ces arbitrages.

C’est ainsi que les élèves de CPGE font statistiquement partie du groupe des étudiants pauvres, simplement parce qu’ils consacrent l’essentiel de leur temps aux études et n’exercent pas d’emploi rémunéré.

Part (%) des étudiants appartenant au premier quintile de la distribution des revenus en fonction du statut social des parents. Author provided

Si l’on essaie de voir néanmoins quelques caractéristiques des étudiants les plus pauvres (ceux qui par exemple se situent dans le premier quintile de la distribution des revenus, les 20 % les plus pauvres donc, figure 2), on constate tout d’abord que l’origine sociale exerce un effet relativement limité et parfois contre-intuitif.

Certes, les étudiants originaires de familles populaires appartiennent un peu plus souvent à ce groupe des étudiants pauvres, mais l’écart avec les enfants de cadres est relativement limité (23 % contre 21 %). Par ailleurs les étudiants issus de familles à bas revenus sont quant à eux au contraire moins affectés par la pauvreté (15 %).

Cela s’explique par le fait que les aides publiques jouent bien leur rôle pour compenser, au moins en partie, le handicap financier que connaissent les étudiants de familles à bas revenus : la moitié du revenu total de ces étudiants provient de ces aides publiques (bourses et aides au logement principalement), pour un montant moyen de 438 euros.

En comparaison le revenu des étudiants de familles cadres n’est abondé qu’à hauteur de 16 % par ces mêmes aides. Ces étudiants de familles aisées bénéficient par contre beaucoup plus souvent d’une aide familiale pour un montant moyen plus élevé : 62 % de leur revenu est abondé par ces aides des parents pour un montant moyen de 641 euros.

Les aides publiques étudiantes jouent donc un rôle redistributif indéniable en se substituant partiellement aux aides familiales dont ne bénéficient pas une large partie des étudiants de familles défavorisées sans parvenir néanmoins à égaliser le revenu moyen des étudiants en fonction de leur origine.

Les étudiants de familles-cadres ont un revenu moyen de 951 euros, contre 819 euros pour les étudiants de familles pauvres, les plus mal lotis étant les étudiants de classe populaire – avec un revenu moyen de 737 euros – qui reçoivent moins souvent des aides publiques que les étudiants de familles pauvres pour un montant moyen moins élevé.

Une insatisfaction plus typée socialement

Si la situation financière objective des étudiants n’est qu’assez faiblement affectée par leur origine, il n’en va pas de même pour l’appréciation qu’ils portent sur leurs revenus. Par exemple, les étudiants d’origine populaire déclarent deux fois plus souvent que les étudiants de familles cadres que leurs ressources sont insuffisantes pour couvrir leurs besoins (34 % contre 17 %). Ils sont aussi plus nombreux à déclarer ressentir d’importantes difficultés financières (24 % contre 11 %).

L’insatisfaction est encore plus forte chez les étudiants de familles pauvres. Le paradoxe est donc que les aides publiques protègent assez bien les étudiants des risques de pauvreté, sans enrayer la frustration à l’égard des revenus. On voit ainsi que chez les étudiants de familles pauvres ce degré d’insatisfaction est identique que ces étudiants touchent ou non une bourse.

L’explication tient sans doute au fait que le revenu ne décrit qu’un aspect comptable des conditions de vie. Les étudiants de milieu aisé bénéficient d’autres avantages qui ne sont pas purement monétaires : la certitude de pouvoir être aidé par les parents en cas de difficultés, le confort et les conditions matérielles offerts par l’environnement familial.

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