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Quand les Mapuche dialoguent avec les plantes : voyage au cœur des savoirs

Photos de l’exposition « Mapuche : Voyage en terre Lafkenche », jusqu'au 23 avril. Ritual Inhabitual/Musée de l'Homme, Author provided

Des hommes qui parlent des plantes, des plantes qui en disent beaucoup sur les hommes : dans les communautés Mapuche, au cœur de l’Amérique latine, êtres humains et plantes ont construit au fil des ans une relation complexe, fondée sur une connaissance profonde de la nature.

Lors d’une mission d’un mois organisée par notre laboratoire au centre du Chili dans la région de La Araucanía, située à 700 km au sud de la capitale Santiago, l’objectif a été de collecter des plantes et les savoirs associés. Cette étude s’inscrit dans un projet né de la collaboration avec les artistes du collectif Ritual Inhabitual pour rendre compte de certains aspects de la culture Mapuche, de sa diversité et de sa dynamique, notamment à travers leurs relations avec les plantes.

L’ethnobotannique étudie les usages de la plante

Nous avons ainsi constitué un herbier ethnobotanique. Celui-ci ressemble en tout point à un herbier botanique : c’est une plante issue d’une collecte sur le terrain, que l’on a fait sécher entre des feuilles de papier journal puis qu’on a attaché avec des bandelettes autocollantes à une feuille de papier (papier non-acide pour optimiser sa conservation), à laquelle on associe une étiquette présentant les informations liées à la collecte (date, lieu, collecteur) et à l’identification de la plante (forme végétale, nom local…).

Tabaco del diablo, collodion humide sur plaque de verre. Ritual Inhabitual, Author provided

L’un des objectifs de l’analyse botanique de l’échantillon vise à déterminer le nom scientifique de la plante, composé de deux noms latins selon la nomenclature binomiale mise en place par Carl von Linné.

L’ethnobotaniste s’intéresse aux savoirs associés à cette plante : nom local, catégorie locale à laquelle elle appartient, utilisations de la plante, place dans les contes et les mythes…

Une planche d’herbier de Copihue (Lapageria rosea Philesiaceae). Crédit : MNHN -- F.Pennec, CC BY-NC-ND

L’échantillon d’herbier est donc rarement un objectif en soi, mais plutôt une étape indispensable afin de connaître le nom scientifique de la plante qui sert de référentiel. Cela est essentiel à de nombreuses études sur le monde végétal : inventaires des espèces présentes, élaboration de la classification des plantes (la systématique permet de décrire les espèces et de les classer les unes par rapport aux autres), descriptions de nouvelles espèces (à partir d’un échantillon d’herbier qui va servir de référence pour décrire l’espèce, ce sera le type). L’herbier est également utile pour les études sur les hommes car les informations collectées par l’ethnobotaniste vont nous apprendre beaucoup sur leurs modes de vie, leurs pratiques, leurs rituels, leur alimentation…

Les plantes, témoins du temps

Nous avons parcouru les bosques nativos, les forêts « natives », avec des personnes habitant dans les communautés Mapuche du Lac Budi. Nous avons collecté des échantillons de plusieurs plantes, non pas pour réaliser l’inventaire des plantes présentes dans ces forêts, mais pour montrer la diversité des formes végétales présentes et des savoirs associés : nous avons collecté des lianes, des arbres, des arbustes, des herbacées…

Audina Huenumilla, bonne sœur à la retraite d’une congrégation catholique (Mision Boroa) dans la ville de Almagro. La plante, avec laquelle on l’a prise en portrait, est une Nalca qui donne sur la fenêtre de sa chambre. Audina est l’une des dernières bonnes sœurs Mapuche. Ritual Inhabitual 2016, Author provided

Certaines sont endémiques, c’est-à-dire originaires de cette région, d’autres ont été implantées depuis plus ou moins longtemps lors de la colonisation, de mouvements de population, par la commercialisation, etc.

Cependant, celles que l’on trouve dans ces forêts humides tempérées, biome (communauté animale et végétale) peu répandu sur notre planète et abritant une biodiversité très élevée, sont menacées par le remplacement des forêts pour l’agriculture ou pour l’exploitation forestière. Les plantes témoignent des changements comme le remplacement des forêts endémiques par les pins et les eucalyptus.

Ces plantations sont principalement destinées à l’industrie du papier, le Chili étant le 5ᵉ producteur mondial de pulpe de cellulose utilisée dans la fabrication du papier.

Nos enquêtes ont révélé l’importance de préserver ces forêts natives afin de préserver les savoirs et les pratiques associés aux plantes qu’on y trouve. Par exemple, une personne que nous avons rencontrée nous expliquait que de nombreux machis, les chamanes Mapuche, venaient dans sa forêt qu’il conserve sur sa parcelle pour récolter une plante particulière.

Portrait de la machi Helena Calfuleo, Puerto Saavedra. Dans la culture Mapuche, les chamans sont dans la plupart des cas des femmes qui sont désignées par les esprits et qui doivent dédier leurs vies à soigner les maladies physiques et spirituelles. Ritual Inhabitual, Author provided

Notre interlocuteur ne savait pas quel était l’usage de la plante, ni même son nom, mais les machis venaient car cette espèce était de plus en plus difficile à trouver dans la région. Ils repartaient avec des sacs remplis de cette petite herbacée, la Nertera granadensis, une Rubiacée, qui affectionne les talus humides préservés au sein des ripisylves, forêts au bord des cours d’eau. Or, l’implantation d’exploitations industrielles modifie le réseau hydrographique (assèchement des cours d’eau) et le sol (acidification, érosion) affectant fortement ces formations végétales.

Dans cette région, les plantations d’eucalyptus et de pins sont majoritairement détenues par des grands exploitants et sont à l’origine de nombreux conflits avec les communautés Mapuche qui revendiquent ces terres et luttent, parfois violemment, pour faire reconnaître leur occupation séculaire.

Ainsi, en s’intéressant aux plantes que l’on trouve, ou celle que l’on ne trouve plus, dans les forêts natives, les contextes écologiques, économiques, sociaux et leur évolution sont également mis en lumière.

Dynamique des savoirs sur les plantes

Chaque personne rencontrée et interrogée sur les plantes présentes dans les forêts possédait des savoirs singuliers, issus de leurs histoires personnelles, de leur statut et de leur place dans la communauté… Et ces savoirs sont dynamiques.

Pedro Panchillo est un chaman (machi) qui habite dans les communautés Mapuche du Lac Budi. Pedro est l’une des rares figures spirituelles mapuche à pratiquer le diagnostic des maladies par la lecture des « humeurs » qui imprègnent les vêtements du malade. Ritual Inhabitual, Author provided

Par exemple, au cours d’une enquête en forêt avec un agriculteur Mapuche, celui-ci nous décrit les différents usages, dont certains cosmétiques, d’un arbre et nous précise qu’il en a appris certains lors d’une formation dispensée afin de développer le tourisme.

En effet, grâce à un projet de développement de l’écotourisme autour du Lac Budi, les personnes intéressées peuvent être formées à parler des plantes et de leurs utilisations. La CONAF (Corporación Nacional Forestal), l’équivalent de l’Organisation nationale des Forêts en France, a également fourni à notre interlocuteur des plantes de l’espèce en question afin d’en ajouter dans sa forêt et ainsi illustrer ses propos lors de potentielles visites touristiques.

Il ne s’agit donc pas de considérer les connaissances comme figées, puisqu’elles évoluent sans cesse, mais surtout de comprendre comment ces savoirs sont utilisés aujourd’hui. Ici, les savoirs ont une valeur économique, puisqu’ils peuvent faire venir des touristes dans une des régions les plus pauvres du Chili.

Portrait du groupe de Rap Hardcore Pukutriñuke. Formé par des rappeurs de la banlieue de Santiago du Chili, ils mélangent le rock à des instruments traditionnels Mapuche pour parler de la résistance de son peuple. Ritual Inhabitual, Author provided

Un autre exemple montre que la valorisation des savoirs entraîne nécessairement leur modification. Pour valoriser les savoirs « millénaires » et éviter qu’ils disparaissent, le ministère de l’Agriculture a publié un guide des plantes médicinales dont les usages sont issus des savoirs dits « traditionnels » et certains, d’après le guide, prouvés par des études scientifiques. La diffusion d’un tel document permettrait à chacun de s’approprier ces informations, de les confronter à leurs propres connaissances et d’en modeler de nouvelles.

Ainsi, l’étude des plantes et de leurs usages sociaux, comme nous l’avons fait, permet de collecter des témoins de l’existence des plantes et des savoirs associés, influencés par de nombreux facteurs qu’il est souvent difficile de retracer. Ces analyses permettent aussi d’établir des comparaisons avec les usages passés et futurs de la plante.

Ces dynamiques provoquent des changements de pratiques et de savoirs et existent évidemment dans tous les domaines de la culture.

Les membres des nombreuses communautés Mapuche utilisent ainsi différemment certains des savoirs et pratiques associés aux plantes, tout comme ils ont introduit d’autres éléments culturels à leur environnement social et politique. L’exposition « Mapuche : Voyage en terre Lafkenche », jusqu’au 23 avril 2017, illustre ainsi ces autres rapports au monde à travers les plantes, les rituels, la religion et le rap.


Toutes les photos ont été réalisées sur collodion humide sur plaque de verre.

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