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Pour financer la recherche, certains contributeurs déboursent jusqu'à 300 000 euros. Mikbiz / Shutterstock

Quand les patients se mettent à financer les médicaments…

Un quart des personnes qui se sont exprimées via les cahiers de doléances et les référendums d’initiative locale (RIL) estime ne pas bénéficier d’un accès suffisant aux services publics sanitaires : les déserts médicaux, les services d’urgence saturés, la fermeture de pharmacies ou encore la baisse des taux de remboursement des médicaments sont des préoccupations majeures. Selon le bilan du grand débat national en date du 8 avril dernier, la santé fait globalement partie des domaines pour lesquels les Français sont prêts à payer davantage d’impôts. Rien d’étonnant alors à ce que ces derniers soient également enclins à devenir les propres financeurs de la recherche médicale, et plus particulièrement de l’innovation pharmaceutique, tant il reste de maladies sans remède ou sans solution thérapeutique satisfaisante.

Ce qui est plus surprenant, c’est le mode de financement peu conventionnel adopté par les entreprises de biotechnologie santé. Ces dernières ont en effet décidé de recourir aux patients et aux futurs patients par le biais du financement participatif. À l’origine du développement de nouveaux médicaments, ces biotechs santé ont ainsi recours au crowdfunding depuis 2014, et très souvent avec succès. Elles font ainsi appel à l’épargne des destinataires finaux de leurs produits pour financer leur recherche. Ce mode de financement alternatif ne semblait pourtant pas, ab initio, adapté à ce secteur industriel innovant, très risqué et où les perspectives d’amortissement dépassent souvent les 10 ans.

Un financement traditionnel mal adapté

Le rapport 2017 de France Biotech, l’association des entrepreneurs en sciences de la vie, positionne la France comme un acteur majeur de la santé en Europe et dans le monde. Or, le développement de ce secteur des biotechs repose principalement sur la création de start-up et de PME et non de grandes firmes, comme le soulignait le LEEM, le syndicat des entreprises du médicament, en 2015. Intensives en recherche, ces jeunes entreprises, plus d’un tiers ont cinq ans ou moins d’existence, sont très consommatrices de trésorerie et ne présentent que de très faibles chances de retour sur investissement à un horizon lointain.

Les fortes contraintes règlementaires, associées aux risques de refus d’autorisation de mise sur le marché (AMM) par l’autorité nationale compétente, rendent ainsi la mise au point d’un médicament excessivement coûteuse et incertaine. En matière pharmaceutique, les risques inhérents au développement clinique ont même été évalués dans une étude de PwC en 2011 à un taux d’échec en phase clinique III de 74 %.

Elizabeth A. Czerepak et Stefan Ryser, « Drug approvals and failures : implications for alliances (2008) », cité dans l’étude PwC « La Biotech réinventée » (2011).

L’accès au financement externe s’impose donc comme l’une des clés de réussite de ces start-up à l’origine de l’innovation dans la santé. Néanmoins, le financement par la dette n’est pas adapté dans la mesure où ces entreprises ne génèrent pas de chiffre d’affaires susceptible de permettre de rembourser un emprunt. Le recours au financement participatif en capital d’investissement (equity) interroge donc. Peut-il pallier les insuffisances des canaux de financements traditionnels ?

Notre étude exploratoire auprès de start-up françaises de biotechs santé a montré l’importance et les spécificités du recours aux plates-formes de crowdfunding par celles-ci. Elle a permis d’identifier l’equity crowdfunding comme type privilégié dans les biotechs santé eu égard à l’importance des montants à lever dans le secteur. Le choix d’un mode de gouvernance sous forme de holding est adapté à la conservation du contrôle par le porteur de projet. En effet, même si les dirigeants sont prêts à céder une partie de leur propriété, ils ne souhaitent pas perdre le contrôle sur leur projet.

De 100 euros à 300 000 euros par contributeur

Les profils des investisseurs se sont révélés variés, même si des tendances se dégagent autour de grandes masses : un réseau d’amis exerçant des professions libérales en santé, des particuliers « boursicoteurs », et enfin des financiers qui entrent au tour de table via la plate-forme, ou concomitamment en marge de cette dernière, tous étant potentiellement des futurs patients bénéficiant de la recherche financée.

Aux dires de certains porteurs de projets interviewés, la foule semble guidée par trois motivations essentielles : des considérations financières, de l’intérêt pour la maladie ou la technologie, et enfin de l’affect voire de l’altruisme.

L’échelle de distribution des montants investis est très large, allant de 100 euros à 300 000 euros par contributeur. Les résultats mettent en évidence la manière dont se positionne le crowdfunding dans la chaîne de financement du secteur. La tendance est d’intégrer la finance participative très en amont, lors de la phase d’amorçage (cf. schéma ci-dessous). L’equity crowdfunding a ainsi de plus en plus vocation à se greffer au tour de table des capitaux risqueurs.

auteurs.

En outre, l’étude met en évidence que le crowdfunding constitue une aide précieuse aux dirigeants de start-up dans la mesure où l’appel à la foule oblige le porteur de projet à bien penser son business plan et à poser des jalons intermédiaires afin d’en faciliter la compréhension sur le moyen et le long terme.

L’équilibre délicat de la communication

La communication demeure très complexe et réglementée dans le secteur biomédical parallèlement aux obligations d’information renforcée propres à la finance participative. De surcroît, le dilemme de la divulgation/communication se révèle avec acuité. En effet, afin d’inciter les contributeurs à investir, il convient de les informer des progrès des recherches sans toutefois trahir des secrets pouvant bénéficier de la coûteuse protection du droit de la propriété intellectuelle. Il faut donc concilier deux cibles opposées : communiquer simplement pour convaincre la foule, sans tomber dans la vulgarisation extrême qui ferait fuir les investisseurs scientifiques.

En définitive, le crowdfunding semble prendre part à une tendance économique et sociale plus globale. L’économie devient plus collaborative, y compris dans le secteur de la santé, et le particulier, patient en puissance, peut désormais devenir le financeur de sa propre santé dans le futur. Il n’en demeure pas moins un autre enjeu, moral celui-ci, car financer des projets de futurs médicaments impose une vigilance toute particulière : celle de ne pas créer de faux espoirs…


Cette contribution s’appuie sur l’article de recherche « Le crowdfunding au secours de l’industrie des biotechnologies santé ? » publié dans la Revue française de gestion (RFG) du quatrième trimestre 2018.

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