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Quel avenir pour le parti conservateur britannique ?

En organisant des législatives anticipées le 4 juillet prochain, le premier ministre Rishi Sunak contraint son parti, donné largement perdant par les sondages, à rapidement faire son aggiornamento. Sean Aidan Calderbank/Shutterstock

À quelques semaines des élections législatives annoncées pour le 4 juillet prochain par le premier ministre britannique Rishi Sunak, les sondages convergent pour annoncer une défaite du parti conservateur, voire son extinction, ni plus ni moins. Cette prédiction fait écho à un ouvrage célèbre de George Dangerfield qui revenait sur la déroute définitive du parti libéral, dont le prestige avait pourtant dominé le siècle précédent, au profit de la montée du nouveau parti travailliste à l’approche de la Première Guerre mondiale. Sommes-nous aujourd’hui dans le même cas de figure ou bien le parti conservateur, qui s’était jadis autoproclamé le « parti naturel de gouvernement », a-t-il encore un avenir ?

Si la défaite du parti conservateur laisse peu de place au doute, l’inconnue principale demeure surtout la taille de la majorité parlementaire qu’obtiendra le parti travailliste de Keir Starmer. Le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour favorise la victoire des deux grands partis majoritaires, conservateur et travailliste. Il n’en reste pas moins que l’obtention d’une majorité absolue de 326 sièges (sur un total de 650) constitue le gage de l’efficacité et de la stabilité du prochain gouvernement. En 2010, le parti conservateur, en tête des sondages, n’avait pas réussi à décrocher ce précieux sésame et avait dû nouer une coalition gouvernementale avec les Libéraux-Démocrates, alors en troisième position sur l’échiquier politique. Cette fois-ci, l’hypothèse d’un nouveau « Parlement sans majorité » (Hung Parliament) reste toutefois plus qu’improbable.

Le parti travailliste s’emploie aujourd’hui à tenter de reconquérir les sièges perdus aux dernières élections de 2019 qui avaient consacré la victoire du parti conservateur de Boris Johnson grâce à la conquête de bastions historiquement travaillistes dits du « mur rouge » (Red Wall) allant des Midlands au nord-est de l’Angleterre.

Mais dans ces circonscriptions, qui ont également massivement voté pour le Brexit au référendum de 2016, la concurrence de candidats provenant du parti eurosceptique et populiste Reform qui puise ses sources dans le UKIP devenu le Brexit Party en 2019, risque surtout de nuire aux candidats conservateurs. Ces derniers pourraient être tentés de jouer la surenchère populiste pour conserver leurs sièges, en particulier depuis l’annonce du retour de l’ancien leader du UKIP/Brexit Party, Nigel Farage, qui se présente dans la circonscription de Clacton et vient de reprendre la tête de Reform.

L’hypothèse d’une dérive droitière

Le parti conservateur, dont la campagne exhale des relents de défaitisme, semble plutôt se détourner du Red Wall pour cibler surtout des circonscriptions dites marginales, c’est-à-dire conquises par ses opposants, travaillistes mais aussi libéraux-démocrates, à une très courte majorité aux dernières élections et disséminées dans l’ensemble du pays, mais tout particulièrement en Écosse, dans le nord de l’Angleterre et dans la région du Grand Londres.

À ces circonscriptions cibles s’ajoutent toutes celles où les élus conservateurs ont annoncé qu’ils ne se représenteraient pas. Au moment où la procédure de sélection des candidats parlementaires s’est officiellement achevée, le 7 juin dernier, on dénombrait 75 députés conservateurs dans ce cas, contre seulement 34 pour les travaillistes et 23 pour les autres (dont 9 indépendants et 9 députés du Scottish National Party), selon l’Institute for Government.

L’hypothèse d’un virage à droite du parti conservateur, précédemment suggérée par le retour de Nigel Farage dans la campagne, semble également inspirée par le jeu des clivages au sein du parti qui, depuis le Brexit et le gouvernement de Boris Johnson, surexpose des figures médiatiques jouant la carte de la polarisation et des guerres culturelles.

Nigel Farage pendant un meeting à Douvres, le 28 mai 2024. Sean Aidan Calderbank/Shutterstock

L’ancienne ministre de l’Intérieur Suella Braverman a fait parler d’elle au dernier congrès du parti conservateur en octobre 2023 en défendant avec acharnement le projet de loi prévoyant la déportation au Rwanda des immigrés clandestins. Quant à Kemi Badenoch, que les médias présentent comme la prochaine dirigeante du parti, son combat contre la transidentité et la culture dite « woke » semble être partagé par de nombreux députés.

La présence médiatique de ces deux femmes issues de minorités ethniques appuie l’hypothèse d’un parti dont la diversité de façade masque un positionnement ultra-autoritaire sur les enjeux moraux et identitaires. La modernisation partisane amorcée par le dirigeant David Cameron dès 2010 passait en effet par une plus grande sélection de femmes et de minorités ethniques pour permettre une meilleure représentativité du parti. Aujourd’hui, cette image de diversité, particulièrement visible au sein des derniers gouvernements de Boris Johnson, Liz Truss et Rishi Sunak, contraste avec le profil idéologique de députés de couleur réputés plus à droite que leurs homologues blancs.

Des candidats moins divers… et plus centristes

À l’approche des élections du 4 juillet, la procédure de sélection des candidats a été réalisée à la hâte par le parti conservateur, débordé par les annonces successives de défection et contraint de sélectionner tous leurs candidats en seulement seize jours, depuis l’annonce faite par Rishi Sunak le 22 mai jusqu’à la clôture de la procédure au 7 juin.

Dès le mois de mai, l’éditorialiste Michael Crick s’est lancé dans un projet baptisé @tomorrowsmps consistant à suivre la sélection de tous les candidats des partis dans leurs circonscriptions. Dans un récent entretien, il suggère l’hypothèse d’un recentrage du parti dans l’opposition, étayée par l’observation de candidats conservateurs plus locaux, moins diversifiés et, dit-il, plus « fades », du moins plus conformes à l’image du député conservateur traditionnel antérieur aux élections de 2010. Il relève toutefois quelques exceptions inattendues comme la présence parmi ces candidats de Rose Hulse, une femme d’affaires noire américaine, mariée au petit-fils d’un baronnet anglais, ainsi que des personnalités plus connues comme Nick Timothy, l’ancien conseiller de Theresa May, qui revendique son pedigree de « working-class Tory » originaire de Birmingham, ou encore Katie Lam, ancienne conseillère de Boris Johnson et de Suella Braverman.

Deux étudiants du Master Recherche et Veille Internationale (REVI) de l’Université de Bourgogne, Anaïs Coquet et Rémi Jean, ont creusé la piste évoquée par Michael Crick en recueillant des données peu explorées relatives au profil socio-démographique et idéologique des nouveaux candidats dans 70 des 75 circonscriptions dont les députés se sont retirés de la course ainsi que 71 circonscriptions marginales ciblées par le parti.

Leurs résultats révèlent que dans les deux groupes, on trouve essentiellement des candidats masculins, blancs, issus des élites bancaires et commerciales, et une proportion de femmes et de minorités ethniques équivalente à leur pourcentage au sein du groupe parlementaire (qui comprend 24 % de femmes et 6 % de minorités ethniques). Cependant, dans le groupe des 71 circonscriptions ciblées, on dénombre seulement 13 femmes et 4 minorités ethniques sur un total de 71 circonscriptions, soit 18 % de femmes et 5 % de candidats issus des minorités ethniques, ce qui est inférieur à leurs proportions à la Chambre des Communes. Dans ce groupe, le candidat classique apparaît plus jeune, du moins d’après les réseaux sociaux car son âge est rarement mentionné, et correspond au profil du jeune père de famille chrétien et traditionaliste mais peu engagé dans les guerres culturelles de ses prédécesseurs. À l’inverse de la cohorte précédente, il semble donc que la diversité ne soit plus la préoccupation principale du parti conservateur.

À la liste des personnalités atypiques mentionnées par Michael Crick, Anaïs Coquet et Rémi Jean ajoutent tout un panel hétéroclite aux parcours et aux positionnements très variés : Mairhi Fraser, surnommée la « Tory Trumpista » ; Alex Deane, commentateur de la chaîne polémique GB News ; James Cracknell, champion olympique d’aviron ; Chloe Smith, influenceuse sur Instagram ; ou John Cope, ancien dirigeant de la section LGBT+ du parti. Pour autant, tous ces candidats, pourtant actifs sur les réseaux sociaux, restent relativement silencieux sur les questions politiques et semblent décidés, à la différence de leurs prédécesseurs, à ne pas faire de vagues sur les enjeux du moment les plus clivants comme le conflit israélo-palestinien ou l’immigration.

Phénix conservateur

Les enseignements tirés de cette enquête sont d’autant plus intéressants qu’ils sont contre-intuitifs. À l’heure où les élections européennes ont abouti à la victoire des listes d’extrême droite dans de nombreux pays, l’hypothèse d’une dérive populiste du parti conservateur, influencé par la popularité de Boris Johnson, en dépit de ses mensonges, et séduit par les thèses extrémistes d’un parti comme Reform, semblait faire sens. Pour preuve : le très controversé Safety of Rwanda (Asylum and Immigration) Act approuvé le 25 avril 2024 et dont la mise en œuvre semble aujourd’hui menacée par une victoire travailliste.

On peut aussi aisément imaginer que l’histoire, ponctuée par un enchaînement de crises internes, politiques et géopolitiques, laissera des traces. Mais si les élections aboutissent à un renouvellement significatif du groupe parlementaire, de surcroît très fortement réduit, cette enquête laisse penser au contraire que l’agenda de modernisation porté par David Cameron est bien mort et enterré et que la période d’opposition qui attend les conservateurs sera l’occasion d’un examen de conscience au centre de l’échiquier politique. À moins d’une défaite éliminatoire, rappelons en effet que le parti conservateur a fait preuve par le passé d’une étonnante capacité à se réinventer et à renaître de ses cendres.

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