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Quelle citoyenneté calédonienne pour l’avenir ?

Le président français Emmanuel Macron assiste à la cérémonie du costume traditionnel kanak à Nouméa, le 5 mai 2018. Ludovic Marin/Afp

Indépendamment des résultats resserrés du référendum du dimanche 4 octobre 2020 référendum, dans un contexte sanitaire et économique délicat, l’avenir de la Nouvelle-Calédonie passera nécessairement par un débat profond sur l’invention d’une citoyenneté calédonienne. Une manière de revenir sur cette question primordiale du destin commun inscrite dans les Accords de Matignon, termes vagues évoquant à la fois une nécessité et la recherche d’un équilibre fragile entre communautés, jusque là sous un statut de collectivité d’outre-mers d’une autonomie d’un niveau jamais atteint dans l’histoire républicaine.

L’affirmation d’une identité kanak

Si le choix exprimé doit encore être entériné par la suite du processus de Matignon et un vote supplémentaire éventuel, l’enjeu d’une citoyenneté calédonienne ne peut pas se limiter à la reconnaissance de l’identité kanak, même si cette nécessité et un préalable des Accords de Nouméa.

Un paradoxe, peu souligné dans les médias concernant la population kanak, est qu’elle est d’un côté dans une situation d’inégalités socio-économiques profondes malgré la politique de rééquilibrage qui visait à les réduire dans les domaines économiques et sociales, entre province Nord et les îles Loyauté majoritairement kanaks et la province Sud, par exemple par une politique de discrimination positive dans le domaine de l’éducation. De l’autre, qu’elle bénéficie d’une politique culturelle dont les réalisations tendent quasiment exclusivement à soutenir son affirmation identitaire, bien que d’autres communautés ethniques comme les wallis ou les vietnammiens, soient présentes sur l’archipel de longue date.

inscription portant la mention « Viva Kanaky »
Photo d’archive prise le 1ᵉʳ août 1985 à Thio d’une inscription portant la mention « Viva Kanaky » avant les élections régionales. Dominique Faget, Rémy Moyen/AFP

Si la politique de rééquilibrage a donné des résultats mitigés socialement et économiquement, elle semble avoir été beaucoup plus positive concernant la reconnaissance culturelle, politique et patrimoniale kanak, malgré le sentiment de frustration toujours vivace chez ces derniers puisque 97 % des partisans du « oui » en 2018, mettent en avant la question identitaire pour motiver leur vote. Il faut d’ailleurs souligner une grande divergence générationnelle à l’intérieur même du vote kanak sur ces points.

Le processus de reconnaissance d’une culture kanak et de son patrimoine, malgré ses insuffisances, a connu des progrès considérables tout au long du XXe siècle. À tel point que l’on peut dire que c’est ce processus de patrimonialisation qui a homogénéisé une culture kanak très hétérogène au moment de l’arrivée des colons français en 1853. Une diversité tribale mélanésienne riche de 30 langues vernaculaires, composée de huit aires géographiques, sur un vaste territoire englobant l’île principale, le Caillou, et les 3 îles Loyautés.

Des danseurs traditionnels kanaks
Des danseurs traditionnels kanaks assistent à la cérémonie en costume traditionnel avec le président français à Nouméa, le 5 mai 2018. Ludovic Marin/AFP

La reconnaissance culturelle est un élément même du processus de Matignon effectué avec l’aide de l’État français, concrétisé par l’inauguration hautement symbolique du centre Culturel Tjibao en 1998, renforcé par l’Académie des langues kanaks en 2007, la rénovation du musée de Nouvelle-Calédonie et le conservatoire de l’Igname.

Une région multiculturelle, une histoire commune

Cette reconnaissance est à tel point avancée, qu’est apparu depuis quelques années la question d’un « rééquilibrage dans l’autre sens » pourrait-on dire. Débat qui revendique une représentativité plus soutenue des cultures non kanaks présentes sur l’archipel depuis plusieurs générations. Européennes bien sûr, mais également, wallis, tahitiennes, vietnamiennes, japonaises, malabars, javanaises. La nouvelle étape qui s’offre au peuple calédonien de ce point de vue culturel serait donc autant celle du rééquilibrage entre deux entités que celle de la culture commune.

Il ne s’agirait bien évidemment pas de nier les effets de la domination coloniale française et de ses violences. Les dire et les commémorer pour mieux les dépasser certes, mais surtout, mettre en avant des éléments qui traversent les communautés et qui font histoire commune. Ces éléments ne manquent pas comme le souligne Caroline Graille, qui touchent simultanément toutes les communautés et ont marqué l’histoire et l’identité collective de l’archipel : des faits historiques anciens comme le naufrage de la Monique, plus récemment la poignée de main Tjibao-Lafleur que toutes les communautés ont su se réapproprier jusque dans les écoles et sur les murs de nombreuses communes, le patrimoine immatériel commun lié à l’histoire de la mine ou du café, et la reconnaissance d’artistes calédoniens à même de dépasser les clivages communautaires, comme Fly.

Au delà des questions identitaires, des enjeux internationaux

Reste que cette question identitaire ne pourra faire non plus l’économie de problématiser son lien historique à la France et de sa dépendance économique persistante, et ceux dans un contexte géopolitique tendu. Les enjeux locaux du référendum sont en effet indissociables des échelles régionales et internationales dans lesquelles l’avenir de la Nouvelle-Calédonie se joue tout autant, notamment, par exemple, suite à l’implantation d’une base militaire chinoise au Vanuatu, État indépendant le plus proche de la Nouvelle-Calédonie.

Le défi est de taille, mais il sera sans nul doute à nouveau aidé par le temps, au moment où toujours plus de personnes surtout des jeunes, ne se déclarent pas membres d’une communauté, mais soit métisse (23 000 personnes au recensement en 2014), soit calédonien (20 000 personnes au recensement de 2014 soit 15 % de la population).

Faire culture est toujours savoir évoluer selon un processus incertain, et de considérer ces jeunes calédoniens tournés à la fois vers l’Europe, l’Australie et l’Océanie qui nous rappellent que nous sommes au XXIe siècle et que la culture calédonienne est également inscrite dans le monde.

Pour construire une culture commune qui ne se cantonne pas à la réification d’éléments du passé avec ses crispations identitaires, mais qui sache également prendre en compte la créativité contemporaine calédonienne sous toutes ses formes. La politique culturelle devient alors un enjeu majeur.

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