Il est surnommé « bouclier terrestre » par les scientifiques. Pour de nombreux animaux migrateurs terrestres ou aquatiques, il est un repère pour les déplacements de grande distance. Il contraint les boussoles à indiquer la même direction tout le temps.
Vous l’avez sans doute reconnu, il s’agit du champ magnétique terrestre (CMT).
La Terre possédait déjà un champ magnétique il y a 3,45 milliards d’années. À cette époque, son intensité n’était que de 50 à 70 % de sa valeur actuelle. Mais dès 3,2 milliards d’années, le champ magnétique terrestre était aussi intense qu’aujourd’hui. Toutefois, il est très compliqué d’avoir des certitudes dans ce domaine. En 2020, un travail du MIT contredit ainsi des résultats publiés en 2014, fondés sur la magnétisation de cristaux anciens de zircon et prouvant que le champ magnétique terrestre existait déjà il y a 4,2 milliards d’années.
Bien que les aimants soient connus depuis l’Antiquité, ce sont les Chinois qui, vers l’an 1000-1100, les utilisèrent en premier pour s’orienter : c’est la naissance de la boussole.
La relation entre les aimants et le champ magnétique terrestre fut ensuite découverte en 1600 par William Gilbert, physicien anglais et médecin de la reine Élisabeth Ire qui publie en 1600 de Magno Magnete Tellure (« Du Grand Aimant de la Terre »). Il démontra comment une boussole placée à la surface d’une boule magnétisée (la terrella) indique toujours le même point, comme elle le fait sur la Terre. Puis, en 1840, le mathématicien et physicien Carl Gauss propose l’idée que l’aimant « terrestre » était au centre de la Terre.
Depuis, les progrès scientifiques ont mis en lumière le fonctionnement du champ magnétique terrestre, et son rôle dans les phénomènes électromagnétiques. Pourtant, l’origine du champ magnétique terrestre constitue probablement l’un des problèmes les plus surprenants de la physique moderne. À la question « pourquoi la boussole indique-t-elle le nord ? », la réponse se refuse aux physiciens depuis le XVIe siècle. L’hypothèse la plus concluante, celle de la théorie des dynamos auto-excitées, a été introduite pour la première fois par Sir Joseph Larmor en 1919. Elle a résisté aux critiques les plus sévères, mais n’a pas encore pu être appliquée au cas des paramètres terrestres.
À l’ère du calcul scientifique, il peut sembler surprenant que ce modèle de dynamo auto-excitée n’ait pas encore été entièrement modélisé. Les modèles numériques récents permettent certes d’étudier le système complet, mais dans une gamme de régimes de paramètres très éloignée de la réalité physique, en raison de la limitation de la puissance de calcul directement reliée à la complexité mathématique des termes associés aux phénomènes physiques intervenant dans le problème. Les chercheurs travaillent donc au développement de nouvelles approches numériques, plus performantes, ou bien basées sur des modélisations des phénomènes en jeu.
Le champ magnétique terrestre peut être comparé, approximativement, au champ magnétique d’un aimant droit (les aimants collés sur vos réfrigérateurs). Le point central de cet aimant n’est pas exactement au centre de la Terre, il se trouve à quelques centaines de kilomètres du centre géométrique. Le CMT semble toujours dominé par ce dipôle (deux pôles : Nord et Sud) qui s’aligne en moyenne avec l’axe de rotation de notre planète (dipôle axial).
L’ensemble des lignes de champ magnétique de la Terre situées au-dessus de l’ionosphère, soit à plus de 1 000 km, est appelé magnétosphère. L’influence du champ magnétique terrestre, quant à lui, se fait sentir à plusieurs dizaines de milliers de kilomètres.
Même si l’on observe que la boussole indique le Nord magnétique (et donc le pôle sud de l’aimant terrestre…) depuis des centaines de millions d’années, les paléomagnéticiens ont aussi montré que le pôle de l’aiguille aimantée qui pointe vers le Nord magnétique est tantôt le nord, comme aujourd’hui, tantôt le sud.
Le champ magnétique terrestre s’est en effet inversé plus de 100 fois au cours de 50 derniers millions d’années, et la dernière inversion date de 42 000 ans.
Origine(s) du champ magnétique : l’effet dynamo
Le champ magnétique terrestre est engendré par les mouvements complexes de fluide (nommés convection) dans le noyau externe de notre planète. Ledit noyau externe est en effet un véritable océan de métal en fusion (notamment du fer et du nickel), situé entre la graine de fer solide de 1 220 km de rayon et le bas du manteau à 3 500 km de rayon.
La convection est sans doute solutale (due à des différences par endroit de concentration) plutôt que thermique (due à des différences par endroit de température), et intimement liée à la croissance du noyau interne : le fer-nickel solide étant moins riche en éléments dissous que le liquide, la cristallisation de ce liquide enrichit la base du noyau externe en éléments dissous ; ces éléments étant plus légers que le fer et le nickel, le liquide métallique profond tend à remonter sous l’effet de la poussée d’Archimède.
Le noyau interne est cependant trop jeune (son âge est estimé entre 165 millions et 2,5 milliards d’années, une estimation récente penche pour 1,3 milliard d’années) pour que le mécanisme ci-dessus ait pu fonctionner il y a plus de 1,5 milliard d’années. Un autre processus de convection solutale aurait alors été l’exsolution (c’est-à-dire la séparation d’un constituant homogène en plusieurs constituants distincts sans changer la composition globale du mélange) d’oxyde de magnésium (MgO), due au refroidissement progressif du noyau (alors entièrement liquide). L’oxyde de magnésium est en effet soluble dans le fer liquide à très haute température.
Pour comprendre la dynamo terrestre, il faut également pouvoir identifier ce qui relie rotation de la Terre sur elle-même et champ magnétique. En l’absence de champ magnétique, on sait que la force de Coriolis (la force responsable de ce pas hésitant lorsque vous marchez dans un manège qui tourne) contraint les écoulements (ici les fluides) à s’organiser en cyclones et anticyclones – comme dans l’atmosphère – et s’oppose à toute variation le long de l’axe de rotation, conduisant la convection du noyau à s’organiser en immenses colonnes parallèles à l’axe de rotation.
La force de Coriolis engendre donc un enroulement de la matière sous forme de tourbillons. À cause de la prédominance de la force de Coriolis, ces tourbillons s’alignent selon l’axe de rotation de la Terre. Le frottement visqueux entre le fluide du noyau externe et la frontière solide du manteau provoque quand à lui un écoulement secondaire localisé qui donne un « sens » d’entraînement aux tourbillons.
Lorsque les mouvements de convection sont suffisamment vigoureux, l’instabilité dynamo (une « augmentation » spontanée de champ magnétique avec le temps) se déclenche et produit un champ magnétique dont la géométrie dépend naturellement de celle des mouvements qui lui donnent naissance. Le champ croît jusqu’à ce que les forces de Laplace (forces d’origine magnétique) viennent concurrencer la force de Coriolis.
Ce n’est que très récemment que ce scénario a reçu l’appui de simulations numériques complètes. Le champ magnétique produit par ces dynamos numériques est dominé par un dipôle aligné avec l’axe de rotation. Les simulations produisent un champ magnétique qui ressemble à s’y méprendre à celui de la Terre et plusieurs présentent même des inversions spontanées.
Pourtant, de nombreuses questions se posent : quel rôle jouent les petites échelles de l’écoulement et du champ magnétique, que l’on ne peut pas modéliser ? Ne dominent-elles pas la dissipation ? Quelle est alors la puissance nécessaire pour faire marcher la dynamo terrestre ? Au cours de son histoire, la Terre a-t-elle toujours disposé d’une puissance suffisante pour entretenir sa dynamo ? Même avant que ne démarre la cristallisation de la graine solide, qui procure aujourd’hui l’essentiel des forces d’Archimède qui nourrissent la convection ? Pourquoi Vénus n’a-t-elle pas de dynamo ?
Quoi qu’il en soit, alors que le cycle solaire 25 du Soleil promet d’être très intense (ce cycle de 11 ans qui caractérise l’activité solaire a débuté en décembre 2019), nous pouvons compter sur notre cher champ magnétique terrestre pour nous protéger. Et si jamais les éruptions solaires venaient à nous priver de nos satellites pour nous repérer, il ne nous resterait plus qu’à compter sur ce bon vieux CMT pour nous guider. En espérant que l’inversion des pôles ne nous déboussole pas pour autant !