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Les piscines et les plongeoirs du centre aquatique de Saint-Denis, construit pour les Jeux olympiques 2024, face au Stade de France. Dimitar Dilkoff/AFP

Quelles innovations urbanistiques pour les JO de Paris ?

Dans l’histoire de l’urbanisme du XXe siècle, l’organisation des Jeux olympiques a souvent été pour les villes hôtes une occasion de se projeter dans l’avenir en réalisant d’importants travaux d’infrastructures, que ce soit au niveau de la réalisation des arènes sportives, des infrastructures de mobilité et des réalisations immobilières liées aux villages olympiques.

Cette tendance a été particulièrement marquée dans la deuxième partie du XXe siècle au moment des Jeux d’été de Mexico (1968) qui furent l’occasion d’installer un réseau autoroutier périphérique et d’initier les travaux du nouveau métro, de Munich (1972) avec l’aménagement paysager remarquable du Parc olympique et le village des athlètes attenant, ou la XXVe Olympiade de Barcelone qui représenta en 1992 un tournant dans la manière de concevoir les Jeux comme un outil permettant la rénovation urbaine et la reconversion de zones industrielles en ouvrant la ville sur la mer.

Si les Olympiades suivantes n’ont pas échappé à la règle, les XXXIIIe Jeux organisés en 2024 à Paris semblent néanmoins vouloir se démarquer, affichant un nouveau paradigme plus sobre : « Construire moins, mieux et utile ».

La sobriété comme modèle

Commençons par le plus évident : les Jeux de Paris matérialisent ce paradigme dans sa traduction urbanistique, par une densification des nœuds de mobilité qui sont les lieux de convergence et de croisement de modes de transports différents.

L’événement a permis en effet la mise en œuvre accélérée – mais non aboutie – du « Grand Paris Express ». Ce projet porté par l’État et les collectivités locales via la Société du Grand Paris, résulte de la consultation internationale éponyme lancée en 2009 sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Le Grand Paris Express prévoit l’extension du réseau de métro à la banlieue, ainsi que la densification poussée aux principaux nœuds du réseau.

Le village olympique (Saint-Denis, Saint-Ouen et l’Ile Saint-Denis, en Seine-Saint Denis) et le village des médias (sur la commune de Dugny, en Seine-Saint-Denis) incarnent les premières réalisations de cette logique.

Le village des athlètes, à Saint-Ouen, en construction pour les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Photographié le 11 janvier 2024. Antonin Albert

Les JO permettent de légitimer et déclencher de grandes transformations, portées par le principe du ZAN (Zéro Artificialisation Nette) qui pousse à recycler des territoires déjà artificialisés et le besoin criant de logements en Île-de-France. La loi relative au Grand Paris Express de 2010 fixait ainsi l’objectif de production de 70 000 logements par an pendant 25 ans.

Pour la Ville de Paris, les JO offrent l’occasion de pérenniser et d’amplifier, avec les « Olympistes » (axes cyclables reliant tous les sites des JO à Paris), l’aménagement temporaire des pistes cyclables réalisées durant la crise Covid, avec le même type d’argument d’urgence.

L’approche générale en matière d’infrastructure pourrait être assimilée à ce que l’urbaniste Sylvain Grisot qualifie « d’urbanisme circulaire », capitalisant sur les installations sportives existantes, intensifiant leurs usages, anticipant leurs utilisations futures.

Les JO de Paris se caractérisent ainsi par le recours aux grandes infrastructures sportives ayant déjà accueilli des évènements sportifs internationaux : le Stade de France à Saint-Denis, le site de Roland-Garros, le vélodrome national à Saint-Quentin-en-Yvelines, sans compter la réhabilitation du stade de Colombes (Hauts-de-Seine), l’infrastructure historique des JO de 1924, ainsi que la construction de stades temporaires.

La réalisation d’infrastructures neuves (village des athlètes, village des médias, Centre Aquatique, etc.) a été conditionnée au fait de répondre à terme, dans la phase dite « héritage » aux besoins des territoires dans lesquels elles sont installées. Dans la logique du ZAN, ces infrastructures sont localisées majoritairement à l’endroit de fonciers anciennement industriels, recyclés à l’occasion de la réalisation des projets.

Les Jeux s’affichent ainsi volontiers en olympiade d’excellence, mettant en corrélation, dans une magnifique opération de communication, la sobriété infrastructurelle et les préoccupations environnementales avec l’image de Paris. Point de nouveau grand phare architectural : avec les installations provisoires positionnées dans les hauts lieux symboliques de la capitale (Trocadéro, Champs de Mars, Tour Eiffel, etc.), c’est la Ville Lumière qui s’impose, aux yeux du monde, comme monument irradiant les valeurs olympiques.

Cette photo prise le 11 avril 2024 montre le chantier de la place du Trocadéro, qui servira de plate-forme d’observation pour les épreuves épreuves de triathlon et para-triathlon, de cyclisme sur route, d’athlétisme (marathon et 20 km marche) et de natation (eau libre 10 km). Dimitar Dilkoff

La réversibilité, un modèle parisien ?

Bien entendu, cette dimension circulaire répond en partie à l’urgence des délais d’organisation. Compte tenu du temps très court entre la désignation en septembre 2017 et la cérémonie d’ouverture en juillet 2024, miser sur l’existant peut ainsi être vu comme une stratégie garantissant la mise à disposition dans les temps des infrastructures et permettant d’échapper à des polémiques multiples.

Toutefois, à contre-courant des discours officiels, un nombre important d’infrastructures neuves provisoires ou pérennes ont pourtant bien été construites, et devaient donc passer par les arcanes des autorisations administratives qui, en France comme partout en Europe, peuvent s’avérer longs et non exemptés de recours et de polémiques de divers ordres. C’est probablement sur le volet juridique que les innovations urbanistiques des Jeux sont les plus notables et originales.

Afin de tenir les délais, l’État français s’est en effet doté d’un cadre législatif d’exception, régissant le contexte d’organisation des Jeux avec la Loi olympique et paralympique du 26 mars 2018 et son décret d’application en date du 26 juin 2018.

Structurée autour de quatre titres, ce texte devait, entre autres, permettre le respect des délais de construction des infrastructures nouvelles (pérennes et provisoires) en limitant le débat public et en accélérant les procédures. 80 000 places neuves pour assister aux épreuves seront ainsi créées, dans différentes arènes provisoires, au sein de lieux historiques. En suivant une procédure courante, leur réalisation aurait sans doute suscité de vives polémiques à l’occasion des consultations publiques et d’instances.

Ensuite, la loi contraint à penser, en amont de leur conception, le recyclage des ouvrages olympiques, avec la notion de permis à « double état » c’est-à-dire prenant en compte la phase Jeux et la phase « héritage ».

Cette disposition constitue l’outil juridique le plus innovant et le plus prometteur en termes de reproductibilité, contraignant à penser une infrastructure dans sa forme et ses usages définitifs, et autorisant dès lors une utilisation temporaire – un « état provisoire » – dans le cadre des Jeux.

Mobilisé pour la construction du village des athlètes, des infrastructures sportives neuves telles que le Centre Aquatique ou encore l’Arena Porte de la Chapelle, pour la réalisation d’ouvrages d’art tel que le Franchissement piéton reliant le Centre aquatique au Stade de France, le permis à « double état » se veut le garant de la convertibilité des infrastructures dans la configuration post-olympique afin d’éviter les écueils du risque de création de futures friches sportives.

Vue extérieure de l’Adidas Arena, également connu sous le nom d’Arena Porte de la Chapelle. Photo prise le 14 mars 2024. HJBC

Il présente également comme avantage d’éviter le dédoublement des délais d’instructions des demandes de permis (un permis pour la première destination de la construction, un permis pour la seconde) et de penser à l’architecture dans son état final.

Enfin, il présente l’intérêt non négligeable, pour le village des athlètes, pensé pour accueillir les sportifs pendant les Jeux dans un contexte fermé et sécurisé, de rendre possible le lancement immédiat, dès février 2023, de la commercialisation partielle de la configuration post-olympique, imaginée alors comme partie de ville, soit avant même le déroulement des Jeux. Suite aux JO, le village des athlètes sera transformé en un quartier mixte comprenant des logements, des bureaux, des commerces et équipements publics (deux groupes scolaires). Il abritera 2 800 logements, dont 2 000 familiaux (dont 25 à 40 % de logements sociaux selon les communes) et 800 en résidence.

Vers une architecture réversible

Bien sûr, sous un autre regard, il est possible de voir dans le « permis à double état » et dans les Jeux olympiques auxquels il est organiquement associé, une opportunité de limiter les contestations autour de certains projets, voire de réaliser les projets urbains (privés) qui sans ce cadre juridique dérogatoire et sans l’accélération des procédures qu’il autorise – par exemple en termes de création de ZAC – auraient été plus longs à être développés, voir n’auraient pas abouti. Relevons à ce sujet les diverses polémiques qui ont malgré tout entouré la réalisation du village des athlètes, du centre aquatique du Fort d’Aubervilliers, dont la journaliste Jade Lindgaard rend compte dans une publication récente.

Dans un ouvrage consacré à la thématique de la réversibilité, l’architecte Anne Demians situait son intérêt dans le fait de pouvoir changer la destination d’un immeuble sans démolition/reconstruction, induisant ainsi une économie sur les matériaux et l’empreinte carbone, ainsi qu’une optimisation des surfaces bâties.

Dans une perspective environnementale, la réversibilité constitue une caractéristique essentielle des bâtiments dans une optique de résilience et d’évolutions dans le temps. Le permis à « double état » permet d’entrevoir comment, du point de vue réglementaire, il est possible d’envisager ce type de perspective. En ce sens, les Jeux olympiques constituent un jalon essentiel vers une approche plus intégrée et systématique de la réversibilité des constructions et des aménagements.

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