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Rapprochement Arabie saoudite–Israël : le difficile pari de Washington

Montage représentant les drapeaux des États-Unis, d'Israël et de l'Arabie saoudite
Le projet américain vise notamment à contrer l’expansion de la Chine et à répondre au récent réchauffement saoudo-iranien. OnePixelStudio/Shutterstock

L’administration américaine tente depuis plusieurs semaines de convaincre l’Arabie saoudite et Israël d’établir des relations diplomatiques.

Washington avait pourtant, dernièrement, concentré ses efforts avant tout sur la compétition stratégique face à la Chine en Indo-Pacifique et la confrontation avec la Russie en Ukraine, au point de négliger quelque peu le Moyen-Orient. Or à présent, cette région occupe de nouveau l’agenda diplomatique.

Deux considérations géopolitiques président à la volonté américaine de parvenir à un deal entre Riyad et Tel-Aviv : cette configuration permettrait, d’une part, de neutraliser les effets de l’accord temporaire en cours de négociation entre les États-Unis et l’Iran ; et, de l’autre, de freiner l’essor de la coopération entre l’Arabie saoudite et la Chine.

Toutefois, ce projet rencontre plusieurs obstacles majeurs.

La crainte d’un accord provisoire qui renforcerait l’influence de l’Iran

Face à l’impasse dans laquelle se trouvent les discussions visant à ressusciter le JCPOA (l’accord sur le nucléaire iranien, dont les États-Unis se sont retirés sous Donald Trump, en 2018), l’objectif américain est d’atteindre avec l’Iran un accord temporaire qui porterait sur le gel provisoire des activités d’enrichissement d’uranium en contrepartie du déblocage des fonds iraniens à l’étranger. Cet accord s’est déjà matérialisé par la libération de cinq prisonniers américains qui ont regagné les États-Unis le 19 septembre dernier. Un échange qui fait suite au déblocage et au transfert de 6 milliards de dollars de fonds iraniens détenus en Corée du Sud

Un tel compromis attise les craintes à la fois d’Israël et de l’Arabie saoudite. Tous deux redoutent que l’Iran puisse profiter de ces ressources financières pour renforcer ses activités perçues comme déstabilisatrices. Bien qu’un accord de normalisation entre Riyad et Téhéran soit intervenu en mars dernier grâce à la médiation chinoise, l’Iran reste perçu comme une puissance antagoniste.

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Ainsi, comme le note le politologue Léon Hadar « le fait de joindre à l’accord avec l’Iran un effort de normalisation des liens entre l’Arabie saoudite et Israël, s’il est couronné de succès, peut renforcer l’impression, à Riyad et à Tel-Aviv ainsi qu’à Téhéran, que l’Amérique est déterminée à contenir l’Iran et à protéger ses intérêts dans la région et ceux de ses alliés ».

La stratégie du déni d’accès…

Une autre considération géopolitique motive également la décision de l’administration américaine d’œuvrer pour une normalisation entre Tel-Aviv et Riyad, près de trois ans après que Joe Biden ait exprimé durant sa campagne sa volonté de faire de l’Arabie saoudite un État « paria » : l’endiguement de l’influence chinoise, qui ne cesse de se renforcer. En effet, la rivalité stratégique avec Pékin et le durcissement de la confrontation incarne aujourd’hui une tendance lourde appelée à perdurer.

Comme le rappelle un récent article de Foreign Affairs“, entre Pékin et Washington, les intérêts vitaux « s’opposent et sont fermement ancrés dans leurs systèmes politiques, leurs géographies et leurs expériences nationales respectifs […] Le fait est qu’il est peu probable que la rivalité entre les États-Unis et la Chine s’apaise sans un changement significatif de l’équilibre des forces ». Ce constat rejoint celui d’Elridge Colby, ancien secrétaire adjoint à la défense et sinologue influent. Dans son livre The Strategy of Denial : American Defense in an Age of Great Power Conflict (Yale University Press, 2021), il rappelle, en effet, les principes directeurs et les priorités qui devraient guider la politique de défense des États-Unis et notamment l’intérêt pour Washington de développer une stratégie de déni d’accès visant à empêcher la Chine d’occuper une position hégémonique en Indo-Pacifique en lui déniant l’accès à des territoires clés comme Taïwan, les Philippines et le Vietnam.

Cette stratégie est aujourd’hui étendue au Moyen-Orient où Pékin apparaît comme un acteur majeur, ayant posé de solides bases d’influence, notamment dans les pays du Golfe.

… appliquée au Moyen-Orient

L’Arabie saoudite et la Chine ont conclu fin 2022 un protocole d’accord qui confie à Huawei, le géant chinois des communications et de l’IA, perçu par Washington comme le fer de lance de l’influence de Pékin, le développement d’un centre de données cloud computing. Riyad, devenu le premier importateur de matériel militaire dans le monde, a, par ailleurs, engagé des négociations avec la Chine en matière de livraison d’armements. De surcroît, les Saoudiens ont fait savoir qu’ils envisageaient d’accepter le Reminbi dans leurs transactions pétrolières avec la Chine.


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Ces récents développements montrent que Washington peut désormais difficilement faire l’impasse sur le poids acquis par la Chine auprès de ses alliés traditionnels au Moyen-Orient. Ainsi, dans un contexte où les effets de la compétition stratégique se font de plus en plus ressentir, il importe pour les États-Unis de conserver leurs alliés dans leur orbite. Comme le note avec pertinence le spécialiste américain des relations internationales Hal Brands, l’initiative du président Joe Biden vise donc prioritairement la Chine :

« L’administration tente de négocier de meilleures relations entre Israël et l’Arabie saoudite, essentiellement pour contenir l’influence de Pékin dans une région vitale. Cette initiative montre combien les États-Unis sont prêts à payer pour empêcher les Saoudiens de tomber dans l’orbite de la Chine. »

Des exigences inédites

Occupant une position plus avantageuse que durant la longue période caractérisée par une relation exclusive avec Washington grâce à sa stratégie du hedging (c’est-à-dire la volonté de multiplier les partenaires commerciaux, militaires et diplomatiques afin de ne pas trop dépendre de l’un d’entre eux en particulier), Riyad entend à présent en tirer les meilleurs avantages possible.

Les contreparties exigées par l’Arabie saoudite pour un établissement de relations diplomatiques avec Israël sont conséquentes. Comme le révèle Thomas Friedman dans le New York Times, Riyad n’escompte pas moins qu’un « traité de sécurité mutuelle de type OTAN qui enjoindrait aux États-Unis de se porter à la défense de l’Arabie saoudite si elle était attaquée ; un programme nucléaire civil ; et la possibilité d’acheter des armes américaines plus avancées, comme le système de défense anti-missiles balistiques Terminal High Altitude Area Defense ».

En échange de ces nouvelles garanties de sécurité, les États-Unis veulent imposer un frein à la coopération de Riyad avec Pékin, notamment sur le plan technologique, et obtenir l’assurance que Mohammed Ben Salmane, le prince héritier et véritable leader du pays aujourd’hui n’accueillera pas de bases chinoises sur son territoire. Cependant, la perspective qu’un tel accord puisse voir le jour demeure extrêmement incertaine, en raison de plusieurs points potentiels de blocage.

… mais inacceptables

Israël a officiellement fait savoir qu’il n’« accepterait pas de programme nucléaire de la part de ses pays voisins, que ce soit à des fins civiles ou militaires ». De même, les États-Unis semblent peu enclins à fournir à l’Arabie saoudite des armes sophistiquées susceptibles de remettre en cause la supériorité militaire qualitative d’Israël, qui se trouve au fondement de leur politique moyen-orientale.

Par ailleurs, si l’Arabie saoudite, soucieuse de donner des gages à son opinion publique, cherche à obtenir le soutien des Palestiniens, elle risque toutefois de buter sur l’intransigeance de la partie israélienne, hostile à tout compromis qui accorderait à l’Autorité palestinienne un contrôle plus étendu sur certaines zones de la Cisjordanie occupée et qui indiquerait un calendrier pour une reprise des négociations, conformément au vœu de l’AP.

Il semble peu réaliste que Washington parvienne à lever les réticences de Benyamin Nétanyahou, soutenu par les partis d’extrême droite membres de sa coalition, même au prix de garanties de sécurité renforcées. Ces dernières excluraient sans doute la livraison des bombes dites bunker-buster réclamées depuis plusieurs années par Israël. En effet, en dépit des pressions du Congrès américain, les administrations américaines successives ont jusque-là refusé de fournir ces bombes par crainte de se retrouver entrainées dans un conflit militaire avec l’Iran.

Enfin, comme le rappelle Hal Brands, le Pentagone est frileux à l’idée de prendre de nouveaux engagements au Moyen-Orient dans un contexte où l’armée américaine se trouve engagée sur le front ukrainien et se prépare à une possible guerre dans le Pacifique.

En définitive, bien que l’administration américaine cherche à obtenir un accord avant les prochaines échéances électorales pour tenter à la fois d’unifier une partie de ses alliés face à la menace commune que représente l’Iran et endiguer la montée en puissance de la Chine au Moyen-Orient, la réalisation de ce projet reste aujourd’hui encore un simple vœu pieux au regard des obstacles qui minent les négociations.

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