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Ré-enchanter le monde

Le Square Frédéric Dard, Paris. Univers de Rosalie

Il y a des archétypes dans les romans de Didier van Cauwelaert : la chanson, les parfums, le désir, la relation à l’autre et à la nature, le rapport démiurgique à l’écriture, les blessures d’enfance et toujours une invitation à penser le monde autrement, à ouvrir des espaces de pensée inédits. Chaque roman est comme une question à haut potentiel d’énergie psychique, jetée au monde et qui fait ricochet à en croire la popularité de publications qui ne se dément pas, ouvrage après ouvrage.

Quand Soline, une violoncelliste virtuose et libertine croise Illan, un dilettante aux idées innovantes, c’est un feu d’artifice de désirs, de plaisirs, de jouissances…

Mais le désir se suffit-il à lui-même quand le quotidien s’assombrit ? Que se passe-t-il quand leurs regards croisent un vieux couple énigmatique et captivant qui malgré les décennies semble vivre une relation d’amour indéfectible ? Quelles relations vont se nouer entre ces deux couples que plusieurs générations séparent ? Pourront-ils les dénouer ? Faudra-t-il les dénouer ?

Avec Didier van Cauwelart, très vite les questions se compliquent. Sous une forme symbolique définie s’y expriment des questions métaphysiques qui traversent la singularité des sujets comme autant de processus trans-personnels, celles de la vie, de la mort, de l’après et des croyances qui font notre humanitude.

On dirait une fiction, on dirait la vie

Entre Illan et Soline, tout a débuté dans un TGV, a continué par des extases coquines où l’univers musical et sensuel du violoncelle de Soline fait immanquablement penser à la chanson « Guitar song » de Bernard Lavilliers :

Cette féminine, au look androgyne ce soir-là
Nue dans la vitrine, m’attire et me fascine
et voilà
Et je l’imagine, comme une héroïne dans mes bras
Et je laisse, courir mes doigts

Tout aurait ou continuer simplement entre désir et plaisirs… – encore que l’usure du temps eût pu guetter le couple épanoui – sous les antiennes de Brassens, Benabar, Ferré, Ben l’Oncle Soul mais aussi sous les sonates et symphonies que la virtuose se plaît à interpréter nue.

C’est une rencontre qui va bouleverser leur vie probablement parce qu’elle devait avoir lieu…

« On dirait nous à leur âge », la remarque échappe à Soline à la vue du vieux couple, Georges et de Yoa main dans la main sur un banc du square Frédéric Dard partageant un éclair au café.

Georges est un professeur de linguistique qui a épousé son « terrain » de chercheur et Yoa une Indienne du peuple Tlingit d’Alaska, percussionniste rencontrée au détour d’un de ses voyages d’études. Il n’est d’ailleurs pas rare que chez le romancier que par un retournement dont il a le secret l’objet devienne le sujet. C’est le linguiste qui initiera Yoa à la langue de ses ancêtres.

Le deal que propose le vieux couple au jeune couple est des plus détonants : Yoa est malade et aux abords du grand voyage, elle et Georges ont jeté leur dévolu sur Soline et Ilan car avant de mourir les Tlingites qui croient en la réincarnation se choisissent leurs futurs parents.

Par-delà la pluralité des cultures et des croyances, la proposition interroge sur le sens de la vie et sur la nécessité des illusions pour survivre et faire face (et notamment pour que Georges accepte le départ de Yo) mais sont-ce vraiment des illusions ?

Mise en tensions et fidélités

Par une mise en intrigue des sujets aux prises avec leurs blessures, leurs failles, leurs croyances, le romancier coud un patchwork où chaque rebondissement tient le lecteur en haleine. Soline acceptera-t-elle d’avoir un bébé qui portera l’énergie réincarnée de Yoa ? Pourquoi disparaît-elle du jour au lendemain ? Pourquoi Ilan fait-il le tour de France de ses ex ?

Mais il y a bien plus que cela.

D’abord, non tant des aphorismes que des phrases qui imposent la pause et portent à penser : « Je ne marche […] qu’aux fidélités absurdes » ou encore, « Depuis le mot de mes parents, je ne me suis jamais senti indispensable ». Ou bien encore les trois constantes de toute histoire d’amour : « l’inanité de l’avant, l’éblouissement du pendant, et les horreurs de l’après ».

Ensuite les questions récurrentes à la lisière du possible et de l’impossible, de la science et de la croyance, qu’il a explicitées dans ses Dictionnaire de l’impossible et Nouveau dictionnaire de l’impossible, les deux derniers essais de Didier van Cauwelaert. Et on trouve ses interrogations sur les synchronicités jungiennes, les trous de ver, les mondes parallèles, le dialogue avec les plantes et les arbres, le pouvoir de la musique sur les métabolismes vivants

Enfin, le romancier propose, comme toujours dans ses romans, toute une série d’interrogations ouvertes auxquelles il s’abstient de répondre de manière close par un suspense car la réponse appartient à chacun de nous.

Notre monde sécularisé et désenchanté par la rationalité scientifique et la technique peut-il être ré-enchanté par l’art de l’écriture et la fiction…et si ce n’était pas vraiment une fiction… ? Car il est probable que contrairement à la fameuse phrase du début de L’Idéologie allemande – où Marx et Engels se moquent des jeunes hégéliens – les hommes peuvent se noyer parce qu’ils ne réussissent pas à se libérer de l’idée de la pesanteur…

« On dirait nous » de Didier van Cauwelaert, Paris : Albin Michel, 2016.

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