Menu Close
En plus du revenu, partager le capital avec ses salariés ? Shutterstock

Réconcilier le capital et le travail : comment étendre l’actionnariat salarié aux PME ?

Une inflation qui pénalise le pouvoir d’achat et, en parallèle, des annonces en série de dividendes records pour les actionnaires des grandes entreprises : voilà de quoi relancer le débat sur le partage de la valeur. La loi de novembre 2023 destinée à l’améliorer, grâce à la généralisation de primes par exemple, s’applique certes aux bénéfices mais pas au capital.

Un développement de l’actionnariat salarié serait-il envisageable ? Cette option aurait également l’avantage de répondre au défi de la transmission des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI). D’autres pays l’ont compris. Quand bien même le combat pour la présidentielle s’annonce des plus âpres aux États-Unis, démocrates et républicains ont déposé une proposition commune pour accorder des prêts garantis par l’État lorsque des entreprises sont reprises par des salariés. Le modèle américain est d’ailleurs étudié par le Délégué ministériel à l’Économie sociale et solidaire français et est préconisé par la Fondation Jean Jaurès pour démocratiser le travail.

Partager la valeur, ce n’est pas que partager un revenu

Le débat sur le partage de la valeur dans l’entreprise assimile souvent à tort deux logiques pourtant bien distinctes : une logique de flux de revenus et une logique de stock de capital. Les salaires, les primes d’intéressement et de participation, le versement de dividendes aux actionnaires, voire le dividende salarié, s’inscrivent dans la première logique, celle sous laquelle le partage de la valeur est souvent évoqué. C’est ici le flux de valeur créée qui est partagé, ex-post.

Or, l’ensemble doit aussi être analysé en termes de partage du capital, ex-ante. Les actionnaires reçoivent des dividendes parce qu’ils détiennent des actions. Il faut aussi regarder du côté de la répartition du capital dans l’entreprise pour s’attaquer à la source du problème de partage de la valeur. Plutôt que de redistribuer la valeur créée, la partage du capital permet de la pré-distribuer.

Nous estimons ainsi que l’accès au capital des salariés compte parmi les véritables solutions de partage de la valeur. Nos récents travaux de recherche ont mis en évidence le potentiel de l’actionnariat salarié en matière de lutte contre les inégalités et la pauvreté en Amérique latine. Potentiel également souligné aux États-Unis par le rapport d’un économiste de la Maison Blanche, Jared Bernstein, et le travail prospectif proposé par Ethan Rouen, chercheur à Harvard.

L’actionnariat salarié présente aussi de nombreux atouts que la littérature académique a démontré. De nombreux travaux montrent qu’il améliore satisfaction, motivation et engagement des salariés en même temps qu’il réduit le turnover et l’absentéisme, qu’il est un facteur de performance et de stabilité pour les entreprises, d’attractivité et de fidélisation des salariés. Il est également un moyen de partager l’information avec les salariés, notamment sur les réalités économiques de l’entreprise.

Les PME sur la touche en France ?

La France est le premier pays européen en termes d’actionnariat salarié avec plus de 3 millions de salariés actionnaires même si leur poids est en déclin ces dernières années. Elle est aussi le seul pays au monde où la participation aux bénéfices est obligatoire pour les entreprises, ce depuis 1967.

Les dispositifs restent malgré cela peu développés dans les PME, types d’entreprises qui réalisent tout de même 43 % de la valeur ajoutée à partager et emploient 46 % des salariés. D’après les chiffres 2021 de la Dares, seuls 19 % des PME de moins de 50 salariés mettent en place un dispositif d’épargne salariale contre près de 89 % des entreprises de plus de 1000 salariés. Présent dans 0,8 % des entreprises de moins de 50 salariés, l’actionnariat salarié est surtout une réalité dans les grandes entreprises cotées en bourse et il peine à se développer ailleurs malgré les objectifs définis par le gouvernement et les incitations fiscales introduites par la loi Pacte depuis 2019.

De ce fait, la part de la valeur ajoutée revenant aux travailleurs français, 61 %, serait significativement inférieure à celle des travailleurs allemands, 63 %, chiffres de 2020.

Des sources d’inspiration

Doit-on s’y résigner ? D’autres pays ont une autre conception de l’actionnariat salarié et ont parié sur son développement dans les PME et les ETI. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, les dispositifs employee stock ownership plans (ESOP) et employee ownership trust (EOT) bénéficient d’une fiscalité avantageuse qui les rendent attractifs en particulier au moment de la transmission de l’entreprise.

La transmission de l’entreprise est une étape cruciale de la vie d’une entreprise et un moment privilégié pour partager la valeur. Un quart des dirigeants de PME ont plus de 60 ans et 11 % plus de 66 ans. Dans ce contexte, l’absence de solution de transmission de l’entreprise aux salariés est un défi majeur qui menace leurs emplois. Un défi bien identifié par le rapport de l’Assemblée nationale d’avril 2023 sur la partage de la valeur.

Les modèles anglo-saxons ont des spécificités importantes. Les salariés se voient attribuer gratuitement les actions et le risque pour les salariés d’investir en actions de l’entreprise est ainsi considérablement réduit. Autre avantage important, le dirigeant qui cède une proportion significative du capital de son entreprise à ses salariés (plus de 30 %) bénéficie d’une exonération de la fiscalité sur sa plus-value, c’est le « tax-free rollover ». Ces avantages n’existent pas en France pour les fonds communs de placement d’entreprise (FCPE) de reprise, un dispositif qui n’a permis la reprise que d’une poignée d’entreprises alors qu’il existe depuis 2006.

Une hybridation des différents modèles pourrait être envisagée en combinant leurs avantages : mécanismes financiers, place des salariés dans la gouvernance et incitations fiscales. Une adaptation de l’ESOP a été proposée au niveau européen. La France pourrait s’en inspirer et développer son propre modèle ou faire évoluer les FCPE de reprise.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,600 academics and researchers from 4,945 institutions.

Register now