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Réduire la dette publique n’est pas toujours la bonne solution

Campagne de sensibilisation à la dette publique dans les rues de Washington en juillet 2011. Public Notice Media/Flickr, CC BY

Par Raphaël A. Espinoza, assistant professor en économie à University College London (UCL), Atish R. Ghosh, chef de la division risques systémiques au département de recherche du Fonds monétaire international (FMI) et Jonathan D. Ostry, directeur adjoint du département de recherche du FMI. Cet article est publié dans le cadre d’un partenariat avec la revue Regards croisés sur l’économie.

Avec la crise financière de 2008 puis la crise de la zone euro s’est répandue l’idée selon laquelle il était urgent de réduire la dette publique. Dans les pays développés, la dette publique a en effet atteint des niveaux sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Entre 2007 et 2013, elle a par exemple augmenté de près de 30 % en moyenne dans la zone euro. Et la question fut alors moins de savoir s’il fallait réduire la dette publique, ce qui était tenu pour acquis, que la vitesse à laquelle il convenait de la faire diminuer.

Il est généralement préférable de maintenir la dette publique constante plutôt que de la réduire

Réduire la dette publique quand elle atteint un niveau élevé ne va pourtant pas de soi. Face à une augmentation de la dette publique, il existe en effet plusieurs possibilités :

  1. retourner au niveau d’endettement d’avant la crise, ainsi qu’en dispose par exemple le Pacte de stabilité et de croissance ;

  2. réduire la dette sans pour autant retourner aux niveaux historiques ;

  3. décider de ne rien faire et de vivre avec un niveau d’endettement plus élevé.

Il n’est pas clair a priori qu’une option soit préférable aux autres. Lorsqu’un gouvernement est endetté, la dette publique implique des coûts et ce, quelle que soit la décision du gouvernement, réduire la dette publique, la maintenir à niveau ou la faire croître. La dette publique comporte autrement dit des coûts incontournables. En fonction de la stratégie de remboursement de la dette, les coûts peuvent être supportés immédiatement ou dans le futur, mais dans tous les cas, il n’est pas possible d’y échapper. Par exemple, réduire la dette implique une hausse des recettes fiscales ou une baisse des dépenses publiques, ce qui pénalise l’économie. Mais ne jamais réduire la dette est aussi source de coûts car cela signifie en payer les intérêts à perpétuité.

En réalité, la théorie économique néoclassique recommande de suivre l’option 3, même si elle peut paraître radicale : ne rien faire avec la dette. La littérature suggère en effet que la perte de bien-être liée aux distorsions fiscales croît plus que proportionnellement au taux d’imposition. Ainsi, pour un même niveau de recettes fiscales sur une période donnée, il est plus coûteux de faire varier le taux d’imposition que de le maintenir constant. En supposant que les dépenses publiques restent constantes au cours du temps, la stratégie la moins coûteuse revient alors à choisir le taux d’imposition qui permette de maintenir le budget à l’équilibre et la dette publique constante.

En comparaison, si le gouvernement choisit un taux d’imposition plus élevé afin de dégager un excédent budgétaire et de réduire la dette publique, celle-ci finira par être totalement remboursée, le gouvernement commencera à accumuler des actifs à l’infini et il sera alors incité à réduire le taux d’imposition, non à le maintenir constant. La décision optimale pour un gouvernement endetté ne serait donc pas de réduire la dette publique mais de la maintenir constante.

Une réduction de la dette publique ne se justifie que lorsque celle-ci atteint un niveau extrême

En fait, seules deux situations justifient une réduction de la dette publique. La première situation est celle d’une crise de financement. Il se peut, lorsqu’un gouvernement est très endetté, que ses créanciers n’aient plus confiance en sa capacité à rembourser sa dette, et qu’ils décident d’ajouter une prime de risque au taux d’intérêt ou de ne pas renouveler leurs prêts. Cette situation est particulièrement dommageable car elle oblige à lever rapidement des recettes fiscales importantes, avec un taux d’imposition élevé source de distorsions accrues, pour honorer ses engagements. Il convient donc pour un gouvernement de ne pas dépasser un certain niveau d’endettement critique au-delà duquel la confiance des créanciers n’est plus assurée.

Des économistes ont cherché à estimer quantitativement ce niveau critique. Dans un article publié en 2013 dans l’Economic Journal, Atish Ghosh et ses coauteurs ont par exemple essayé d’estimer une fonction de réaction du solde budgétaire primaire, soit hors paiement des intérêts sur la dette, au niveau d’endettement. Quand le niveau d’endettement est faible, le gouvernement se préoccupe peu de sa dette et le solde primaire est trop bas pour compenser l’accroissement de la dette due au cumul des intérêts, si bien que la dette augmente.

Une fois atteint un certain niveau d’endettement, la politique budgétaire devient plus prudente et le solde primaire augmente, ce qui permet de stabiliser la dette, voire même de la réduire. Toutefois, le solde primaire ne peut augmenter indéfiniment, car tout gouvernement finit par être confronté à un phénomène de « fatigue budgétaire » (fiscal fatigue en anglais), soit à une capacité limitée, administrative ou politique, à réduire les dépenses publiques et à augmenter les impôts ou autres recettes fiscales.

À partir d’un certain niveau d’endettement, le solde primaire ne permet plus de compenser l’accumulation autonome de la dette. Ce niveau, critique, peut être considéré comme le seuil à ne pas dépasser pour ne pas risquer de perdre la confiance des créanciers. Dans beaucoup de pays développés, ce niveau estimé par Atish Ghosh et ses coauteurs est toutefois très élevé, par exemple de 154 % du PIB pour l’Allemagne, 171 % pour la France et même 263 % pour la Norvège.

La seconde situation, proche de la première, concerne les gouvernements dont le niveau d’endettement n’a pas encore atteint le niveau critique, mais qu’un choc exogène, tel qu’une crise financière impliquant une recapitalisation par le gouvernement du secteur bancaire, pourrait porter au-delà du niveau critique. Pour ces gouvernements, il est alors judicieux de conserver une marge d’endettement raisonnable par rapport au niveau critique pour ne pas risquer de perdre la confiance des créanciers en cas de choc exogène. Le niveau critique étant très élevé pour beaucoup de pays développés, le souhait de conserver une marge d’endettement ne devrait toutefois pas conduire à une réduction de la dette publique lorsque son niveau est encore loin du seuil critique.

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