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Réforme Dupond-Moretti des réductions de peine : quels effets en attendre ?

Eric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, sur les bancs de l'Assemblée Nationale lors d'une session de questions aux gouvernement. THOMAS SAMSON / AFP

Dans un projet de loi qui sera présenté mi-avril au gouvernement, le Garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti veut supprimer les Crédits de Réductions de Peines (CRP).

Cette mesure de réduction des peines est appliquée automatiquement à un détenu quand il entre en détention. Ces crédits peuvent être « retirés » en cas de mauvais comportement (trafic, violences, etc.).

Ce dispositif, qui avait fait largement consensus lors de son introduction dans la loi Perben en 2004 (dossier législatif), a plusieurs avantages dont celui de la transparence : dès son arrivée en prison, un condamné est crédité de réductions de peine (3 mois pour la première année de prison, 2 mois pour chaque année suivante) et est prévenu dès l’écrou de sa date de libération « prévisible ».

A charge pour le détenu ensuite d’éviter des retraits de CRP. Si au contraire, le détenu fait des « efforts sérieux de réadaptation sociale » (art. 721-1 du CPP), il pourra obtenir des réductions de peine supplémentaires (les RPS, au maximum 3 mois par an), voire des aménagements de peine, et accélérer encore un peu plus sa libération.

De nouvelles réductions « 100 % au mérite »

Dans la réforme voulue par le ministre dans le cadre de son projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire (dont l’avant-projet a été publié par Dalloz Actualité), ce système hybride qui mélange carotte (l’octroi de RPS) et bâton (le retrait de CRP) serait remplacé par des réductions de peine 100 % au mérite.

Dans le nouveau système, les détenus ne seraient initialement crédités d’aucune réduction de peine et devraient faire leurs preuves, produire des efforts (formation, travail, soins, activités culturelles, dédommagement des parties civiles, etc.) pour accélérer leur libération.

Ils pourraient bénéficier, de la part du Juge de l’Application des Peines, de réductions de peine jusqu’à six mois par année de détention (contre un total d’environ cinq mois au maximum aujourd’hui). Le ministre résume ainsi sa position de principe : « L’automaticité, c’est pour les machines, pas pour les humains. »

Un principe contredit dans la même réforme

Éric Dupond-Moretti veut donc chasser l’automaticité des réductions de peine. Pourtant, dans le même projet de loi, il souhaite introduire des libérations anticipées « de droit », pour tous les condamnés à des peines inférieures ou égales à deux ans de prison. Il s’agit généralement de délits de gravité faible à modérée, potentiellement très variés (vols, violences, affaires de stupéfiants, infractions routières sérieuses ou en récidive, etc.).

Ce droit à la « libération sous contrainte » interviendra 3 mois avant la fin de peine. Il s’agit donc bien d’une réduction automatique de peine (certes avec des obligations à respecter dehors) qui sera accordée de droit à un grand nombre de détenus. Aujourd’hui, environ la moitié des détenus condamnés purgent des peines inférieures ou égales à 2 ans d’après un rapport du ministère de la Justice, 2020).

N’y a-t-il pas là une forme d’automaticité ?

Les condamnés à des peines de plus de deux ans seront à l’inverse exclus de ce dispositif de libération anticipée, sans que l’on comprenne bien pourquoi.

Une réforme qui distord les incitations des détenus

La réforme des réductions de peine aura des effets très ambigus sur les incitations des détenus à faire ou non des efforts. Pour comprendre, il faut bien avoir en tête l’objectif principal de la plupart des détenus : être libéré le plus tôt possible, tout en composant avec la difficulté pratique d’avoir accès à des activités de réinsertion en détention (délais souvent longs, démarches à répéter, offre très limitée et souvent peu attractive), surtout en situation de surpopulation carcérale.

En premier lieu, on peut penser comme le ministre que le nouveau système 100 % au mérite augmentera le « rendement des efforts » pour les détenus (ils obtiendront plus de réductions de peines pour avoir suivi une formation par exemple), ce qui les incitera à faire plus de démarches de réinsertion. Mais en réalité, tout dépendra de la manière dont les Juges de l’Application des Peines s’approprieront les nouvelles règles.

Il est probable que bon nombre d’entre eux, submergés par la masse de travail supplémentaire et opposés à la réforme, délivreront (comme avant 2004) des réductions de peine de manière quasi automatique, laissant le « rendement des efforts » inchangé.

Ainsi l’Association nationale des juges de l’application des peines, critique une mesure qui :

« préfère récompenser les efforts faits en détention par le condamné plutôt que ceux qu’il pourrait être amené à faire dans le cadre d’un aménagement de peine (semi-liberté, détention à domicile sous surveillance électronique, placement extérieur ou libération conditionnelle) ».

Un effet de découragement

Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’en supprimant les CRP, la réforme va éloigner l’horizon de libération des nouveaux détenus. Pour un condamné à 3 ans qui entre en prison, sa date de libération prévisible « sans effort » ne sera plus dans 29 mois (36 moins 7 mois de CRP), mais bien dans 36 mois. L’effet de cet éloignement de la date de libération est assez facile à anticiper, compte tenu de notre penchant universel à la « préférence pour le présent ».

Ce trait psychologique nous rend plus sensibles aux gains (ou aux pertes) qui interviennent rapidement qu’à ceux qui sont plus lointains. Ainsi, aux yeux d’un nouveau détenu condamné à trois ans, la perspective d’une libération a plus de valeur si elle est supposée intervenir dans 29 et non dans 36 mois. Ce détenu aura donc une incitation plus faible dans le nouveau système à faire des efforts pour accélérer sa sortie.

Cet effet de découragement sera d’autant plus marqué que les détenus sont semble-t-il, caractérisés par une forte préférence pour le présent. Une étude menée auprès des détenus en Italie et publiée en 2016 montre un facteur d’actualisation annuel estimé à 0,74 (il n’existe pas pour le moment d’étude similaire en France), bien inférieur au 0,95 qu’on considère généralement pour la population générale. Ce facteur de 0,74 signifie que, si une libération aujourd’hui était équivalente à un gain de 100 pour un détenu, la même libération dans un an ne « vaudrait » que 74. En éloignant les perspectives de libération des détenus par la fin des CRP, on réduit donc leur incitation à faire des efforts pour la préparer.

Une probable dégradation du climat en détention

En supprimant les CRP, la réforme entraînera un autre effet indésirable : elle enlèvera au JAP sa possibilité de sanctionner les mauvais comportements en détention.

Cette mesure est pourtant très courante, même si le ministère de la Justice se refuse à en publier des statistiques nationales : en cas de mauvais comportement, le chef d’établissement et le JAP se réunissent chaque mois en commission et sanctionnent de façon souvent complémentaire, le premier en plaçant le détenu en quartier disciplinaire (QD) par exemple, le second en retirant des CRP.

Que se passera-t-il si on enlève au JAP son seul « bâton » ? Difficile de ne pas anticiper une hausse des mauvais comportements de certains détenus, que subiront les surveillants et les autres détenus.

La seule option pour « gérer la détention » consistera donc pour les chefs d’établissement à aggraver les sanctions disciplinaires à l’ombre du juge.

Alors quelle réforme ?

La réforme voulue par le Garde des Sceaux a peu de chances d’aboutir à une véritable hausse des efforts de réinsertion (elle pourrait même aboutir à l’effet inverse comme on l’a vu), et aura donc probablement un effet net d’allongement des durées d’incarcération et d’augmentation de la surpopulation carcérale.

Elle entraînera aussi très probablement une dégradation du climat en détention, tout en augmentant encore la charge de travail des JAP. Au final, on peine à comprendre le risque pris par le ministre au nom d’un simple principe de non-automaticité, qu’il ne respecte pas lui-même dans la suite du projet de la loi.

Le véritable enjeu pour préparer les détenus à leur réinsertion et prévenir la récidive est évidemment celui des moyens et de l’offre d’activités. À titre d’exemple, à peine plus d’un détenu sur quatre travaille aujourd’hui en prison, contre 46 % il y a vingt ans.

Une offre d’activités saturée

Dans la plupart des établissements pénitentiaires, l’offre d’activités est saturée et il faut prendre son mal en patience, voire demander un transfert, pour obtenir des soins ou une formation. L’urgence à investir dans l’offre d’activités est donc toujours là, vingt ans après le fameux rapport sénatorial intitulé « Prisons : Une humiliation pour la République ».

Se pose aussi évidemment la question du contenu et de la qualité de cette offre. En matière de travail carcéral par exemple, l’essentiel des postes concerne des tâches très ingrates et mécaniques (plier, couper, coller, etc.) qui ne sont probablement ni motivantes, ni très utiles à la réinsertion sociale et professionnelle que la loi promeut pourtant depuis des décennies. Plus globalement, il n’existe encore aujourd’hui pratiquement aucun travail d’évaluation scientifique de l’efficacité des programmes en matière de prévention de la récidive en France.

Plutôt qu’une nouvelle réforme des peines, c’est sur ce chantier très concret de l’offre d’activités comme le travail qu’il faut agir. Lors de sa visite à la Maison d’Arrêt de Villepinte le 4 mars, Éric Dupond-Moretti a expliqué que son ministère y « travaille activement, c’est son effort à lui, pour faire venir des entreprises au sein de la prison ». Après des décennies de tentatives infructueuses en ce sens, difficile d’être totalement rassuré.

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