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Rémunération des agriculteurs : EGalim 2, une loi à la portée limitée

L’application des principes du nouveau texte au sein des coopératives agricoles implique une gouvernance forte, ce qui constitue davantage l’exception que la règle. Ludovic Marin / AFP

L’enjeu d’une rémunération plus équitable des agriculteurs aura traversé tout le quinquennat d’Emmanuel Macron à travers la loi EGalim, jusqu’à sa dernière mouture qui vient d’être votée à la fin de l’année 2021. Si cette nouvelle loi, dénommée EGalim 2, apporte des avancées en matière de construction des prix, elle comporte cependant d’importantes lacunes car les principales dispositions législatives et contractuelles ne concernent pas les coopératives agricoles.

Or, les trois quarts des agriculteurs adhèrent à au moins une coopérative. En outre, en ce qui concerne le lait, la viande ou encore les betteraves sucrières, un engagement auprès d’une coopérative empêche de travailler avec une entreprise privée.

Le principe de la nouvelle version de la loi vise à répondre aux critiques adressées à la première loi votée au tout du début du quinquennat dont les dispositions n’avaient pas permis, selon les agriculteurs et leurs représentants, d’améliorer leurs revenus.

Prix d’achat sanctuarisé

Avec le nouveau texte, un agriculteur qui vend ses matières premières à un industriel établit un contrat pour une durée minimale de trois années. La loi impose que ce contrat commercial qui fixe le prix de vente soit indexé sur les coûts de production de l’agriculteur. Un céréalier qui voit augmenter le coût du gasoil a ainsi la possibilité de répercuter cette hausse sur le prix de vente de son blé à un meunier. De même, un éleveur qui fait face à une augmentation de l’alimentation de son détail peut également répercuter cette hausse sur le prix de vente de son lait à un industriel.

Principes de la loi EGalim 2. Ministère de l’Agriculture

Par la suite, l’industriel de l’agroalimentaire qui vend un produit fini à un distributeur ne pourra pas revoir ou renégocier à la baisse le prix d’achat des matières premières agricoles. Ce prix d’achat est en quelque sorte sanctuarisé et ne peut pas être revu à la baisse une fois que l’agriculteur et l’industriel sont tombés d’accord.

La loi EGalim 2 vise dont à établir une solution pour construire des prix d’achat qui intègrent l’évolution des coûts de production que subissent les agriculteurs car les industriels ne peuvent plus répercuter les pressions commerciales sur ces derniers. En conséquence, elle est susceptible de mettre un terme, en principe, à quasiment une décennie de stagnation en matière de prix d’achat des matières premières agricoles.

Le principe de la loi EGalim 2 s’appuie sur des connaissances anciennes développées en stratégie d’entreprise. Selon celles-ci, celui qui n’a pas de pouvoir de marché suffisant se voit systématiquement imposer des prix d’achat en dessous de son seuil de rentabilité.

À travers la loi EGalim 2, le législateur acte l’incapacité des agriculteurs français à construire ce pouvoir du marché du fait de leur faiblesse et de leur éclatement. Il s’interpose désormais dans les relations commerciales afin de rééquilibrer les rapports de force et d’inverser la logique de construction des prix des matières premières agricoles.

Une coopérative n’est pas une entreprise privée

Cependant, la loi EGalim 2 ne revient pas sur le principe de la première version selon lequel seuls les agriculteurs qui vendent leurs productions à des entreprises privées sont concernés. Or, cette application limitée avait conduit les coopératives à déposer un recours devant le Conseil d’État, qui avait pourtant rendu un avis leur donnant raison.

En effet, lorsqu’un agriculteur écoule ses productions avec une coopérative, il ne signe pas un contrat commercial. Il adhère à la coopérative et prend la qualité d’associé coopérateur. Cela signifie qu’il s’engage à livrer des matières premières sans qu’un prix d’achat soit fixé a priori.

Le prix d’achat des matières premières apportées à la coopérative n’est donc pas fixé par un contrat commercial mais par une décision du conseil d’administration. C’est le conseil d’administration de la coopérative qui fixe le prix d’achat des matières premières et l’applique à l’ensemble des adhérents de la coopérative. Le mécanisme contractuel de la loi EGalim 2, qui relève du code de commerce, ne s’applique donc pas aux contrats d’adhésion des coopératives (qui relève du Code rural).

Cette spécificité des coopératives et l’impact qu’elles peuvent avoir sur la construction des prix des matières premières agricoles n’a bien évidemment pas échappé au législateur français. Ce dernier a ainsi développé un ensemble de mesures qui s’appliquent spécifiquement aux coopératives agricoles dans la loi EGalim 2. Cependant, à la différence des dispositions destinées aux opérateurs privés, les dispositions spécifiques aux coopératives relèvent davantage de l’incitation que de la contrainte.

Une question de gouvernance

Le texte vise en effet à faciliter la transparence en demandant aux coopératives de mieux expliquer pourquoi tel prix d’achat est pratiqué. Cette transparence s’opérationnalise à travers l’idée d’un « rémunéra-score » qui permet de comprendre comment se construisent les prix de vente en fonction des coûts de production. Mais les coopératives agricoles ne veulent pas en entendre parler…

Cependant, difficile d’aller plus loin : La sanctuarisation du prix d’achat n’est pas demandée et elle ne peut pas l’être car il n’y a pas de contrat d’achat. Egalim 2 aimerait forcer les coopératives à sanctuariser le prix d’achat mais le droit coopératif ne le permet pas. C’est le nœud du problème !

Si ces dispositions incitatives peuvent apporter des éléments nouveaux, il n’en demeure pas moins que c’est le conseil d’administration qui reste souverain pour fixer les mécanismes de construction des prix d’achat des matières premières agricoles.

Or, les travaux que nous avons menés sur la gouvernance des coopératives montrent que la capacité des dirigeants élus des coopératives à réellement contrôler l’outil industriel coopératif s’avère généralement faible. Cela signifie que seules les coopératives dans lesquelles les dirigeants élus pèsent suffisamment verront une application des principes de construction des prix dans l’esprit de la loi EGalim 2.

A contrario, dans les coopératives où les dirigeants élus ont un pouvoir de gouvernance faible, il est improbable que les prix soient revus à la hausse du fait d’une indexation sur les coûts de production qui restera limitée. L’application des principes de la loi EGalim 2 au sein des coopératives agricoles implique donc une gouvernance forte à la tête de ces structures, ce qui constitue davantage l’exception que la règle.

Il en découle que sans une adhésion forte mais volontaire du mouvement coopératif français aux principes de la loi EGalim 2, il y a toutes les chances que cette dernière n’ait finalement qu’un impact limité sur la rémunération des agriculteurs. Dans le cas contraire, on peut envisager que les agriculteurs souhaitent finalement s’orienter davantage vers les entreprises privées de l’agroalimentaire car les mécanismes de protection de la loi EGalim 2 s’appliqueront pleinement.

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